Zouheir, apprenti kamikaze

Les djihadistes de l’ex-GSPC semblent privilégier désormais l’attentat-suicide comme mode opératoire. CommentAl-Qaïda au Maghreb recrute-t-elle et forme-t-elle les candidats au martyre ? Enquête.

Publié le 11 février 2008 Lecture : 6 minutes.

Zouheïr Abzar, 26 ans, rêvait de partir en Irak pour y mourir en martyr. Au début de 2007, après six mois d’endoctrinement, il rejoint les maquis d’Al-Qaïda au Maghreb, en Kabylie. Très vite, le jeune homme déchante. La vie dans le maquis est un enfer. Surtout, Zouheïr prend conscience qu’il n’ira jamais à Bagdad et qu’il mourra en Algérie. Déception, panique ou remords, toujours est-il que quelques semaines après son ralliement à Al-Qaïda, le jeune homme prend la poudre d’escampette. Si Zouheïr a pu échapper à une mort certaine – selon les services de sécurité algériens, l’espérance de vie d’un apprenti terroriste ne dépasse guère un an -, d’autres jeunes recrues n’ont pas eu la même chance. Certains sont morts dans des attentats spectaculaires à Alger, Dellys ou Batna, alors que d’autres attendent le feu vert pour se sacrifier « dans le chemin de Dieu ».
À l’instar de Marwane Boudina, 27 ans, qui s’est fait exploser devant le palais du gouvernement, le 11 avril 2007, à Alger (12 morts), ou de Nabil Belkacemi, 17 ans, qui l’a imité dans une caserne de gardes-côtes, le 8 septembre, à Delly (30 morts), Zouheïr Abzar a subi un endoctrinement poussé pour devenir djihadiste. De la banlieue d’Alger aux maquis d’Al-Qaïda au Maghreb, en passant par la mosquée de Kouba, son itinéraire d’apprenti kamikaze éclaire d’un jour nouveau la manière dont cette organisation recrute des jeunes pour les transformer en bombes humaines.
Natif de Mohammedia, un quartier populaire à l’est d’Alger, Zouheïr est issu d’une famille aisée. Un père commerçant, une mère au foyer, sept frères et surs. Poli mais introverti, ce jeune homme sans histoire suivait une formation pour devenir électricien. Ses proches assurent que ce mordu de foot ne s’adonnait à aucun vice connu. Alors que la religion ne faisait pas partie de ses centres d’intérêt, Zouheïr se met brusquement à faire la prière au début de l’été 2006. Il fréquente assidûment la mosquée du coin, se lève aux aurores pour la prière de l’aube et ne rentre jamais à la maison avant d’accomplir celle du soir. Un regain de religiosité qui n’éveille guère les soupçons de son entourage. Bien sûr, depuis l’invasion de l’Irak par les troupes américaines, en 2003, Zouheïr parle souvent de ce conflit, avec son lot de victimes civiles, de la chute de Saddam Hussein, des « exploits » de la guérilla, mais personne ne prête attention aux états d’âme du jeune homme.

Cheikh Amine a dit…
Juillet 2006. Zouheïr passe quelques jours de vacances dans la région de Zemmouri, à 60 kilomètres à l’est d’Alger, tenue pour l’un des fiefs des activistes de l’ex-GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat). Entraînements physiques, initiation aux arts martiaux, cours de théologie et prêches incendiaires contre le pouvoir rythment son quotidien. Créés au milieu des années 1980, ces camps sont une sorte d’université d’été du djihad. Au cours de son séjour, qui dure une dizaine de jours, il fait connaissance avec un dénommé « Aïssa », 35 ans, qui n’est autre que le responsable du recrutement d’Al-Qaïda au Maghreb pour la zone est d’Alger. Aïssa prend Zouheïr sous son aile et lui recommande chaudement de se rendre à la mosquée de l’Apreval, dans le quartier de Kouba. Ce que l’apprenti kamikaze ne manquera pas de faire, sitôt les vacances terminées. Dans ladite mosquée officie l’imam Amine Kerkouche, dit « Cheikh Amine ». Diplômé de théologie en Arabie saoudite, ancien élève de l’ex-numéro deux du Front islamique du salut (FIS, dissous) Ali Benhadj, l’imam est un redoutable tribun dont l’ascendant sur nombre de fidèles est certain. À preuve, avant de rejoindre les groupes armés en octobre 2006, Abdelqahar, fils de Benhadj, était l’un de ses fervents disciples, tout comme le fut Nabil Belkacemi, le kamikaze de Dellys.
Avec Cheikh Amine, le rituel est immuable. La prière du soir expédiée, il organise des halaqat (cercles de discussion), exhorte ses auditeurs au djihad en délivrant des prêches dont les thèmes tournent invariablement autour de la guerre en Irak. Bien entendu, ces harangues clandestines s’achèvent par des projections d’images vidéo de la guérilla irakienne, d’attentats kamikazes contre les Américains, le tout sur fond de psalmodies et de chants religieux en hommage aux martyrs d’Irak, de Tchétchénie ou d’Afghanistan. Les causeries pouvant durer jusqu’au petit matin, certains dorment dans la salle de prière de la mosquée.
Galvanisé par les prêches de Cheikh Amine, Zouheïr martèle à l’envi son désir de partir en Irak pour y mourir en « martyr » comme son idole Abou Moussab al-Zarqaoui, ce chef d’Al-Qaïda abattu par l’armée américaine le 7 juin 2006. L’imam tempère ses ardeurs, le fait patienter. Mais un événement va bouleverser Zouheïr et le renforcer dans sa détermination : l’exécution de Saddam Hussein, le 30 décembre 2006. Traumatisé, le jeune homme visionne en boucle les images de la pendaison. « Ce fut un jour de deuil, racontera-t-il. Je n’ai jamais autant pleuré, même quand j’ai perdu mes grands-parents. Un feu me brûlait de l’intérieur. J’ai pris la décision de rejoindre Al-Qaïda le jour j’ai vu mourir Saddam. »
Il s’en remet une fois de plus à l’imam. « Je veux que l’on m’indique la route pour aller en Irak afin de venger Saddam. » Peu de temps après cette énième demande, le prédicateur de Kouba le met en contact avec un homme censé recruter des volontaires pour l’Irak. Celui-ci explique à Zouheïr que le chemin de Bagdad est long et qu’il passe d’abord par les maquis de Kabylie. Pour prétendre mourir en martyr, ajoute-t-il, il est nécessaire de subir une préparation physique, morale et spirituelle dans les camps d’Al-Qaïda au Maghreb. S’ensuivent une série de recommandations que les candidats sont priés de suivre. D’abord, ils doivent disposer d’un passeport en cours de validité. Ceux qui n’en possèdent pas sont invités à déposer un dossier auprès de leur daïra (sous-préfecture). Ensuite, ils doivent garder le silence absolu autour du projet et ne jamais en parler à quiconque, pas même à leur père ou à leur mère. Dernière consigne et non des moindres : les volontaires doivent détruire toutes leurs photos pour éviter de laisser une trace, un indice pouvant permettre aux services de sécurité de les identifier une fois que leur disparition aura été signalée.
Janvier 2007. Une semaine après avoir été contacté par l’agent recruteur, Zouheïr se rend à la gare routière de Kharrouba, non loin de l’aéroport d’Alger. De là, il est discrètement conduit, avec six autres recrues, dans la ville de Bordj Menaïel (à 40 kilomètres à l’est de Boumerdès, en Kabylie), puis dans les montagnes de la région. Dès l’arrivée des volontaires dans les maquis, téléphones et passeports sont confisqués et les communications avec la famille et les proches interdites. Isolés des émirs et des vétérans, répartis en petits groupes de cinq à six hommes et étroitement surveillés par un terroriste aguerri, ils passent leur temps à faire des exercices physiques, à creuser des tranchées, couper du bois, construire des casemates, puiser de l’eau, laver le linge et préparer à manger. Les journées sont rythmées par des prêches sur le djihad contre le pouvoir algérien, la guerre en Irak, en Afghanistan, le conflit israélo-palestinien Là aussi, ces longues séances de prédication sont régulièrement accompagnées de vidéos d’attentats kamikazes perpétrés en Algérie, d’attaques contre les services de sécurité, ainsi que de faits d’armes de djihadistes irakiens.

la suite après cette publicité

Sauve qui peut
Une fois la période d’adaptation achevée, Zouheïr est initié aux founoune al-qital (« les arts de la guerre »). Réunis autour d’un instructeur, lui et les nouveaux volontaires apprennent le maniement des armes, les techniques d’acheminement des explosifs et de pose de bombes, ainsi que les différentes ruses pour échapper aux opérations de ratissage. Toutefois, au fil des jours et des semaines, Zouheïr découvre la réalité des maquis algériens. Outre la peur, les privations, le froid, le manque d’hygiène, la promiscuité, la nourriture infecte (généralement des pâtes et du pain sec), le manque de sommeil, la traque, il prend surtout conscience qu’on le prépare à mourir en Algérie, lui, l’apprenti kamikaze qui rêvait de combattre en Irak. Trois mois après s’être porté volontaire pour mourir à Bagdad, il prend la fuite à la faveur d’une ronde de surveillance, erre pendant plusieurs jours dans la montagne avant de regagner Alger. Peu de temps après son retour, il est arrêté par la police avant d’être incarcéré dans une prison de la capitale.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires