Saâd Bendidi : le retour de l’enfant prodigue
Limogé du holding royal ONA avec fracas, Saâd Bendidi a pris la tête de Saham en tant que directeur général délégué. Parcours d’un manageur tout sauf ordinaire.
Éjecté sans ménagement du holding royal l’Ominium nord-africain (ONA) en 2008, Saâd Bendidi revient sur le devant de la scène marocaine par la grande porte : depuis novembre 2013, il est le grand patron du Groupe Saham. Un come-back aussi surprenant que la nomination de Moulay Hafid Elalamy (MHE), fondateur et PDG de Saham, au poste de ministre de l’Industrie et du Commerce. Pour se consacrer à son maroquin, ce dernier a dû rompre tout lien avec le monde des affaires. « Moulay Hafid était très engagé dans les activités du groupe. Avant de quitter son poste, il devait trouver une personne du même calibre que lui pour prendre la tête des troupes et poursuivre la stratégie d’expansion de Saham. Un tel profil ne court pas les rues », signale un collaborateur de MHE.
À 56 ans, Saâd Bendidi, qui faisait partie en 1996 du G14 du roi Hassan II (un cercle de technocrates triés sur le volet pour sortir le pays de la crise) et qui a dirigé deux des grands holdings marocains (FinanceCom, d’Othman Benjelloun, et l’ONA, holding royal absorbé en 2010 par l’autre conglomérat du roi, la Société nationale d’investissement – SNI), était un candidat idéal. L’homme s’était juré de ne jamais redevenir salarié, mais il s’est laissé convaincre. Un peu comme MHE lui-même, qui expliquait en 2009 à J.A. que « la politique n’était pas faite pour [lui] ».
Réputée tête brûlée, Saâd Bendidi est l’un des rares à avoir osé contredire Othman Benjelloun
Bendidi n’est pas un patron comme les autres. Homme de dossiers, « il a le souci du détail et veut tout maîtriser, tout savoir. Et s’il donne parfois l’impression d’être trop gentil, voire lisse, il n’hésite pas à bousculer ses collaborateurs et même ses supérieurs quand il le faut. Bendidi est l’un des rares à avoir osé contredire Othman Benjelloun et Hassan Bouhemmou, le patron de la SNI. D’où sa réputation de tête brûlée », témoigne un ancien collaborateur. Quand, en 2005, il quitte la vice-présidence de FinanceCom pour l’ONA, son départ sonne comme un coup de Jarnac des dirigeants du business royal contre Othman Benjelloun, le magnat de la finance. « En débauchant Saâd Bendidi de FinanceCom, l’ONA a coupé les ailes à Benjelloun. Bendidi n’était pas seulement son vice-président, c’était aussi son dauphin, son bras droit », explique un homme d’affaires casablancais.
Recruté en 1999 par Benjelloun, Bendidi dirige les activités du groupe et, surtout, lance des opérations stratégiques : l’entrée dans les télécoms, avec l’obtention de la deuxième licence de téléphonie, et le rachat de l’assureur Watanya, qui fusionne ensuite avec la Royale marocaine d’assurances (RMA). Il y démontre une grande intelligence et une capacité de travail donnant le tournis aux manageurs d’ONA, méfiants face à la montée en puissance du flamboyant Benjelloun. « Au début des années 2000, c’était la guerre des tranchées. Les dirigeants du groupe royal faisaient tout pour stopper FinanceCom. »
À terre. En entrant à l’ONA, Bendidi atteint le sommet dont il pouvait rêver. Le conglomérat, alors présent dans la banque, l’assurance, l’agroalimentaire, les mines, la grande distribution, etc., est le plus grand groupe privé du royaume. Et il ambitionne de se diversifier davantage, dans les télécoms notamment. Bendidi, qui connaît bien les rouages du secteur pour avoir mis Méditel sur orbite, semble être l’homme de la situation. Licence obtenue, il lance l’opérateur Wana (aujourd’hui Inwi). Mais le « relais de croissance » censé booster les comptes du groupe se révèle un énorme gouffre financier. Dès la première année, il engloutit près de 7 milliards de dirhams (environ 620 millions d’euros).
Bendidi n’a pas de plan pour sortir de l’impasse. Un échec que les actionnaires de l’ONA ne lui pardonneront pas. En 2008, lors d’un conseil d’administration présidé par Mounir Majidi, le secrétaire particulier du roi, Bendidi est poussé au départ séance tenante. Une première dans les annales du groupe. Un communiqué ravageur mentionne des « projections insuffisamment maîtrisées et des options technologiques mal appréciées ». On y évoque aussi « des éléments de négligence apparus et répétés dans le suivi et l’animation des affaires du groupe ». Bendidi est à terre.
Ressuscité Lynché par la presse, Bendidi se fait discret – sans pour autant chômer. Approché par son ancien mentor pour réintégrer FinanceCom, il décline l’offre. Il aurait aussi refusé une proposition de Khalid Oudghiri, ex-PDG d’Attijariwafa Bank poussé hors de l’ONA, d’intégrer AlJazira Bank, en Arabie saoudite. « Bendidi ne voulait plus travailler pour personne. L’épreuve ONA l’avait dépité », raconte l’une de ses connaissances.
Bendidi ne voulait plus travailler pour personne. L’épreuve ONA l’avait dépité
Deux mois après son limogeage, il crée Jasia Holding, une société d’investissement au capital de 10 000 dirhams, qui va grandir vite. Il rachète Haworth Maroc, filiale du géant américain du mobilier de bureau. En moins de quatre ans, il triple le chiffre d’affaires de l’entreprise. Un succès qu’il doit notamment à Benjelloun, qui l’a chargé de remplacer tout le mobilier de la tour BMCE Bank. « C’était le premier gros marché de Bendidi à la tête de Haworth. Benjelloun a aidé son ancien protégé à se refaire. Il le considère comme son fils », raconte une source de BMCE Bank.
Bombardé. Enfant du peuple, né dans la région de Taza d’une famille très modeste, l’homme a gagné sa proximité avec Benjelloun par son travail, ses compétences et sa loyauté. « Bendidi a commencé comme simple directeur des investissements chez BMCE Bank. Mais le magnat l’a très vite bombardé vice-président du groupe, une surprise dans un milieu où seuls les « fils de » évoluent aussi rapidement », remarque notre source. Diplômé de Centrale Paris, HEC et Sciences-Po, Bendidi doit son ascension fulgurante – comme beaucoup d’oulad chaâb (« les fils du peuple ») – aux mathématiques, seul ascenseur social dans un pays où le monde feutré du business reste dominé par les riches familles fassies. Après avoir débuté sa carrière dans le conseil, chez Booz Allen Hamilton, à Paris, il a dirigé pendant dix ans Moussahama, la première société de capital-investissement au Maroc. « C’est un métier qui le passionne, un peu comme Elalamy », précise notre interlocuteur.
Et cela tombe bien, car Bendidi devra relever de nouveaux défis. Il a trois ans pour convaincre, le temps que MHE termine son mandat. Trois jours après sa nomination, il a dû gérer l’entrée de la société d’investissement Wendel au capital de Saham (une opération de 100 millions d’euros pour 13,33 % du groupe, bouclée sous MHE). Mais son arrivée a beaucoup rassuré les Français. Aujourd’hui, il conduit une nouvelle mutation de Saham : le changement de son identité visuelle, et la refonte globale de l’architecture de ses marques.
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