[Tribune] Brevets sur les vaccins anti-Covid-19 : assez tergiversé !

Fortement souhaitée par les Etats-Unis depuis plusieurs semaines, la levée des brevets sur les vaccins anti-Covid-19 n’est toujours pas à l’ordre du jour. C’est pourtant un passage obligé si l’on veut que l’ensemble de la planète soit immunisée, après plus d’un an de pandémie.

Dans les locaux d’un site de production du vaccin Pfizer à Reinbeck, en Allemagne, le 20 avril 2021. © Christian Charisius/AP/SIPA

Dans les locaux d’un site de production du vaccin Pfizer à Reinbeck, en Allemagne, le 20 avril 2021. © Christian Charisius/AP/SIPA

OLIVIER-MARBOT_2024

Publié le 23 mai 2021 Lecture : 3 minutes.

Il y avait quelque chose de profondément déprimant à lire et à entendre les réactions à l’appel du président américain à lever les brevets sur les vaccins anti-Covid-19, le 6 mai dernier. Certes, le patron de l’OMS a jugé l’annonce « historique » et l’Union européenne, l’Organisation mondiale du commerce, ainsi que  l’Africa CDC, le bras armé de l’Union africaine pour les affaires sanitaires, ont apporté leur soutien.

Mais derrière cette unanimité de façade, certains cachaient mal leur amertume et expliquaient leurs réticences par un argument de cour d’école qui peut se résumer ainsi : « J’avais eu l’idée avant ! » Il est exact que beaucoup d’autres avaient, dès le printemps 2020, appelé à faire des futurs vaccins un « bien public mondial » et à en garantir la juste répartition. Puis le « nationalisme vaccinal » a vite repris le dessus, et la plupart des pays riches ont réservé au prix fort des centaines de millions de doses. Entre-temps, Joe Biden a succédé à Donald Trump et la politique américaine a changé… Mieux vaudrait s’en réjouir.

la suite après cette publicité

Juste rétribution

Amertume aussi du côté des grands acteurs de l’industrie pharmaceutique et de leurs nombreux et influents porte-parole. Les brevets, se répandaient certains, ne sont pas seulement la juste rétribution du travail acharné – et coûteux – des chercheurs mais aussi « le sang et l’oxygène » de l’industrie. Entre deux appels à laisser les lois du marché s’appliquer sans entraves, quelques-uns glissaient aussi qu’à priver les labos d’une légitime récompense de leur travail on risquait fort de les « démotiver »…

S’abstenir d’adopter une mesure sous prétexte qu’elle ne produira pas d’effets immédiatement, n’est-ce pas l’exacte définition de la gouvernance à courte vue ?

D’autres, plus pragmatiques, rappelaient surtout que, pour satisfaisante qu’elle soit sur le plan des principes, la levée des brevets ne permettrait ni d’augmenter ni d’accélérer à court terme  la production de vaccins. Il ne suffit pas, expliquaient-ils, de connaître la « formule » : des infrastructures spécialisées sont nécessaires, ainsi que des ingrédients bien précis dont certains sont eux-mêmes couverts par le secret des affaires, un savoir-faire, un personnel qualifié…Tout ce dont beaucoup de pays à faible revenu, africains ou non, ne disposent pas.

Arguments réfutables

Tous ces arguments sont recevables… mais réfutables. La levée des brevets est certes insuffisante mais elle est nécessaire afin d’en élargir, à terme, la production. S’abstenir d’adopter une mesure sous prétexte qu’elle ne produira pas d’effets immédiatement mais dans un, deux ou trois ans, n’est-ce pas l’exacte définition de la gouvernance à courte vue ?

Pleurer sur les grands laboratoires privés de leurs chers bénéfices, c’est oublier les milliards de recettes déjà annoncés par les Pfizer et consorts, mais aussi les montagnes d’argent public déversées en urgence – et c’était parfaitement légitime – depuis un an pour les aider à développer, tester, fabriquer et distribuer à toute vitesse des milliards de doses de vaccins.

Le monde ne sera tiré d’affaire que lorsque l’ensemble de la planète sera immunisé.
la suite après cette publicité

Reste une dernière critique formulée par les défenseurs de la propriété intellectuelle : l’annonce de la levée de brevets serait en fait symbolique, née de motivations purement « morales ».

Au-delà du cynisme, on est surtout dans le contresens. Le Covid-19 est mondial, hautement contagieux, en mutation permanente. Les autorités sanitaires le répètent depuis le printemps 2020 : le monde ne sera tiré d’affaire que lorsque l’ensemble de la planète sera immunisé.

la suite après cette publicité

Laisser de côté un pays, voire un continent, se croire à l’abri parce que les voisins immédiats sont vaccinés et les frontières fermées, c’est laisser se créer dans d’autres régions du monde des incubateurs d’où le virus, tôt ou tard, surgira à nouveau. Rien de moral là-dedans, seulement une leçon que chacun, après un an de pandémie qui a fait de chaque téléspectateur un épidémiologiste en puissance, devrait logiquement avoir apprise.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires