Briser les clichés occidentaux et rendre ses couleurs à l’art africain
Au Musée des Confluences de Lyon, en France, l’exposition « Une Afrique en couleurs » enfin réouverte révèle comment les amateurs occidentaux, par goût pour la forme et attrait pour la nudité, ont façonné une vision fausse de la création africaine.
En entrant dans l’exposition Une Afrique en couleurs (Musée des Confluences, Lyon, jusqu’au 22 août 2021), c’est paradoxalement une image en noir et blanc qui saute aux yeux. Et pas n’importe quelle image, une oeuvre très connue du photographe Man Ray intitulée Noire et blanche, où l’on peut voir le visage pâle de Kiki de Montparnasse et, tenue par la muse, un masque baoulé d’un noir luisant.
L’effet recherché par les organisateurs de l’exposition ne prendra toute son ampleur qu’un plus tard, au moment de quitter les lieux. À la sortie, c’est en effet un tableau, lui aussi célèbre, qui salue le départ du visiteur. Autoportrait de l’artiste congolais Chéri Samba, un visage pelé comme une peau d’orange et tenant entre ses dents un pinceau. J’aime la couleur, clame le peintre populaire.
Entre ces deux moments, il y a un peu moins d’un siècle, mais les clichés ont la vie dure et il aura fallu attendre quelque 90 ans pour que soient rétablies certaines vérités.
Vision réaliste
Petite par la taille – 274 m² à peine – l’exposition Une Afrique en couleurs permet de remettre en question l’approche formelle qui a longtemps façonné le regard occidental sur les arts africains. « Nous avons souhaité offrir une vision plus proche de la réalité des arts africains, que l’on imagine habituellement plutôt sombres, explique Manuel Valentin, le commissaire scientifique de l’exposition. En Europe, on assiste en effet à une mise en valeur de la forme et on ne parle presque jamais de la couleur, si ce n’est à l’état de traces. En outre, la connaissance de la sculpture africaine s’est diffusée à travers la photo en noir et blanc. Pourtant, la couleur est aussi importante, si ce n’est plus importante que la forme ! »
L’ensemble de l’exposition et des œuvres qui y sont présentées visent à démontrer ce postulat… Et, incidemment, à corriger la manière de regarder l’art du continent. En commençant par le commencement, c’est-à-dire en s’intéressant aux peintures rupestres, les organisateurs rappellent l’importance d’une forme d’expression artistique trop souvent ignorée et pourtant très présente, des massifs du Sahara à l’Afrique australe (Algérie, Lesotho, Namibie…). Une forme d’expression où les pigments – charbon de bois, ocres – jouaient déjà un rôle majeur.
Pendant longtemps, ce sont d’ailleurs les pigments noirs, rouges et blanc qui dominent, avec de riches variations de teintes, de luminosité et de texture. « Quand on parle de couleurs en Afrique, il ne faut pas parler en termes de pigments, prévient néanmoins Manuel Valentin. Chaque ingrédient est chargé de significations. Par exemple, le noir de la cendre peut être apaisant car c’est une énergie refroidie. »
Diversité des matériaux
Aux quatre coins du continent, le vocabulaire chromatique et les significations symboliques des différentes teintes utilisées varient. Que vous soyez de culture bamana, yorouba ou zoulou, votre vision du blanc, du noir ou du rouge ne sera pas tout à fait la même. Chez les Bamana, le blanc renvoie ainsi à l’harmonie, à la joie, aux ancêtres.
Chez les Yoroubas, il évoque plutôt le début de la vie, la nouveauté, la pureté rituelle. Chez les Zoulous, c’est de la même manière la pureté et la renaissance, mais aussi la clarté, l’innocence, l’état spirituel. Un jour peut-être, une grande exposition s’attellera au décodage des couleurs privilégiées par les créateurs africains. Celle du Musée des Confluences ne le fait pas, préférant insister sur la diversité des matériaux utilisés, au cours des années, pour produire les différentes teintes souhaitées.
Une « Matériauthèque » ludique permet de comprendre à quel point ce qui reste pour un Occidental une graine, un coquillage, un caillou, une perle peut devenir, dans certaines cultures, un pigment. La matériauthèque présente ainsi des grains de rocou, des feuilles de henné, des graines d’Abrus Pecatorius, des boules de kaolin, du bois de Paduk, des bouchons de bouteilles en plastique ou encore… des crottes de serpents. Ces dernières sont notamment utilisées par les dogons pour produire le blanc qui couvre les masques, elles « contiennent l’énergie vitale de ces animaux ».
Ainsi, les couleurs utilisées sur le corps des humains peuvent parfois surprendre, comme ce bleu couvrant une statuette de maternité dotée d’une coupe à offrir les noix de kola (ville d’Abeokuta, au Nigeria). Il s’agit d’un bleu presque iridescent obtenu à partir d’un colorant artificiel importé en Afrique dès le milieu du XIXe siècle et qui servait à blanchir le linge. Mais pourquoi cette couleur qui n’a rien de réel? « Les carnations humaines qui n’ont rien à voir avec la réalité peuvent signifier que les objets appartiennent à l’émanation du monde invisible dans le vivant, précise Manuel Valentin. Ce bleu qui irradie en lumière du jour indique une “surprésence”. »
Brillance
Souvent, les créateurs ne recherchent pas seulement l’éclat ou la luminosité, mais aussi la brillance. En utilisant des métaux, du cirage… et évidemment, quand ils y ont accès, des peintures industrielles, « parfois additionnées d’autres substances, afin de les enrichir symboliquement pour conférer à l’objet un certain pouvoir ». « Cela donne ce que les Européens ont surnommé péjorativement les “masques Ripolin”, poursuit Valentin. Des masques dont ils ne voulaient pas, préférant des sculptures pâtinées jugées plus “authentiques”. »
Par fascination pour la forme ou en raison de leurs fantasmes autour de la nudité, les Occidentaux ont déshabillé les statuettes
Depuis la rencontre entre les arts africains et les amateurs ou collectionneurs occidentaux, c’est le goût de ces derniers qui va influencer durablement le regard porté sur les arts classiques africains, jusqu’à en pervertir parfois le sens. « Les représentations sculptées étaient souvent habillées, explique ainsi Manuel Valentin. Les textiles, porteurs de traditions très anciennes, vont valoriser la personne. Par fascination pour la forme ou en raison de leurs fantasmes autour de la nudité, les Occidentaux ont déshabillé les statuettes. C’est le cas partout sur le continent, les couleurs et les habits ont été gommés ! Aujourd’hui, il n’en est que plus difficile de redresser le regard ! »
L’exposition s’y emploie en s’appuyant notamment sur les collections données par Denise et Michel Meynet (680 pièces) et par Armand Avril (60 pièces) au Musée des Confluences. Malgré quelques digressions qui noient parfois un peu le propos (sur la sape, le wax) sans apporter d’éléments supplémentaires à la démonstration, elle y réussit. Et ouvre la voie à une nouvelle manière de voir riche d’enseignements.
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