« Thaksinator » et les généraux

Il fut Premier ministre, il est toujours milliardaire. Désireux de rentrer à Bangkok, Thaksin Shinawatra, aujourd’hui patron d’un grand club de foot anglais, négocie avec les militaires qui l’ont chassé du pouvoir il y a dix-sept mois.

Publié le 11 février 2008 Lecture : 3 minutes.

Renversé par un coup d’État militaire il y a dix-sept mois, Thaksin Shinawatra (58 ans), l’ancien Premier ministre – et milliardaire – thaïlandais, prépare son retour à Bangkok. Le 28 janvier, un de ses fidèles alliés, Samak Sundaravej, a été élu Premier ministre, confirmant la réorientation du pays sur la voie de la démocratie. Ancien gouverneur de Bangkok, ce dernier, qui a fait campagne sous la bannière du très populiste Parti du pouvoir du peuple (PPP), avatar de l’ancien parti de Thaksin dissous en mai 2006, n’a jamais caché qu’il agissait pour le compte de son ami. Lequel, exilé au Royaume-Uni, occupe fastueusement ses loisirs forcés. À l’instar de l’oligarque russe Roman Abramovich, patron du Chelsea FC, il s’est offert pour 122 millions d’euros un club de football de Premier League, Manchester City !
Le nouveau chef du gouvernement va sans doute faire voter une loi d’amnistie pour permettre à Thaksin de revenir à Bangkok. Ce dernier ne devrait pas être arrêté à sa descente d’avion, le ministère des Affaires étrangères ayant été confié, le 7 février, à son propre avocat dans les affaires de corruption pour lesquelles il est poursuivi. Pojamarn Shinawatra, son épouse, serait en train de négocier en haut lieu les conditions d’un retour de son mari, en mai. De son côté, Thaksin déclarait en décembre avoir « pour de bon renoncé au pouvoir » et n’envisager un retour « qu’en tant que simple citoyen ». Pourtant, il n’exclut apparemment pas de devenir conseiller politique du PPP. Ce qui pourrait poser problème : depuis le mois de mai 2007, il est interdit de toute activité politique pour cinq ans. Mais Thaksin n’est pas du genre à s’avouer facilement vaincu, comme en témoigne sa très aventureuse carrière
En 1978, quand il revient des États-Unis doctorat de criminologie en poche, il s’engage dans la police où, très vite, il est nommé lieutenant-?colonel. Suivant la tradition familiale, il investit ensuite dans un négoce de soieries, achète une salle de cinéma et se lance dans l’immobilier. Autant d’échecs cuisants dont il ressort criblé de dettes.
Il rebondit dans la production cinématographique et les techniques de communication. En 1990, profitant de l’essor de la téléphonie mobile, il crée sa propre compagnie, la Shinawatra Computer and Communication, qui, en quelques années, devient le plus important opérateur thaïlandais. Désormais richissime, Thaksin suit les traces de son ex-député de père et entre en politique. Dès 1994, il est ministre des Affaires étrangères. Sept ans plus tard, il est nommé Premier ministre.
Au pouvoir, il se révèle un gestionnaire efficace, notamment au lendemain du tsunami de décembre 2004. Les mesures économiques qu’il adopte – les « thaksinomics » – permettent à la Thaïlande de connaître un taux de croissance de 6 % en 2003 et, surtout, de rembourser de façon anticipée sa dette envers le FMI. Les classes supérieures et la bourgeoisie le honnissent. Mais il est adulé des petites gens, paysans de l’Isan (Nord-Est) ou habitants des zones urbaines défavorisées, en raison de sa politique sociale : microcrédits, prêts à taux réduit, couverture médicale et sociale bon marché, programmes de développement des PME rurales, etc.
Mais Thaksin, surnommé par certains « Thaksinator », a aussi sa part d’ombre. Depuis longtemps, il est dans le collimateur des associations de défense des droits de l’homme, qui ne lui pardonnent ni sa réponse musclée aux revendications des musulmans du sud du pays, ni la brutalité de la campagne antidrogue lancée par lui en 2003. En six mois, celle-ci s’est en effet soldée par plus de 2 500 morts suspectes
Aujourd’hui, le politicien milliardaire se refuse à envisager – sans l’exclure tout à fait – une nouvelle confrontation avec les militaires, dans l’hypothèse de son retour. Le 7 février, le général Chalit a semblé lui donner raison : au nom de la junte, il s’est publiquement excusé pour « les désagréments » occasionnés par le coup d’État de 2006.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires