Tel-Aviv, un ami encombrant

L’attaque du 1er février contre l’ambassade d’Israël relance la polémique autour de la normalisation des relations avec l’État hébreu décidée par le régime précédent.

Publié le 11 février 2008 Lecture : 4 minutes.

« Quand j’ai entendu les rafales de tirs, je me suis dit qu’il y avait un coup d’État », raconte Boubacar, un habitant de Nouakchott. Dans la nuit du 1er février, vers 2 heures du matin, un groupe d’hommes – six, selon des témoins – fait feu à l’arme automatique sur l’ambassade d’Israël à Nouakchott, dans le quartier résidentiel de Tevragh-Zeina. « J’ai immédiatement pris ma voiture pour aller voir ce qui se passait, poursuit Boubacar. J’ai vu des hommes vêtus de boubous et coiffés de turbans. Au départ, ils tiraient sur le Jardin et le VIP, le restaurant et la boîte de nuit attenants, puis sur l’ambassade elle-même. » Les gardes de la chancellerie, des militaires mauritaniens, ripostent. Après un échange de tirs qui dure une vingtaine de minutes, les assaillants finissent par prendre la fuite à bord de l’un de leurs deux véhicules, laissant une Mercedes sur les lieux. L’attaque a fait quelques blessés, mais aucun mort n’est à déplorer. Pendant ce temps, les habitants du quartier allument radios et télévisions, téléphonent à des amis, envoient des SMS. Le souvenir des coups de feu du 3 août 2005, quand le Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) a renversé Maaouiya Ould Taya (sans effusion de sang au final), est encore vif.
Mais cette fois, c’est un acte terroriste que vient de vivre le pays. C’est même « évident », du point de vue de Aryeh Mekel, porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères. Les auteurs sont-ils des combattants islamistes ? Dans une Mauritanie hantée par le meurtre, le 24 décembre dernier, de quatre touristes français par trois présumés djihadistes, la question se pose immédiatement. La cible, symbole de l’État hébreu, ennemi numéro un des extrémistes islamistes, le donne à penser. De même que les « Allah Akbar ! » (« Dieu est grand ! ») qu’auraient proférés les assaillants, selon certains témoins. Autre argument à l’appui de cette thèse : le 3 février, la chaîne qatarie Al-Jazira a fait état d’un communiqué d’Al-Qaïda revendiquant l’attaque. Pour certains observateurs, cependant, Israël ne serait pas la seule cible. « Les assaillants ont commencé par tirer sur le Jardin et le VIP, rappelle Mohamed Fall Ould Oumère, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire La Tribune. Tous deux sont fréquentés par des Occidentaux et passent, dans l’esprit de certains, pour des lieux de débauche. » Plus généralement, un certain mode de vie occidental, étranger aux préceptes de l’islam orthodoxe, pourrait avoir été visé. Reste que, tout comme les méthodes des « tueurs d’Aleg », le mode opératoire des assaillants de l’ambassade d’Israël témoigne d’un certain amateurisme, inhabituel chez les combattants d’Al-Qaïda
Une chose est sûre : l’attaque du 1er février fait ressurgir avec le fracas d’une rafale la question de la présence d’une chancellerie israélienne à Nouakchott, seule capitale d’un État membre de la Ligue arabe, avec Le Caire et Amman, à en accueillir une. Depuis la signature, en octobre 1999, de l’accord établissant des « relations pleines et entières » entre Nouakchott et Tel-Aviv, cette imposante bâtisse blanche, étroitement gardée, n’a jamais été vraiment acceptée par la classe politique. À l’époque, le président Ould Taya était isolé sur la scène internationale. Depuis plusieurs années, il cherchait à compenser le lent refroidissement de ses relations avec son ancien allié, Paris, qui sera scellé en 1999 par l’arrestation et l’inculpation en France, pour crimes de torture, du capitaine mauritanien Ely Ould Dah. En se rapprochant d’Israël, Nouakchott pouvait raisonnablement espérer obtenir un appui américain. En 1995, une « section d’intérêts » israélienne est créée dans l’ambassade d’Espagne à Nouakchott. Mais contrairement aux autres pays arabes ayant renoué – même partiellement, comme la Tunisie et le Maroc – avec Israël, la Mauritanie ne gèlera pas ses relations avec le gouvernement Netanyahou pour protester contre le blocage du processus de paix. Une indulgence qui aboutit, en 1999, à la normalisation des liens diplomatiques entre les deux pays.

Un sujet très sensible
Immédiatement, la création de l’axe Nouakchott/Tel-Aviv est perçue par l’opposition comme une trahison des « frères » palestiniens. Depuis, le sujet revient régulièrement à l’ordre du jour. Au lendemain du coup d’État du 3 août 2005, certains attendent des militaires qu’ils rompent avec l’État hébreu pour marquer leur différence avec le régime précédent. Même requête pendant la guerre du Liban, en juillet et en août 2006. Et pendant la campagne présidentielle de mars dernier. Dans une interview à Jeune Afrique, le candidat Ahmed Ould Daddah, figure historique de l’opposition, déclare qu’il a « toujours été contre » les relations diplomatiques avec Israël. Plus récemment, le 27 janvier, au lendemain du blocus de la bande de Gaza, le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, appelle le gouvernement à « reconsidérer » ses relations avec l’État hébreu, les jugeant « honteuses ». Une semaine auparavant, un millier d’étudiants manifestent à Nouakchott pour témoigner leur solidarité avec les habitants de Gaza.
Le président Cheikh Abdallahi, lui, maintient la position adoptée avant son élection : la question doit être posée au peuple. Mais comment connaître son avis ? « Cette question dépasse les Mauritaniens, estime un observateur. C’est loin d’être leur priorité. Mais la classe politique instrumentalise le sujet pour affaiblir le pouvoir. » D’un point de vue économique, les relations avec Israël se traduisent notamment par le financement des appareils médicaux et la rémunération des médecins de l’hôpital cancérologique, dont l’inauguration est prévue en 2008, ainsi que par l’accueil de stagiaires à Tel-Aviv. Une rupture avec l’État hébreu remettrait surtout en cause l’appui américain et, partant, affaiblirait le pays sur la scène internationale.

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