Nesrine Slaoui, singulièrement légitime
Dans son livre « Illégitimes », la journaliste française d’origine marocaine revient sur son parcours et sur celui de ceux et celles qui, comme elle, cherchent à échapper aux rôles sociaux préétablis.
Lors du premier confinement consécutif à la pandémie de Covid-19, beaucoup se sont posés la question : où et avec qui se confiner ? Nesrine Slaoui a choisi un retour aux sources, à Apt (Vaucluse) chez ses parents, au lieu de Paris, où elle vit.
Plutôt que d’écrire un journal de confinement qui rimerait avec enfermement, la journaliste chez Loopsider et chroniqueuse sur France 4 s’ouvre sur son parcours jusqu’à Sciences Po, sur l’histoire de sa famille, sur d’autres « illégitimes » qu’elle dépeint et les réflexions que ces trajectoires lui inspire : « J’ai écrit un texte sur Twitter repéré par mon actuelle éditrice, nous explique l’autrice française d’origine marocaine né en 1994. Je l’avais appelé “Anti-journal de confinement” parce que je voulais raconter comment les milieux ruraux, les ouvriers vivaient cette période. Forcément, je ne pouvais le faire sans évoquer mon propre parcours, un pied dans chaque milieu. »
« J’étais surtout une Maghrébine »
L’idée d’écrire un livre remonte à plus loin : « Quand j’étais étudiante à Sciences Po Paris, j’ai réalisé des entretiens d’étudiants issus de milieux populaires et/ou de milieux ouvriers. On retrouve d’ailleurs Rayan et Maxime dans le livre. Le titre Illégitimes date de cette époque, en 2017. »
Le premier jour de sa rentrée scolaire dans la grande école, Jean, un de ses camarades, lui lance : « Nesrine, tu as pris la place de ma sœur ». Sa sœur ayant raté le concours, il lui renvoie toute sa condescendance de classe. « J’étais surtout une Maghrébine, avec une gueule de Maghrébine, un corps de Maghrébine. Non seulement j’avais fait incursion dans leur univers mais en plus, je la ramenais. Je m’étais échappée des rôles sociaux préétablis, d’une place assignée », écrit Slaoui à propos de cet épisode, « la première remarque d’une longue liste ».
Inégalités sociales
L’illégitimité est déclinée au pluriel « parce que toutes les personnes racontées dans ce livre, de mon grand-père aux camarades de Sciences Po, sont illégitimes au regard des critères de légitimité que la société a créé. » Mais chaque trajectoire est singulière.
La sienne part de loin. De son grand-père, à qui elle consacre des pages en forme d’hommage : « Nos vies ont prospéré sur les lambeaux de son exil, de ses sacrifices et de son courage. C’est épigénétique ; nous portons tous ses souffrances, consciemment ou non. » Ainsi détricote-t-elle le fil de sa généalogie qui porte les germes de celle qu’elle est devenue. Et charrie son lot d’émotions, qui donne une dimension supplémentaire à son roman.
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Elle se voit comme une exception plutôt que comme le signe d’un changement structurel profond
Reprenant la thèse du sociologue Pierre Bourdieu sur la reproduction sociale, elle se voit comme une exception plutôt que comme le signe d’un changement structurel profond : « La chose la plus compliquée avec nos récits, c’est de ne pas devenir des alibis de la méritocratie parce que les chiffres le montrent, la situation sanitaire encore plus : les inégalités sociales se creusent. Et si nous sommes arrivés à passer à travers les mailles du déterminisme social, c’est qu’en un sens nous avons certains privilèges que d’autres non pas. Pour moi, c’est le fait d’être fille unique. »
Une voix qui compte
Fille unique… et voix unique, qu’elle veut continuer à porter, affichant son ambition : « Depuis toujours, je veux avoir une voix qui compte. C’est lié à la frustration du manque de représentativité que j’ai vécu toute ma jeunesse. Je veux écrire, je veux produire du savoir journalistique ou littéraire et je veux m’appliquer la rigueur que cela nécessite. Je suis surtout très fière de voir qu’on est de plus en plus nombreux parce que le vrai enjeu est là : nous ne sommes pas un bloc uni qui pense pareil, nous ne pouvons pas être rangés sous l’étiquette de “diversité” et le vrai objectif c’est d’aboutir à la pluralité de nos origines autant que de nos discours. »
Gageons que la journaliste et écrivaine saura longtemps porter sa voix singulière et la fera résonner chez les autres à travers la seule diversité porteuse de sens, celle de ses talents.
Illégitimes, de Nesrine Slaoui (éd. Fayard, 18 euros, 193p.)
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