Ping, Kadhafi et les secrets d’une élection

Le choix du vice-Premier ministre gabonais pour diriger l’organisation continentale constitue un sérieux revers pour le « Guide » libyen, qui a remué ciel et terre pour imposer son candidat. Voyage dans le huis clos d’un sommet qui a tourné au psychodrame

Publié le 11 février 2008 Lecture : 4 minutes.

Drôle d’ambiance que celle qui a prévalu lors du dixième sommet de l’Union africaine (UA), du 31 janvier au 2 février. Il faut dire que ces assises, officiellement consacrées à l’industrialisation du continent, devaient avoir pour point d’orgue l’élection d’une nouvelle Commission. L’actuelle, présidée par l’ancien chef de l’État malien Alpha Oumar Konaré, ayant achevé son mandat en septembre 2007. Mais au lieu d’une campagne électorale tous azimuts, on a eu droit à un psychodrame avec un scénario écrit, une nouvelle fois, par Mouammar Kadhafi. Le premier épisode commence le 18 janvier à Ouagadougou au sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), où le « Guide » est invité. Il y surprend ses hôtes en leur faisant part de sa décision de présenter la candidature d’Ali Abdessalam Treiki, son éternel « monsieur Afrique », dans la course à la succession de Konaré. Contre le prétendant gabonais Jean Ping, qui séjourne également dans la capitale burkinabè et dont il suggère purement et simplement le désistement.
Les chefs d’État sont d’autant plus surpris qu’ils allaient officiellement entériner leur soutien à Ping – ce qu’ils feront en définitive. Kadhafi ne jette pas pour autant l’éponge. Dans la foulée de Ouaga, il « convoque » – c’est le deuxième épisode – un mini-sommet qui réunit, le 26 janvier à Tripoli, sept chefs d’État. Sont présents le Sénégalais Abdoulaye Wade, le Soudanais Omar el-Béchir, le Tchadien Idriss Déby Itno, le Mauritanien Sidi Ould Cheikh Abdallahi, l’Érythréen Issayas Afewerki et le Gabonais Omar Bongo Ondimba (OBO). Le dossier Tchad-Soudan, prétexte de la rencontre, fait rapidement place à la candidature de Treiki. Le « Guide », qui prend ses caprices pour des ordres, entend obtenir d’OBO qu’il retire Ping de la course. Mais rien n’y fait. Le Gabonais refuse d’obtempérer.
Le va-tout se jouera à Addis-Abeba. Mais auparavant, Kadhafi organise, le 30 janvier à Tripoli, une conférence de presse pour « transmettre à la planète » son message : « Jamais les instances panafricaines n’ont eu à leur tête un ressortissant d’Afrique du Nord. J’assimile cela à du racisme à l’égard des Arabes. » Il enfonce le clou dès son arrivée dans la capitale éthiopienne, où il convoque une réunion extraordinaire des chefs d’État membres de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad). Et prend immédiatement la parole pour proférer cette menace : « Si ce 10e sommet ne se conclut pas avec un gouvernement d’union et un calendrier ferme sur la création des États-Unis d’Afrique, je quitte les instances de l’UA. » Un ange passe. Mais aucun chef d’État présent ne le supplie de changer d’avis.
Suspense également dès l’ouverture des travaux, le 31 janvier : y aura-t-il élection des membres de la Commission ou report et prolongation du mandat de Konaré ? En tout cas, pour les partisans du vote, il est hors de question que la candidature de Treiki soit maintenue. Au cours du huis clos, Kadhafi réitère sa menace : « À défaut d’un gouvernement d’union à l’issue de nos travaux, la Libye se retirera de l’UA, comme elle mettra fin à ses investissements en Afrique et récupérera les 5 milliards de dollars qu’elle a investis dans les économies africaines. » Même assortie de « sanctions » financières, l’intervention reste sans réponse.
Le lendemain, les hypothèques sur la tenue de l’élection ne sont toujours pas levées. Kadhafi ne désespère pas d’obtenir le report du scrutin s’il ne parvient pas à imposer son poulain. Et s’allie avec le chef de file des partisans de l’ajournement du vote : Thabo Mbeki. Lequel ne plaide pas pour le maintien de Konaré par affinité avec lui, mais plutôt parce qu’il considère que celui qui a le plus de chances de succéder au Malien, le Gabonais Jean Ping, n’est pas le meilleur atout pour l’Afrique. Il lui reproche une trop grande proximité avec la France, un pays qui, aux yeux du Sud-Africain, intervient un peu trop dans les affaires du continent. Kadhafi boit du petit-lait. Il croit qu’avec Mbeki la bataille de la succession n’est pas perdue. Mais tous deux se rendent rapidement compte que leur démarche ne peut aboutir sans le soutien du chef de l’État gabonais.
Une réunion à trois est improvisée. Kadhafi plaide pour un retrait pur et simple de la candidature de Ping. Réponse de Bongo Ondimba : « Le Gabon fait campagne depuis plus d’une année. Que diraient nos amis et nos soutiens si aujourd’hui nous nous défaussions ? » Kadhafi insiste : « Vous conviendrez avec moi que la Libye est à la base de la création de l’UA. Refuser la candidature de Treiki serait faire preuve de racisme. » OBO ne s’est pas laissé impressionner, qui, poliment mais fermement, est resté sur sa position. Contrairement aux dirigeants occidentaux, qui n’hésitent plus à accueillir le « Guide » et, surtout, ses pétrodollars, avec bouquets de salamalecs, fifres, tambours et tapis rouge.
Rien de tel à Addis, où Kadhafi en a eu pour son grade. Assez pour quitter bruyamment la salle de conférences, quand, le 1er février, le sommet décide de voter. Sans que son départ n’ait eu aucune incidence sur la suite des travaux et n’ait pu empêcher l’élection de Jean Ping. Dès le premier tour.

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