Où va Dagris ?

Au terme d’une privatisation chaotique, l’État français vient de céder l’entreprise cotonnière au groupe Advens et à l’armateur CMA-CGM. Est-ce la fin des ennuis pour la filière coton ?

Publié le 11 février 2008 Lecture : 7 minutes.

Le président du groupe français d’oléagineux Sofiprotéol, Xavier Beulin, a de bonnes raisons d’avoir des regrets. « Lors de la première privatisation de Dagris, qui avait conduit à notre victoire en février 2007, la cellule africaine de l’Élysée m’avait demandé d’attendre la fin du processus pour présenter notre projet. Je le déplore, car nous avons été mal compris. Ensuite, nous avons pâti du changement d’exécutif », analyse-t-il sous forme d’aveu. La suite des événements lui donne raison. Les représentants des 1 840 salariés de Dagris en appellent, en juillet, aux chefs d’État africains après avoir lancé une véritable guérilla judiciaire à Paris contre une opération jugée « opaque ». Des ministres africains, inquiets par la tournure des événements, envoient alors des courriers à Paris pour demander des éclaircissements. Parallèlement, Nicolas Sarkozy succède à Jacques Chirac, aux affinités supposées avec le lobby agro-industriel tricolore. Le président sénégalais Abdoulaye Wade monte au créneau en juin, lors de sa visite en France, et demande à son homologue que les partenaires du Sud soient associés. Au final, après avoir annulé le 9 novembre 2007 cette première procédure très mal engagée, le ministère français de l’Économie et des Finances annonce, le 30 janvier, la cession de gré à gré de 51 % de l’entreprise cotonnière au grand rival : Géocoton, emmené par Advens (51 %) et l’armateur CMA-CGM (49 %).
Sur une valorisation de la société estimée à 24 millions d’euros par la banque conseil de l’État, Rothschild & Cie, le vainqueur a surenchéri à 25 millions – soit 12,7 millions pour 51 % du capital – en reprenant les termes de l’offre qu’il avait présentée, hors procédure, en juillet 2006. Moins disant, le consortium Sodaco, réunissant Sofiprotéol (47,5 %), le fonds d’investissement IDI (47,5 %) et Antoine Gendry (5 %) – qui avait proposé 7,7 millions d’euros pour 64,7 % des parts en 2006 – est resté sur les mêmes niveaux. C’est la fin d’un long feuilleton pour le contrôle de l’un des derniers vestiges de l’empire colonial présent sur le continent via dix filiales et des participations minoritaires dans dix-huit autres sociétés. Sur la campagne 2006-2007 en Afrique francophone, la production totale de fibre de coton a été de 855 000 tonnes sur un total mondial dépassant les 20 millions de tonnes. Les sociétés ayant Dagris dans leur capital ont traité 635 000 tonnes. Cette quantité considérable a toujours placé l’ex-Compagnie française pour le développement des fibres textiles (CFDT) aux avant-postes de la coopération en lui conférant, également, une place stratégique dans l’articulation de l’aide au développement. Le coton fait vivre, directement ou indirectement, plus de 16 millions de personnes en Afrique de l’Ouest. Il assure plus de 60 % des recettes d’exportation du Burkina Faso ou du Bénin, 30 % du Togo ou bien encore 28 % du Mali. Son poids dans l’économie de ces pays a doublé en moyenne entre 1980 et 2000 et représente entre 5 % et 8 % du PIB, selon l’Agence française de développement (AFD). De quoi raviver une sourde mais virulente bataille livrée par les derniers survivants de la Françafrique. Et pourtant, la situation comptable du groupe et l’état de la filière coton ont de quoi effrayer tout bon financier.
« Le prix de Dagris reposait en fait sur la valeur que pense pouvoir créer le repreneur. Car sinon, le passif l’emporte sur les actifs plombés par les dettes, la double hypothèque bancaire sur le siège parisien et des pertes d’exploitation continues depuis plusieurs années », explique un proche du dossier (voir encadré ci-dessous). À ce petit jeu, le patron d’Advens, Abbas Jaber, s’est montré le plus ambitieux, voire le plus audacieux. Avec quelques atouts en main. Trader de céréales en Afrique de l’Ouest et producteur d’huile d’arachide au Sénégal avec Suneor – l’ancienne Sonacos acquise en 2005 aux dépens déjà de Sofiprotéol -, il contrôle également à hauteur de 51 % Transrail, qui exploite la ligne de chemin de fer entre Dakar et Bamako. Adossé au troisième armateur mondial, il a par ailleurs trouvé un partenaire aux reins solides. En 2006, CMA-CGM a affiché un chiffre d’affaires de 6,6 milliards d’euros. Mieux, depuis le rachat de Delmas au groupe Bolloré en 2005, cette compagnie développe le trafic maritime entre le continent et la Chine, qui absorbe la moitié des exportations africaines de coton.

De nombreuses inconnues
En face, Sodaco n’a pas su redresser la barre. « Même si personne ne pensait que Dagris était dans une telle situation, le résultat de la première procédure n’était pas satisfaisant, le projet industriel manquait de précision et le prix restait trop bas. Qui plus est, la contre-proposition de Jaber présentait un risque de contentieux car elle déclassait l’offre de Sofiprotéol. L’État donnait l’impression d’avoir bradé son patrimoine », reconnaît après coup un haut fonctionnaire. « Notre dossier repose sur trois critères : le passif de la société, les inconnues sur le fonds de retraite des salariés et l’hypothèque bancaire », expliquait, avant le verdict, Xavier Beulin qui misait sur l’expérience reconnue de Sofiprotéol dans les oléagineux avec les huiles Lesieur ainsi que sur la force financière de ce géant agro-industriel. Autant d’ingrédients qui devaient faire la différence. « Nous avons toujours joué l’honnêteté », concluait-il, démentant les accusations de favoritisme à l’Élysée dont il aurait bénéficié l’année dernière. Quoi qu’il en soit, sa récente tournée séduction en janvier au Sénégal et au Burkina Faso, où il s’est entretenu avec les présidents Abdoulaye Wade et Blaise Compaoré, n’aura pas suffi. Si l’entretien à Ouagadougou a été chaleureux, celui de Dakar aurait été moins convivial. « Dakar soutenait Advens », prétend un observateur rappelant les relations d’amitié entre le Franco-Sénégalais Abbas Jaber et le fils du président, Karim Wade. « Toutes ces considérations n’ont pas de sens, rétorque une personne qui a suivi le processus de privatisation depuis ses débuts. Il n’y a jamais eu de conflit d’intérêts au profit de Sofiprotéol, l’existence de réseaux est pur fantasme et les pouvoirs publics ont toujours été indifférents à l’identité du repreneur du moment que la pérennité de la filière était assurée. Tout cela a été mis en scène. J’en veux pour preuve que tous les candidats ont été reçus à l’Élysée. Les capitales africaines n’ont jamais exprimé une préférence. Au final, c’est l’offre financière qui a fait la différence. »
À présent, il s’agit de relancer une activité et une entreprise en perte de vitesse. « Nous allons nous recentrer sur l’Afrique, sans doute mettre un terme aux aventures en Ouzbékistan et en Afghanistan. Nous nous interrogeons également sur notre présence au Brésil », avance le nouveau propriétaire de Dagris, persuadé d’avoir dû surmonter l’hostilité de l’establishment parisien. « Nous voulons associer les paysans et développer les crédits de campagne pour leur permettre d’augmenter leur production et leur rémunération. Nous allons également rationaliser le processus industriel et optimiser l’activité trading », poursuit Jaber, qui a lancé la construction d’une plate-forme de stockage de 15 000 tonnes au port de Dakar. Ainsi, il assure pouvoir stopper l’hémorragie dans les filiales sans passer par la fermeture d’usines d’égrenage. « Ensuite, des synergies colossales sont possibles avec les produits dérivés que sont l’huile et le tourteau », conclut-il. Selon Advens, le potentiel de production d’huile d’arachide et de coton est de 300 000 à 400 000 tonnes. De quoi atteindre la taille critique pour résister aux importations d’huile de soja venue d’Asie. Le total des investissements est estimé à 20 millions d’euros sur les cinq prochaines années.

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Les prix sont à la baisse
Il n’est pas certain que cela soit suffisant. Si entre 1994 et 1997 les producteurs ont bénéficié d’une hausse des cours mondiaux et de la dévaluation du CFA, la situation s’est ensuite inversée. En 2001, le prix a chuté à 35 cents la livre tandis que la zone franc subissait de plein fouet les effets à l’exportation de l’euro fort. À l’inverse, le coût des intrants importés et achetés en dollars a été majoré. L’effet de ciseau a été redoutable. Depuis, les surfaces cultivées, les prix d’achat aux paysans et les niveaux de productions sont orientés à la baisse (voir, infographies). Le tout dans un contexte de forte incertitude liée aux programmes de privatisation des différentes sociétés cotonnières. Le revenu brut annuel de la filière en Afrique francophone est ainsi passé de 790 millions de dollars en 2005 à 505 millions en 2007, selon une estimation de Dagris. C’est d’autant plus regrettable que, le coton africain, reconnu comme étant de très bonne qualité, bénéficie par ailleurs d’un coût de production compétitif. L’International Cotton Advisory Committee (ICAC) évalue le prix de revient de la fibre africaine à 1,32 dollar le kg contre 1,37 dollar en Australie ou 1,48 dollar aux États-Unis. Seuls le Brésil et la Chine sont mieux placés. Alors que les cours sont de nouveau orientés à la hausse (autour de 70 cents), l’Afrique a sans doute l’opportunité de relever la tête. Dagris avec.

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