Le visa de Mohamed

Publié le 11 février 2008 Lecture : 2 minutes.

Vingt ans que Mohamed Tlili n’est pas sorti de sa ville natale. « Que celui qui veut me voir vienne à moi ! », a l’habitude de clamer cet anthropologue de 60 ans, originaire du Kef, dans le nord-ouest de la Tunisie. Ce n’est pas que Mohamed se prenne pour le Christ, qu’à Dieu ne plaise ! Mais le bonhomme a quelques raisons de rechigner à quitter une cité qui le considère comme le gardien de sa mémoire et où il a fini par devenir une curiosité aussi visitée que la casbah, dont il fut, lui-même, le restaurateur.
Au Kef, il suffit de prononcer le nom de Tlili pour que l’on vous désigne la petite librairie qui sert de lieu de rêve pour des jeunes, étudiants ou chômeurs, reliés au monde par la magie de la connexion Internet qu’il a installée sur ses propres deniers. Celle-là même grâce à laquelle il a communiqué durant sept ans avec son directeur de thèse pour un travail dédié à la France, en quelque sorte, puisque le chercheur était inscrit dans une université française, sous le patronage de professeurs français, et venait de rédiger quelque trois mille pages en français. Le jour J, voilà que Mohamed quitte les collines qui l’ont vu naître pour se rendre à Tunis et de Tunis à Paris, afin de présenter ses travaux.
Sauf que, dans sa retraite, Mohamed a oublié que la France avait changé. Qu’un certain Hortefeux faisait rempart contre l’arrivée de nouveaux émigrés, fussent-ils brillants chercheurs. « Au consulat, ils m’ont demandé tellement de papiers ! s’étonne-t-il. Il ne manquait plus que l’acte de décès ! » Une fois le dossier réuni, il espère avoir son visa rapidement. Nous sommes le 7 janvier. « Ce sera dans trois semaines, au moins. » « Ma soutenance est fixée pour le 12 janvier ! » tente Tlili. « C’est la loi », s’entend-il répondre.
Le Tout-Tunis pro-keffois se mobilise. « Revenez le 14 », dit le préposé aux visas. « Je ne vais pas faire du shopping, Monsieur, je vais soutenir une thèse dont la date a été fixée depuis des mois. » On croit qu’il va enfin obtenir le sésame. Il lui manque des justificatifs de salaire. Nous sommes le 9 janvier. Il lui faut repartir d’urgence au Kef, 400 km aller et retour. À 17 heures tapantes, Mohamed est devant le consulat. Trop tard. Demain matin ? Fermé. « Pourquoi, Monsieur ? » « C’est l’Aïd. » « Ils pratiquent des horaires français, chôment les fêtes musulmanes », constate Mohamed, avant de conclure, serein : « Si c’est cela, l’échange civilisationnel, je ne suis pas contre. »
Nouveau suspens, nouvelle attente. Épuisé, Tlili tombe dans les pommes. Secours et émotion. Un responsable compréhensif. Le visa est accordé. Quelqu’un reprend en sourdine la devise locale : « Toi, France chérie, tu peux changer de couleur, rougir ou bleuir, mais ton cur restera toujours blanc à notre égard ! » N’empêche. Tlili aurait pu rater le fruit d’un travail auquel il a consacré quelque dix années.
Détail : le sujet de la thèse de Mohamed concerne l’histoire ancienne du Kef, une quête d’enracinement, en quelque sorte. Quant à sa devise, il l’emprunte à l’anachorète Basile : « Seuls sont immortels ceux qui ne changent pas de place ! »

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