Les frères ennemis et le troisième larron

Le « Super Tuesday » du 5 février n’a rien réglé : Hillary Clinton et Barack Obama devront se battre jusqu’à la dernière primaire pour décrocher l’investiture du parti démocrate pour la présidentielle du mois de novembre. Et si ce combat fratricide – et f

Publié le 11 février 2008 Lecture : 6 minutes.

Un mois après le début de la course à la Maison Blanche, le rapport des forces entre les différents candidats à la candidature s’est considérablement simplifié. Dans les deux camps. Après les primaires du mardi 5 février dans une bonne vingtaine d’États (que les Américains appellent le « Super Tuesday ») et celles du samedi 9, trois candidats conservent toutes leurs chances de participer à l’élection présidentielle du 4 novembre : John McCain chez les républicains ; Hillary Clinton et Barack Obama chez les démocrates. Ce qui ne veut pas dire que le suspense ait diminué.
Chez les républicains, McCain se détache du lot : il est sorti nettement en tête du Super Tuesday – qui avait causé sa perte contre George W. Bush, il y a huit ans -, l’a emporté dans les grands États (Californie, New York, New Jersey) et dispose de deux fois plus de délégués à la convention républicaine que ses rivaux de la droite religieuse réunis. Et dire qu’il avait failli jeter l’éponge au cours de l’été, faute d’argent !
L’homme d’affaires mormon Mitt Romney s’est finalement résolu à se retirer le 7 février. Ses délégués voteront sans nul doute pour le pasteur évangélique Mike Huckabee, dont la campagne se trouve ainsi relancée. À eux deux, ils avaient, le 5 février, remporté douze États, notamment dans le Sud, la fameuse Bible Belt.
Le 6 février, McCain totalisait 707 délégués, Romney 269 et Huckabee 195. Pour être désigné comme le candidat du parti républicain, il en faut 1 191. Selon tous les commentateurs, la performance honorable du duo Romney-Huckabee ne fait que repousser l’inéluctable échéance.
François Fillon, le Premier ministre français, ne s’y est pas trompé : les Français seraient selon lui bien avisés de « regarder d’un peu plus près » la candidature McCain. Bernard Kouchner, son ministre des Affaires étrangères, se montre en revanche plus circonspect et redoute que la politique étrangère américaine – en particulier vis-à-vis de l’Irak et de l’Iran – « ne change pas considérablement » si ce dernier venait à l’emporter, en novembre. De son côté, Gordon Brown, le Premier ministre britannique, a reçu à sa demande McCain, de passage à Londres le 8 février, mais en prenant soin de préciser qu’il n’avait « aucun avis sur l’identité du prochain président américain ». On ne sait jamais.
Chez les démocrates, la situation est beaucoup plus confuse. Lors du Super Tuesday, Obama a remporté un plus grand nombre d’États (13), mais a été devancé dans les plus peuplés, tels New York et la Californie. À ce jour, Clinton peut compter sur 1 045 voix – y compris celles des « super-délégués » (voir encadré ci-contre) – et le sénateur africain-américain sur 960. Pour devenir le candidat du parti démocrate à la Maison Blanche lors de la convention nationale, il faudra 2 025 voix.

Le vent tourne
Rien n’est donc joué, mais le vent semble tourner en faveur des républicains. Avant le Super Tuesday, les démocrates profitaient à plein de l’impopularité du président sortant et de la combativité de leurs deux champions. Mais ces derniers ne vont à l’évidence pas pouvoir éviter une longue – et coûteuse – lutte fratricide jusqu’à la fin des primaires. Alors que leurs adversaires ne devraient pas tarder à se mettre en ordre de bataille derrière McCain.
Reste que, dans les deux partis, une fracture est aisément décelable. Chez les républicains, elle est idéologique. La droite religieuse – « born again Christians » et/ou évangéliques – n’aime pas McCain, beaucoup trop « centriste » à leur goût. Si ce pilote de chasse, ancien prisonnier au Vietnam et sénateur de l’Arizona, a réussi à faire oublier aux Américains le fiasco irakien, malgré son soutien constant à la politique de l’administration Bush, c’est qu’il a adopté une position plus ouverte dans de nombreux domaines.
Il condamne, par exemple, la torture, souhaite l’adoption d’une législation pour lutter contre le réchauffement climatique et a soutenu un projet de loi visant à régulariser les immigrés clandestins. Il est perçu comme le républicain le plus capable d’assurer la sécurité du pays, mais les libertés qu’il prend avec l’orthodoxie conservatrice lui valent la haine tenace des évangéliques, qui influencent un bon tiers de l’électorat républicain. Nombre d’entre eux parlent de s’abstenir en novembre si McCain est désigné. Pour faire obstacle à leur bête noire, ils avaient tendance à éparpiller leurs suffrages entre Romney et Huckabee, attitude suicidaire à laquelle le retrait du premier va remédier.
Chez les démocrates, la fracture n’est pas moins nette, mais elle est sociologique. Il est possible de dessiner à grands traits les profils respectifs des partisans du sénateur de l’Illinois et ceux de la sénatrice de New York. Obama séduit surtout les Noirs, bien sûr, mais aussi les jeunes, les hommes blancs, ceux qui disposent d’un niveau d’éducation et de revenus supérieurs à la moyenne, et la base du parti. Clinton a la préférence des femmes, des seniors, des électorats hispanique et asiatique, des plus défavorisés et de l’appareil du parti.
Les stratégies adoptées par les candidats les mieux placés vont naturellement dépendre des nécessités qui s’imposent à eux. McCain a besoin d’éliminer rapidement son dernier rival conservateur, car il n’est pas très riche et faire campagne coûte très cher. C’est pourquoi il se positionne comme le candidat inévitable : « J’étais le perdant, il y a peu. Il me semble que je suis désormais celui qui mène la course. » Pour se réconcilier avec la droite chrétienne, il pourrait être tenté d’infléchir son discours dans un sens plus conservateur, mais la voie est étroite s’il ne veut pas s’aliéner l’électorat modéré. Il insistera sans nul doute sur le fait que, comme le montrent les sondages, il est le seul à pouvoir battre Clinton ou Obama. Enfin, on commence à susurrer dans les rangs républicains qu’il pourrait proposer à Huckabee de devenir son vice-président.
En face, les deux candidats font profil bas de peur de commettre une bourde qui pourrait se révéler fatale tant leur lutte est serrée. Personne n’a donc crié victoire au soir du Super Tuesday. Hillary Clinton, par exemple, s’est contentée d’un jubilatoire et modeste « ce n’est pas fini ». Il est vrai que les derniers sondages la donnaient battue À l’avenir, l’ex-couple présidentiel devrait s’abstenir d’insister lourdement, comme il l’a fait ces dernières semaines, sur la couleur d’Obama. Cette stratégie censée déclencher une réaction de rejet dans un corps électoral jugé peu favorable aux minorités a été un fiasco. C’est le contraire qui s’est produit, tandis que la communauté noire, autrefois acquise aux Clinton, basculait dans le camp d’Obama.

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Chasse aux dollars
Hillary va maintenant devoir trouver de l’argent, beaucoup d’argent. Le fait qu’elle a été contrainte de prélever 5 millions de dollars sur sa cassette personnelle pour financer sa campagne montre que, sur ce plan, ses partisans sont moins mobilisés que ceux de son adversaire. Ces derniers ont réussi à collecter 32 millions de dollars au mois de janvier. Ceux de la sénatrice ont dû se contenter de 13,5 millions.
« Notre temps est venu, notre mouvement est une réalité, le changement arrive en Amérique », s’enthousiasme Obama. Plus que jamais, il se positionne comme le candidat du changement et, pour compenser son manque d’expérience – sur lequel son adversaire ne cesse d’insister -, joue avec conviction le rôle d’outsider, où sa fraîcheur et sa force de conviction font merveille.
Clinton et Obama devront aussi résister – sans le briser, car on ne sait jamais – au rêve de la base démocrate de les voir constituer un « ticket » (l’un étant président, l’autre vice-président). Ce scénario n’est pas aberrant tant leurs programmes sont proches, qu’il s’agisse de l’économie, de la protection sociale ou de l’environnement, mais la question de savoir qui sera le numéro un devra être préalablement tranchée. La réponse pourrait se faire attendre jusqu’au 3 juin, date de la dernière primaire démocrate, dans le Montana et le Dakota du Sud.
Quoi qu’il en soit, cette campagne présidentielle est d’ores et déjà la plus longue de l’histoire électorale américaine. Elle sera aussi la plus chère. En 1988, celle de George Bush père avait coûté 59 millions de dollars. En 2004, son fils avait dépensé 693 millions pour se faire réélire. On devrait cette année avoisiner 1 milliard de dollars, le magazine Fortune avançant même le chiffre de 3 milliards. Décidément, la Maison Blanche est moins que jamais à la portée des amateurs et des idéalistes !

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