Le mystère Katoucha

Dans la nuit du 31 janvier au 1er février, la « Princesse peule », ex-égérie de Saint Laurent, Mugler et Calvin Klein, rentre à son domicile, une péniche amarrée à un quai de la Seine, à Paris. Depuis, on est sans nouvelle d’elle. Tous les scénarios, même

Publié le 11 février 2008 Lecture : 4 minutes.

A Baro, à quelques encablures de Kouroussa, au cur du pays mandingue guinéen, les karamokokés (« féticheurs » en malinké) manient les philtres magiques et jettent des offrandes dans la mare qui, selon la légende, baigna et rendit invincible l’empereur Soundiata Keïta Ils implorent les dieux d’élucider le mystère de la disparition de Khadiatou, fille de Djibril Tamsir Niane, lui-même issu du mariage d’une femme de la famille régnante de Baro et d’un officier sénégalais. À l’autre bout la Guinée, de Labé à Mamou et de Mali Yembéring à Tougué, les marabouts peuls égrènent leur chapelet pour celle que tout le monde connaît sous son nom d’artiste, Katoucha, et dont la mère descend d’un imam du Fouta Djalon.
Ex-top-modèle (1978-1993), la « Princesse peule » reste en effet introuvable depuis la nuit du 31 janvier au 1er février. On sait que vers 1 heure du matin elle a regagné, à pied et sous la pluie, son domicile : une péniche amarrée sur la Seine, près du pont Alexandre-III, à Paris. Depuis, aucune nouvelle. Les couturiers Paul Lanvin, Thierry Mugler, Paco Rabanne et Yves Saint Laurent ont multiplié les initiatives, y compris de discrètes pressions auprès de la police pour qu’elle retrouve au plus vite celle qui, tour à tour, fut leur égérie. De l’autre côté de l’Atlantique, leurs confrères américains Calvin Klein, Geoffrey Bean et Ralph Lauren, dont elle a également présenté les créations, se tiennent régulièrement informés du déroulement de l’enquête.
À 47 ans, l’ex-star des podiums ajoute donc un nouvel épisode aux douloureuses péripéties de sa vie, racontées dans Dans ma chair, l’autobiographie qu’elle a fait paraître en septembre 2007. Excisée à Conakry à l’âge de 9 ans, abusée un an plus tard par un oncle au Mali, mère avant 18 ans, arrêtée en décembre 1994 à Dakar pour trafic de drogue, ruinée par des investissements hasardeux après avoir gagné beaucoup d’argent Katoucha a mis au monde trois enfants, de trois pères différents avec lesquels elle n’a jamais vécu. Grandeur et décadence : ainsi peut être résumé le destin exceptionnel de cette grande gigue de 1,80 m, petit nez droit, yeux en amande, bouche ronde et jambes interminables

Sur le pied de guerre
Au Sénégal, où elle s’est de nouveau établie en 2007 et où elle a lancé une ligne de vêtements, les autorités sont sur le pied de guerre. L’ambassadeur et le consul à Paris sont en permanence tenus informés du déroulement de l’enquête et répercutent la moindre information à leur hiérarchie Mais ils ne savent, hélas, pas grand-chose. Dans une « note confidentielle » datée du 7 février, le consul général Léopold Faye reconnaît ainsi qu’il se fonde sur « des renseignements lus dans la presse ».
Les autorités guinéennes ne sont pas en reste. Depuis le début de l’affaire, elles sont en contact permanent avec la Place Beauvau, siège du ministère français de l’Intérieur. Après avoir discrètement reçu, le 7 février, les deux parents et la fille aînée de Katoucha, Ami Germaine, débarquée le jour même de Dakar, le Premier ministre Lansana Kouyaté a fait savoir que l’État guinéen prendrait financièrement en charge l’intégralité des frais occasionnés par l’affaire. Instruction a été donnée à Makalé Camara, l’ambassadrice à Paris, de « suivre au plus près le dossier ».
Il est vrai que la Guinée doit bien ça au père de Katoucha. Historien reconnu, auteur de Soundjata, ou l’épopée mandingue, un ouvrage de référence qui figure dans le programme d’enseignement de certains pays d’Afrique de l’Ouest, Djibril Tamsir Niane est en effet un acteur incontournable de la société civile locale. Début janvier, par exemple, il négocia, avec d’autres, le retrait du mot d’ordre de grève lancé par les deux principales centrales syndicales du pays. Il devait rejoindre Paris dans la nuit du 8 au 9 février en compagnie de son épouse et de sa petite-fille. Deux jours auparavant, sa fille Fifi Niane, sur cadette de Katoucha, une artiste-peintre mariée à Kiridi Bangoura, un ancien ministre de l’Intérieur, avait elle aussi débarqué dans la capitale française.

la suite après cette publicité

Quatre pistes
Depuis le début de l’affaire, la famille se heurte au mutisme de la police française qui, au nom de « la confidentialité requise dans ce type d’investigation », oppose une fin de non-recevoir à ses nombreuses questions. Tout juste a-t-elle appris que les enquêteurs de la Brigade de répression de la délinquance contre les personnes (BRDP) privilégient quatre pistes (et non deux comme on l’a souvent dit) : chute mortelle et involontaire dans la Seine, suicide, enlèvement et fugue. Ces deux dernières hypothèses sont à prendre au sérieux. L’ex-top peut fort bien avoir été victime d’un règlement de comptes. Ou avoir décidé de fuir temporairement un quotidien qui ne l’a pas toujours épargnée.
Seule certitude, pour l’heure : ceux qui l’ont raccompagnée en cette nuit du 31 janvier au 1er février ont laissé Katoucha devant une embarcation qu’il lui a fallu traverser, avant d’enjamber un bastingage pour rejoindre sa propre péniche, La Petite Vitesse, amarrée à la première. Le tout en talons aiguille et robe moulante, sous la pluie, dans l’obscurité, après avoir bu quelques verres

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires