Israël-Palestine : deux voix qui n’en font qu’une

En acceptant la nationalité palestinienne, le chef d’orchestre israélien Daniel Barenboïm a joint l’acte à la parole. Comme il l’explique dans une tribune publiée par le New York Times.

Publié le 11 février 2008 Lecture : 4 minutes.

J’ai déjà souvent déclaré que le sort du peuple israélien et celui du peuple palestinien étaient inextricablement liés et qu’il n’y avait pas de solution militaire à ce conflit. Tout récemment, en acceptant la nationalité palestinienne, j’ai eu l’occasion de le vérifier plus concrètement.
Dans les années 1950, quand ma famille a quitté l’Argentine pour aller s’installer en Israël, c’était notamment pour m’épargner l’expérience de grandir à l’intérieur d’une minorité – la minorité juive. On voulait que je fasse partie d’une majorité – la majorité juive ! Le tragique de cette histoire c’est que ma génération, pourtant élevée dans une société riche de certitudes et pétrie de valeurs humanistes, ignorait totalement qu’Israël puisse englober une minorité – non juive, celle-là – qui avait constitué la majorité de la Palestine jusqu’à la création de son État en 1948. Une partie de la population non juive était alors restée en Israël tandis que les autres habitants avaient pris peur et s’étaient enfuis ou bien avaient été expulsés de force. Dans le conflit israélo-palestinien, on n’a jamais pu admettre – pas davantage aujourd’hui qu’hier – que leurs deux voix n’en font qu’une. La création de l’État d’Israël a été le fruit d’une doctrine judéo-européenne qui, si on la projette dans l’avenir, ne peut pas ne pas prendre en compte l’identité palestinienne. Sans oublier l’évolution démographique : les Palestiniens constituent encore une minorité à l’intérieur d’Israël, mais celle-ci augmente à un rythme tel qu’on ne saurait l’ignorer plus longtemps. Ils représentent 22 % environ de la population israélienne. C’est plus qu’aucune minorité juive dans aucun pays au cours de l’Histoire. Et si l’on se réfère à l’ensemble formé par Israël et les territoires occupés (ce que les Israéliens appellent « le Grand Israël » et les Palestiniens « la Grande Palestine »), leur nombre total y dépasse déjà celui des Juifs.

À l’heure actuelle, Israël est confronté à trois problèmes à la fois : celui de la nature d’un État juif moderne et démocratique – soit celui de sa propre identité ; celui de l’identité palestinienne en son sein ; et celui de la création d’un État palestinien extérieur à lui. Sachant qu’avec la Jordanie et l’Égypte on a réussi à conclure une espèce de « paix froide » qui ne remet pas en cause l’existence d’Israël en tant qu’État juif. En revanche, en théorie comme dans la pratique, la question des Palestiniens d’Israël est autrement difficile à résoudre. Pour les Israéliens, cela reviendrait notamment à faire un sort à cette idée, largement diffusée dans les années de la fondation de l’État, selon laquelle ce territoire était vide et nu – une « terre sans peuple » – lors de l’arrivée des Juifs. Pour les Palestiniens, cela signifierait d’accepter le fait qu’Israël est un État juif et qu’il le restera.

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Cependant, les Israéliens doivent accepter d’intégrer la minorité palestinienne, même si cela entraîne certains changements dans la nature de leur pays. Ils doivent aussi accepter le bien-fondé tout autant que la nécessité de la création d’un État palestinien à leurs portes. Outre qu’ils n’ont pas le choix et ne disposent certes pas de la baguette magique qui leur permettrait de faire disparaître les Palestiniens, l’intégration de ces derniers est une condition sine qua non – sur des bases éthiques, sociales et politiques – à la survie d’Israël. Plus l’occupation se poursuit et plus le ressentiment des Palestiniens augmente, plus il sera difficile de trouver avec eux un terrain d’entente. On ne compte plus, dans l’histoire du Moyen-Orient, les occasions manquées de réconciliation qui se sont soldées par des répercussions extrêmement négatives dans les deux camps.
En ce qui me concerne, quand j’ai accepté le passeport palestinien qui m’était offert, j’ai voulu que ce soit en signe de reconnaissance du destin que je partage, en tant qu’Israélien, avec les Palestiniens. Un bon citoyen israélien doit en effet faire preuve d’ouverture en allant vers le peuple palestinien et s’efforcer à tout le moins de comprendre ce que la création de l’État d’Israël a pu représenter pour celui-ci. Le 15 mai 1948 est, pour les Juifs, le jour de l’Indépendance. Pour les Palestiniens, ce même jour est celui de la Nakba, la catastrophe Un bon citoyen israélien doit se demander ce qu’a fait le peuple juif, un peuple d’intelligence, de savoir et de culture, pour partager le patrimoine qui est le sien avec les Palestiniens. Un bon citoyen israélien doit aussi se demander pourquoi les Palestiniens sont condamnés à coucher dans des taudis et pourquoi ils sont obligés de se contenter de normes scolaires et sanitaires de misère, alors que la puissance occupante devrait les faire bénéficier, au nom des droits de la personne, de moyens d’existence convenables qui leur assurent de vivre dans la dignité. Dans les territoires occupés, ce sont les occupants qui sont responsables des conditions de vie de la population et, en l’occurrence, les gouvernements israéliens qui se sont succédé depuis quarante ans ont tous échoué lamentablement. Il va de soi que les Palestiniens ne doivent pas renoncer à lutter contre l’occupation et à s’élever contre toutes les tentatives de les priver de leurs droits élémentaires. Cependant, dans leur propre intérêt, cette résistance ne doit pas s’exprimer par la violence.

Franchir la ligne rouge qui sépare la résistance pacifique, fût-elle la plus intransigeante (avec des manifestations, des défilés, des grèves), de la violence ne peut qu’aboutir à multiplier les victimes innocentes, ce qui ne sert évidemment pas les intérêts durables du peuple palestinien. D’un autre côté, les citoyens israéliens ont tout autant intérêt à ne pas ignorer davantage les besoins et les droits du peuple palestinien (à l’intérieur comme à l’extérieur d’Israël) que les leurs. Après tout, puisque nous partageons la même terre et la même destinée, nous pourrions bien avoir, tous tant que nous sommes, la double nationalité !

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