« Il nous faut parler moins et travailler plus »

Mise en place d’un gouvernement de l’Union ? Dans quel délai ? Pour quoi faire ? Comment et avec qui ? La tâche qui attend Jean Ping à la tête de la Commission de l’UA n’est pas des plus minces.

Publié le 11 février 2008 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Vous avez été élu au premier tour avec deux tiers des voix. Vous attendiez-vous à une telle victoire ?
Jean Ping : Il y avait des signes Les candidats du Burundi et ceux de l’île Maurice s’étaient désistés. La seule incertitude était liée aux manuvres de dernière minute pour reporter l’élection ou pour lancer dans la course des candidats qui n’ont pas observé les procédures.

Le renvoi de l’élection vous aurait-il perturbé ?
Naturellement. Une campagne électorale est épuisante. Et je n’avais nullement envie de repartir au front, de surcroît contre des postulants entrés en lice au dernier moment. Si l’élection n’avait pas eu lieu, l’UA aurait été perçue comme étant en crise. Cela fait plusieurs mois que la Commission ne travaille plus, que les commissaires sont démobilisés et que l’administration est dans l’attente de la nouvelle équipe dirigeante.

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Vous prenez les rênes d’une organisation dont le fonctionnement a été fortement critiqué par un rapport d’audit élaboré par un panel d’experts et qui vient d’être rendu public. Leurs recommandations vous serviront-elles de feuille de route ?
Ce document contient 170 recommandations, certaines plus urgentes que d’autres. Toutefois, il revient aux chefs d’État de nous indiquer celles qui vont être retenues, celles amendées et celles rejetées. Il leur revient de fixer une feuille de route.

Quelle appréciation globale faites-vous de ce rapport d’audit ?
J’y relève des évidences. Il existe des dysfonctionnements, tout le monde en convient. Il est urgent de réformer les institutions. L’UA est la seule organisation dans laquelle celui qui dirige l’exécutif n’a pas la possibilité de nommer ses collaborateurs. Le fait que les commissaires soient élus de la même manière que le président de la Commission ne favorise pas une logique hiérarchique. Il serait préférable que les États proposent plusieurs candidats aux postes de commissaire, à charge ensuite pour le président de les choisir et de répartir les portefeuilles. Reconnaissons au président Alpha Oumar Konaré le mérite d’avoir tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises.

Votre prédécesseur, qui avait estimé à 500 millions de dollars le coût des réformes, n’en a obtenu que 129 millions
Nous tâcherons de faire mieux, avec les moyens que les États membres mettront à notre disposition. Pour cela, nous nous devons de gérer l’argent reçu, en toute transparence, avec le souci de rendre compte. Si nous y parvenons, je suis persuadé que les États membres ainsi que nos partenaires extérieurs – l’Union européenne et l’ONU – seront plus disposés à nous apporter leur soutien dans les politiques de paix et de sécurité. Ils se posent aujourd’hui des questions sur l’utilisation de l’argent qu’ils donnent.

Parmi les dossiers les plus délicats que vous serez amené à gérer : la mise en place du gouvernement africain et les pouvoirs à lui conférer
Il y a une chose sur laquelle tout le monde s’entend : il faut mettre en place un gouvernement africain pour une meilleure intégration politique et économique du continent. Dans quel délai ? Certains disent « tout de suite », d’autres proposent neuf ans, d’autres encore quinze ans, et les moins pressés vingt-cinq ans. Le nombre de ministères doit également être tranché. Doit-il y en avoir cinq, sept ou dix ? Ensuite, il s’agit de définir les portefeuilles. Certains préconisent la nomination d’un ministre de la Défense et d’un ministre des Affaires étrangères, d’autres estiment que le futur gouvernement devrait se cantonner à des questions d’intendance telles que les transports, la liberté des échanges, la circulation des personnes

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S’agira-t-il de ministres avec de réels pouvoirs ou d’un cabinet aussi peu influent que le Parlement de l’Union ?
La question des pouvoirs me paraît essentielle. Mais l’appellation même de cette instance pose problème. Gouvernement, exécutif, Conseil exécutif, Conseil des ministres ? Je pense que ce gouvernement de l’Union ne pourra avoir de pouvoirs que s’il collabore avec ceux des États membres selon le principe de subsidiarité [selon lequel les décisions sont prises au niveau le plus proche possible des populations, NDLR]. Il y a des domaines dans lesquels la voix de l’Afrique porte infiniment plus que celle d’un seul pays. Lors des négociations avec l’Organisation mondiale du commerce [OMC], par exemple, il nous serait utile d’avoir un ministre africain du Commerce qui parle au nom de tout le continent. Cela aurait sans doute évité que le débat sur les Accords de partenariat économique, les APE, tourne à la cacophonie.

Votre pays, le Gabon, entretient d’excellentes relations avec le Maroc. L’affaire du Sahara sera-t-elle un handicap dans l’exercice de votre mandat ?
Le dossier du Sahara occidental, à la base du retrait du Maroc, est aujourd’hui géré par l’ONU. La commission de l’UA ne peut pas faire grand-chose.

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Quels seront vos premiers chantiers ?
Ils sont nombreux. Aujourd’hui, l’Afrique est confrontée à des problèmes de paix et de sécurité, de développement. Jusqu’ici, les solutions qui ont été appliquées se sont révélées peu efficaces. Je pense cependant que des mécanismes comme le traité d’Abuja et le Nepad peuvent permettre de mettre un terme à la marginalisation du continent. Il y a en outre des crises urgentes à juguler en Somalie, au Darfour, au Tchad, au Kenya
Au sein de la machine UA, je me fixe comme priorité de remettre en marche une lourde bureaucratie qui a cessé de travailler. Je veillerai à ce qu’on parle moins pour travailler plus. Au commencement était certes le verbe, mais je fais tout de même le pari de l’action. Même avant la mise en place des réformes, il faut que les employés de l’UA cessent les querelles intestines et les bavardages inutiles pour se mettre au travail. Le reste du monde n’attend pas l’Afrique les bras croisés.

Pourquoi avoir choisi de vous éloigner du Gabon et de vous « enterrer » à Addis-Abeba au moment où d’aucuns se positionnent dans la course à la succession de Bongo Ondimba ?
Je n’ai rien choisi. C’est en septembre 2007, lors de l’assemblée générale de l’ONU, qu’un groupe d’ambassadeurs africains dirigé par le représentant béninois m’a approché pour me proposer de briguer la présidence de la commission de l’UA. Je venais d’être élu député et nommé vice-Premier ministre. Je ne savais pas quoi dire au chef de l’État gabonais, qui venait de me renouveler sa confiance. Les ambassadeurs s’en sont chargés, qui ont dépêché à Libreville Albert Tévoédjrè [médiateur de la République du Bénin, NDLR] pour rencontrer Omar Bongo Ondimba. Et il a réussi à le convaincre de présenter ma candidature.

La fin de votre premier mandat va coïncider avec la fin du dernier mandat du président Omar Bongo Ondimba. Vous voyez-vous lui succéder ?
Ces considérations, je vous l’assure, sont loin de mes préoccupations actuelles.

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