Entre espoir et désillusion

Érigée au rang de capitale de la rébellion durant la crise, la deuxième ville du pays entend redevenir le grand carrefour commercial qu’elle fut avant la crise.

Publié le 11 février 2008 Lecture : 5 minutes.

Circus Vika est de retour. Ses autotamponneuses et ses stands de jeux aussi. Visage de professeur Tournesol, sourire contagieux, ce Grec de 60 ans promène sa bonhomie dans les allées de son parc d’attractions installé dans le quartier du Commerce, juste devant la mairie en construction, chantier que le conflit politico-militaire n’a pas permis d’achever. Les bons pères de famille de Bouaké emmènent leurs gosses se divertir le temps d’un après-midi. « J’ai rouvert en septembre dernier, précise Vika. Les affaires reprennent tout doucement, mais la belle époque est définitivement derrière moi. » Dans les années 1970, Vika tournait dans toute l’Afrique de l’Ouest avec ses lions, ses panthères et ses otaries. La viande qu’il achetait pour nourrir ses bêtes coûtait alors 75 F CFA le kilo, contre 1 500 F CFA aujourd’hui (0,10 euro, contre 2,30 euros). Vika n’a plus d’animaux, mais il trimbale toujours ses roulottes, son chapiteau et ses voitures.
Fouad, lui, se veut plus optimiste. Il vient d’ouvrir un restaurant où l’on mange des chawarmas dans le centre-ville. Et prévoit de relancer, dans le courant de l’année, son magasin de pièces détachées automobiles. Au lendemain de la tentative de coup d’État de septembre 2002, ce Fassi installé en Côte d’Ivoire depuis trente-trois ans a renvoyé sa famille au Maroc. Lui, pendant ce temps, a trouvé un travail à la cantine des officiers de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), en partie composée de soldats marocains.

Le retour des chalands
Petit à petit, Bouaké tente d’effacer les traumatismes et de reprendre une vie normale. Ceux qui avaient déserté la ville pour rejoindre le Sud reviennent progressivement et tâchent de récupérer leurs biens. Ou ce qu’il en reste. « Certaines maisons ont été occupées par des squatteurs. Mais ce n’est pas plus mal. Au moins, elles sont entretenues », témoigne Marlène, une habitante. À mi-chemin entre le Mali et le Burkina, l’ancienne capitale de la rébellion espère redevenir un jour ce qu’elle était jadis : un grand carrefour commercial de 700 000 habitants, agréable à vivre pour la douceur de son climat et l’espace dont disposent les citadins.
Alors que la nuit tombe sur Bouaké, Amadou range son étal. « Encore une journée difficile, rigole-t-il. Mais on a connu pire. » Les grossistes reviennent petit à petit et les boutiques sont de mieux en mieux achalandées. À Dar es-Salaam, quartier musulman qui sert de point de départ au grand marché, il y a toujours autant de monde. On y trouve de tout. Les élégantes s’arrêtent devant les pagnes importés, et les gourmands devant les bananes-frites. Les ménagères font leurs provisions de viande, de légumes, d’huile et d’épices. Les autres tâchent de tirer le meilleur prix d’un téléphone, d’un paquet de piles électriques ou d’un joint de culasse. Les amateurs du genre peuvent même acheter des films pornographiques piratés sur Internet. En dépit de la crise qui a secoué la région, l’approvisionnement n’a jamais été vraiment interrompu. Les prix ont même baissé faute de clients. Sans compter que les taxes ont toujours été moins importantes en zone rebelle. À titre d’exemple, une moto qui coûte 500 000 F CFA à Abidjan peut être acquise pour 300 000 F CFA à Bouaké.
Avec le retour des enseignants, plusieurs établissements scolaires ont rouvert. Deux librairies se sont même réinstallées et font concurrence à la Nouvelle Librairie de Côte d’Ivoire, tenue par la Française Catherine Delon, qui a résisté à la crise.
À coups de peinture, les grands groupes bancaires d’Abidjan offrent une seconde vie à leurs agences. La Banque de l’habitat de Côte d’Ivoire (BHCI) et la Banque nationale des investissements (BNI) sont les deux premiers établissements à avoir repris leurs activités. « Nous n’avons pas encore confiance dans les banques publiques. Alors beaucoup d’entre nous continuent de faire le trajet de Bouaké à Yamoussoukro pour déposer ou prendre de l’argent », explique une commerçante. Mais nombreux sont ceux qui aujourd’hui préfèrent recourir aux agences de transfert d’argent telles que Western Union ou La Poste.
Le quartier Air France retrouve aussi des couleurs. Place de la Paix, les enfants jouent au ballon devant la statue de Félix Houphouët-Boigny. Les fonctionnaires internationaux et les employés d’ONG ont retrouvé les bureaux des rues environnantes. Le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Unicef et Children Rescue ont augmenté leurs effectifs. Les agronomes de l’Association pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest (Adrao), une unité de recherche intergouvernementale, sont eux aussi de retour dans la ville. La plupart d’entre eux avaient déserté les lieux et délocalisé les programmes au Bénin et au Mali.
Parce qu’il est le seul hôtel de la ville à posséder une piscine, Mon Afrique, établissement privilégié des militaires, diplomates, fonctionnaires et journalistes de passage, affiche souvent complet. Dans le centre-ville, le Ran Hôtel, qui a rouvert ses portes pour accueillir le président Laurent Gbagbo et tous les participants à la cérémonie de réconciliation de juillet 2007, poursuit sa rénovation. Tout comme l’Hôtel du centre, fief des rebelles au lendemain de la tentative de coup d’État.

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Gros 4X4 et mendicité
La deuxième ville du pays met néanmoins du temps à panser ses plaies. D’autant que les règlements de comptes entre soldats des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion) depuis la tentative d’attentat contre Guillaume Soro en juin 2007 et les rumeurs de coup d’État fomenté par le sergent-chef Ibrahim Coulibaly, alias IB, fin décembre, inquiètent la population. Les stigmates du conflit sont encore visibles. Impacts des tirs de roquettes, murs criblés de balles, toits effondrés Certains enfants, petits et grands, sont réduits à la mendicité. Les postes de contrôle regorgent d’agents à l’affût de la moindre pièce. Quelques-uns d’entre eux n’ont touché, en cinq ans, que 15 000 F CFA. Pendant ce temps, représentants politiques des FN et chefs de guerre paradent en 4×4, mènent grand train et gardent la haute main sur les activités commerciales. Anaconda, nom de guerre de Issiaka Ouattara, également surnommé Wattao, le chef d’état-major adjoint des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN), gère les trois night-clubs de la ville et vit de nombreux autres négoces. De quoi susciter aigreurs et frustrations.
D’autant que les nombreux problèmes auxquels était confrontée la population semblent subsister. Certains quartiers sont régulièrement privés d’eau courante. La Société de distribution d’eau de Côte d’Ivoire (Sodeci) refait actuellement les canalisations, engendrant bien des désagréments. Au niveau économique, Bouaké est sinistré. La crise, la mauvaise gestion et le manque de protection face à la déferlante chinoise mettent à mal les industries cotonnière et textile de la ville. Les filatures de la Compagnie ivoirienne pour le développement textile (CIDT), de la Société de développement des opérations de produits agricoles (Dopa) et l’usine textile de Gonfreville tournent au ralenti. La société de transformation de graine oléagineuse (Trituraf) a mis la clé sous la porte, les activités de Filtisac (Filature Tissage Sac), une unité de fabrication de sacs en jute, et de la Société ivoirienne de tabac (Sitab) ne se portent pas forcément mieux. La guerre a laissé des traces.

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