Démocratie… familiale

Publié le 11 février 2008 Lecture : 5 minutes.

Nous savons, depuis mardi dernier, 5 février, que Hillary et Bill Clinton ont, grâce à leur savoir-faire et à leur mainmise sur la machine du parti démocrate, gardé leurs chances de se faire investir en août prochain par la convention de ce parti. Ils pourraient alors, pensent-ils, reconquérir la Maison Blanche en novembre 2008 et s’y réinstaller en janvier 2009.
L’irruption du charismatique Barack Obama – fils d’Africain (du Kenya) -, devenu en peu de mois l’idole de la jeunesse, comme de tous ceux qui en ont assez du statu quo et aspirent au changement, à « la vraie rupture », a fait souffler sur la campagne, et même sur le pays, un vent de renouveau. Mais, bien que l’élection présidentielle américaine soit traditionnellement une « boîte à surprises », à ce stade, en dépit de sa très belle campagne et de ses succès, il me paraît peu probable – et pour tout dire trop beau – que Barack Obama obtienne l’investiture de son parti.
Ses partisans rament contre le courant car la majorité des gens ne les croit pas capables de décrocher la candidature démocrate à l’élection présidentielle.
Le tandem des Clinton se montre déterminé à tout pour empêcher que cela arrive. Et en a, me semble-t-il, les moyens.
Même s’il est, de très loin, mon candidat préféré parce qu’il est l’homme du changement et que je serais très heureux de le voir investi d’abord, élu ensuite, je suis donc obligé de me situer pour le moment dans l’hypothèse Clinton.

Je n’oublie nullement que je me suis hasardé à prédire ici même (J.A. n° 2452 du 6 au 12 janvier 2008) que le couple se briserait après les élections, qu’il les ait remportées ou non. Mais, en pleine campagne électorale, Bill et Hillary forment pour le moment un attelage soudé. Et se battent, ensemble, bec et ongles, pour faire fructifier le « fonds de commerce » qu’ils exploitent en commun.
D’ici à la convention démocrate prévue pour le mois d’août, puis, si Hillary est désignée, jusqu’au jour de l’élection, ils ne pensent qu’à une chose : gagner.
Cela dit, la manière dont ils mènent ce combat a déjà suscité beaucoup de réactions négatives et la perspective de voir ce couple réoccuper la Maison Blanche pour quatre ou huit ans enchante de moins en moins de monde.

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L’ayant senti, la candidate a dû préciser que si elle était élue, le rôle de son mari serait circonscrit : « Il n’aura aucun rôle officiel. De la même manière que tous les présidents s’appuient sur leurs femmes, leurs maris, leurs parents ou leurs amis de longue date, il sera mon proche confident et mon conseiller, comme je l’ai été pour lui dans le passé. »
Cela n’empêche pas ce mari de proclamer, lui :
– Nous sommes de retour !
De leur côté, ceux qui les regardent agir et parler ont beau jeu de souligner que Bill Clinton n’est pas un mari comme un autre. C’est l’ancien président des États-Unis (deux mandats), un homme dont l’ego est immense et qu’on ne peut ni arrêter ni faire taire.
Si sa femme gagne en novembre, les États-Unis (et le monde) auront, qu’ils le veuillent ou non, une vraie coprésidence.
Et les Clinton auront ainsi réussi à contourner la Constitution des États-Unis
C’est là une situation très malsaine : en politique, le népotisme pollue la démocratie et la dénature. Les États-Unis l’ont d’ailleurs interdit par une loi fédérale de décembre 19671.

Carl Bernstein, auteur d’une biographie de Hillary Rodham Clinton qui vient de paraître et fait déjà autorité2, décrit le malaise et même le début de rejet ressenti aux États-Unis, et parmi les démocrates en particulier, à l’égard des Clinton : « Le grand problème de la campagne du couple Clinton est qu’elle ressemble à une restauration, ce qui est à mille lieues de notre histoire : nous n’avons jamais eu une situation dans laquelle, en échangeant les rôles, on aurait une coprésidence. []
C’est elle qui serait élue, mais il y a toutes les raisons de penser qu’il serait coprésident comme il est aujourd’hui cocandidat. Dans ce couple, l’un finit les phrases de l’autre, ils ont tous les deux le même but, et donc Bill serait, bien sûr, la personne la plus importante d’une présidence Hillary. []
Trois choses se télescopent : Bill Clinton et son passé à la Maison Blanche, les libertés qu’ils prennent avec la vérité, leur volonté – qui est aujourd’hui visible par trop de démocrates – de dire ou de faire n’importe quoi pour gagner. []
Il y a un nouveau facteur, qui est la lassitude envers les Clinton, et je ne sais pas s’ils pourront surmonter cet obstacle. »

On voudra bien me pardonner le rapprochement qui suit, mais l’actualité me l’impose : sur un autre continent, au Pakistan, en pleine campagne électorale, le mari de Benazir Bhutto – assassinée le 27 décembre dernier à Rawalpindi alors qu’elle venait de rentrer d’exil pour reconquérir le pouvoir – exhibe une lettre-testament de la défunte par laquelle elle lui lègue, à lui, Asif Ali Zardari la présidence de son parti.
On a beau savoir que la famille Bhutto est féodale et considère le parti comme sa propriété, on reste pantois !
Le Pakistan n’est pas une démocratie, loin s’en faut, et Zardari a, de surcroît, très mauvaise réputation. Aussi bien n’ai-je cité son cas, après avoir évoqué la saga des Clinton, que pour souligner ceci : lorsqu’on cède un doigt au népotisme politique, il prend tout le bras.

Dans le cas des États-Unis et de leur élection présidentielle de novembre prochain, une sinistre hypothèse commence à circuler : les Clinton réussissent à empêcher Obama de gagner l’investiture du Parti démocrate mais, à cause de l’hostilité qu’ils auront provoquée, ils butent sur la deuxième marche.
Par leur faute, la Maison Blanche resterait alors entre les mains du Parti républicain de George W. Bush.
Les meilleurs observateurs pensent, en effet, que la seule chance de gagner du (plus que probable) candidat républicain, John McCain, est d’avoir en face de lui, non pas Barack Obama, mais Hillary (et Bill) Clinton.

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(Voir pp. 54-57 les informations et l’analyse d’Alain Faujas.)

1. Adoptée en réaction (tardive) à la désignation, en 1960, par John Kennedy de son frère Robert comme ministre de la Justice.
2. Hillary Clinton, une femme en marche (Éditions Baker Street).

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