« Frères de l’ombre » : ces tirailleurs sénégalais trop souvent oubliés

Après « Ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants », Nadia Hathroubi-Safsaf plonge une nouvelle fois dans les silences de l’Histoire pour écrire « Frères de l’ombre ». Un roman sur l’histoire française des tirailleurs sénégalais.

Des tirailleurs sénégalais en 1939, en France. © Roger-Viollet

Des tirailleurs sénégalais en 1939, en France. © Roger-Viollet

Publié le 30 mai 2021 Lecture : 3 minutes.

Rédactrice en chef du Courrier de l’Atlas, autrice de plusieurs essais, Nadia Hathroubi-Safsaf vient de lancer sa propre maison d’édition, Bande Organisée, à partir d’un questionnement : « Écrire des articles, c’est bien. Mais comment garder trace de la mémoire de l’immigration postcoloniale ? »

La journaliste aguerrie chemine depuis des années pour « raconter l’autre histoire de France ». En 2016 elle publie Ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants, aux Éditions Zellige. À partir de l’histoire vraie de résistants maghrébins qui, pendant la Seconde guerre mondiale, ont porté secours aux populations juives, Nadia Hathroubi Safsaf a tissé le récit d’une amitié entre deux jeunes femmes d’aujourd’hui à Paris. Sur fond de conflit israélo-palestinien, Leïla, de confession musulmane, et Anne, juive, se questionnent sur leur identité et leur amitié. C’est à la lumière d’une enquête dans leur histoire familiale qu’elles pourront éclairer un chemin commun.

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Frères de l’ombre, dernier roman de Nadia Hathroubi-Safsaf, est construit dans la même dynamique ; celle du dialogue des époques et d’un dévoilement d’héritages ignorés. L’on retrouve d’ailleurs, en personnages secondaires, Leïla et Anne. Leur ami Djibril est à la recherche de son grand-père, Ousmane. Il a déserté son appartement francilien au lendemain de la réception d’un courrier qui l’informait qu’il serait décoré de la Légion d’honneur par le chef de l’État français. On est en 2007 et ce président, Nicolas Sarkozy, vient de prononcer, à Dakar, sur les terres natales d’Ousmane, un discours raillant la place des Africains dans l’histoire.

« C’est l’histoire de France »

Ousmane, comme son père Issa avant lui, est de ceux qu’on appelait les « tirailleurs sénégalais » : ces hommes des différents territoires colonisés par la France, appelés à se battre sous drapeau français pendant les guerres de 1914 et de 1939. Djibril, leur héritier, grandit en France dans les années 2000, dans le silence de sa famille et de celui des récits politiques et historiques.

« Ce n’est pas seulement l’histoire de ta famille, c’est l’histoire de France, celle qu’on ne raconte dans aucun manuel scolaire », lance Aissa. C’est elle qui fait connaître à Djibril les récits de Senghor, de Fanon ou d’Achebe, en même temps qu’il découvre par bribes que son arrière-grand-père, Issa, a été « fusillé pour l’exemple » en 1916.

Quant à son grand-père, Ousmane, il est entré en résistance contre l’Allemagne nazie pendant la Seconde guerre mondiale. Mais sa participation au combat en tant que tirailleur sera dénigrée par les Américains à la Libération et par l’État français, qui manque toujours de les englober dans le roman national.

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Histoire invisibilisée

En s’emparant de destins de tirailleurs sénégalais, Nadia Hathroubi-Safsaf s’inscrit dans le chemin d’œuvres qui ont raconté des pans de leur histoire invisibilisée ; comme le film Le Camp de Thiaroye d’Ousmane Sembene — sur la violente répression de l’État colonial français, en 1944, de la révolte des tirailleurs à leur retour au Sénégal — ou les romans Le terroriste noir de Tierno Monenembo et Le chant noir des baleines de Nicolas Michel.

L’œuvre de Nadia Hathroubi-Safsaf apporte donc sa pierre, avec une œuvre de transmission mêlant faits réels et fiction. Ce récit sur trois générations se lit comme une enquête, que seule une meilleure connaissance de l’histoire peut résoudre.

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L’autrice, par ailleurs doctorante en sociologie, offre ainsi un deuxième roman à l’écriture documentée et accessible, avec un fil rouge : comment écrire l’histoire dans toute sa complexité peut ouvrir des horizons plus fraternels.

Frères de l’ombre. Éditions Zellige. Mars 2021. 176 pp. 20 euros.

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