[Tribune] Gabon : donner sa vraie valeur à la forêt équatoriale

Alors que la communauté internationale a mis en place un marché mondial du carbone censé réguler les émissions polluantes, aucune valeur n’a été attribuée au rôle majeur que jouent les forêts dans le processus, ni aux pays qui, à l’image du Gabon, font en sorte de les préserver.

Village au bord du fleuve Lukenie. © Marta NASCIMENTO/REA

Village au bord du fleuve Lukenie. © Marta NASCIMENTO/REA

Lee White
  • Lee White

    Ministre gabonais des Eaux & Forêts, de la Mer, de l’Environnement

Publié le 27 mai 2021 Lecture : 5 minutes.

Le Gabon a été sur le plan climatique et politique l’une des zones les plus stables d’Afrique, ce qui explique en grande partie son exceptionnelle biodiversité. Il est toutefois alarmant de constater qu’il est entouré de pays très sensibles aux changements climatiques, aux conflits et troubles politiques qui en résultent, et qui pourraient conduire le Gabon à faire face à un afflux massif de réfugiés climatiques dans les décennies à venir.

En tant que scientifique ayant passé 35 ans à étudier les forêts tropicales du bassin du Congo, je crains que nous ne soyons confrontés à un avenir qui nous verra perdre ces forêts, libérer 80 milliards de tonnes de CO2 et faire basculer la planète vers un avenir à +5°C.

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L’instabilité, les migrations humaines et la perte des services écosystémiques en cas d’intensification de la déforestation alimenteraient une crise continentale débordant sur l’Europe et le Moyen-Orient. Nous franchirions un point de basculement où les catastrophes écologiques et climatiques se produiraient en cascade, hors de tout contrôle, à l’échelle mondiale.
Pour éviter ce scénario, qui n’est probablement qu’à une trentaine d’années devant nous, nous devons comprendre comment nous en sommes arrivés là et mettre résolument en œuvre un plan d’action.

Agir par ignorance

Comment en sommes-nous arrivés là ? Je pense que l’explication simple est que nous n’avons pas attribué une valeur correcte – voire aucune valeur dans de nombreux cas – aux services écosystémiques fournis par les ressources naturelles dont notre développement dépend.

Pendant des siècles, nous avons agi par ignorance, avec peu ou pas d’impact. Mais après les sommets de l’ONU sur l’environnement de 1972 et de la Terre à Rio en 1992, nous ne pouvons plus prétendre à l’ignorance. À Rio, nous savions que pour chaque hectare de forêt naturelle que nous défrichions, il y avait un prix à payer pour les générations futures, que pour chaque tonne de charbon ou de pétrole que nous brûlions, nous devions absorber une quantité équivalente de CO2 et purifier l’air que nous respirons.

Certains pays en ont pris note. Le meilleur exemple est sans doute le Costa Rica, dont les services écosystémiques ont commencé à faire défaut lorsque la couverture forestière est tombée à 20 % au début des années 1980. Aujourd’hui, cette couverture dépasse à nouveau les 50% et le Costa Rica est un leader mondial dans l’intégration de la valeur des services environnementaux et de la biodiversité dans son développement national.

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Le Gabon sur la voie du développement durable

À Rio, le président gabonais Omar Bongo a déclaré que « trop souvent, en Afrique, nous nous sommes sentis obligés de nous développer à n’importe quel prix ». Il faisait référence au coût environnemental des mauvaises décisions de développement qui, souvent aggravées par les changements climatiques, enferment les pays dans la pauvreté et la dégradation de l’environnement. Ayant participé aux sommets de Stockholm et de Rio, sa réaction a été de réformer l’exploitation forestière pour la rendre durable et de créer un réseau de parcs nationaux – changeant ainsi complètement la trajectoire environnementale du pays.

Grâce à une bonne gestion de l’environnement, nos forêts absorbent près de 100 millions de tonnes de CO2 par an

En 2011, lors de la Conférence de Durban sur le changement climatique, le président Ali Bongo Ondimba a poussé le Gabon plus loin sur la voie du développement durable, ironiquement en retirant le pays du processus REDD+ de la Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques. En 2009, peu après son élection, il avait interdit l’exportation de grumes non transformées du Gabon, au motif que nous ne pourrions jamais gérer nos forêts de manière durable si nous continuions à fournir des matières premières bon marché au reste du monde. Seuls 8 % de la valeur potentielle et de la création d’emplois sont réalisés au Gabon en exportant des grumes.

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Ayant été avec les dirigeants du G20 à Londres en 2008, lorsque le dispositif REDD+ avait été promu, et ayant ensuite siégé pendant 25 heures avec 20 autres chefs d’État lors de la rédaction de l’accord de Copenhague, il savait qu’il aurait été totalement irresponsable de parier l’avenir de l’économie gabonaise et de ses forêts sur la bonne volonté des nations donatrices. Il nous a chargé de construire un nouveau modèle de développement, sur l’exemple du Costa Rica, qui assurerait à la fois le développement économique et social du Gabon et l’avenir de ses forêts tropicales.

Appels inefficaces

Dix ans plus tard, à la vue des appels inefficaces pour un prix mondial du carbone ou de l’incapacité à s’entendre sur les règles financières de l’accord de Paris, et lorsque je vois que la déforestation échappe encore à tout contrôle dans de nombreuses régions, je comprends qu’il avait raison.

Si les forêts tropicales du Gabon ne sont pas avant tout un moteur pour le développement du pays et la qualité de vie de ses habitants, quel espoir avons-nous de les maintenir ? Si nous pouvons capter 90 %, plutôt que 9 %, de la valeur économique et des emplois générés par nos forêts en exportant des produits finis plutôt que des grumes brutes, il est probable que nos économistes commencent à intégrer dans leurs modèles la véritable valeur de nos forêts.

Combien de temps le Gabon, le Costa Rica et d’autres pays similaires devront-ils faire cavalier seul

Aujourd’hui, grâce à une bonne gestion de l’environnement, nos forêts absorbent près de 100 millions de tonnes de CO2 par an, en plus de nos émissions totales. Le Gabon ne vise pas le zéro net en 2050 ou 2060 – nous essayons de maintenir et d’augmenter nos absorptions nettes.

La tragédie, c’est qu’une tonne de dioxyde de carbone « sale » capturé par un industriel dans une centrale au charbon en Pologne vaut environ 60 euros, alors qu’une tonne pure de CO2 de la forêt tropicale gabonaise, bénéfique aussi pour le climat et la biodiversité, n’a aucune valeur aux yeux de la communauté internationale.

Cavalier seul 

Combien de temps le Gabon, le Costa Rica et d’autres pays similaires devront-ils faire cavalier seul et trouver leurs propres modèles pour attribuer une valeur à la nature ? Quand le monde va-t-il enfin prendre conscience des avantages des solutions fondées sur la nature pour atténuer les changements climatiques et de la valeur intrinsèque et économique des forêts tropicales pour l’économie mondiale ? Quand va-t-il intégrer le capital naturel dans les stratégies financières mondiales ?

Mon impression est que nous allons dans la bonne direction, mais trop lentement pour que je ne m’inquiète pas terriblement du monde que je vais laisser à mes enfants.

Ce texte fait partie d’une série d’articles sur le capital naturel, qui sera diffusée sur le site internet de forestLAB à partir du 3 juin. forestLAB est une nouvelle collaboration scientifique entre le Grantham Research Institute on Climate Change de la London School of Economics, l’université de Stirling et African Conservation Development Group.

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