[Tribune] Pourquoi les Sénégalais ont si peur du vaccin anti-Covid
En dépit des encouragements – jugés maladroits – du président Macky Sall, les Sénégalais restent très méfiants et ne se bousculent pas pour recevoir l’injection censée les sauver de la pandémie.
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Ousseynou Nar Guèye
Éditorialiste sénégalais, fondateur du média numérique Tract.sn
Publié le 26 mai 2021 Lecture : 5 minutes.
Le 23 février dernier, le Sénégal lançait sa campagne de vaccination contre le Covid-19. Trois mois plus tard, quelque 500 000 habitants ont reçu l’une des 800 000 doses livrées par la Chine (Sinopharm) ou dans le cadre du programme Covax destiné à assurer aux pays pauvres l’accès à la vaccination. Avec un peu plus de 50 % des doses reçues écoulées, on est bien loin de l’objectif affiché de 4 millions de vaccinés – soit un quart de la population sénégalaise – d’ici à la fin de l’année 2021. À cette date, Dakar aura encore reçu 6,5 millions de doses supplémentaires. Serviront-elles seulement ? Rien n’est moins sûr. De toute évidence, les habitants ne se bousculent pas aux portes des hôpitaux et des centres de santé pour recevoir l’injection censée les sauver de la pandémie.
Faire du chiffre
Au début de la campagne, la stratégie était pourtant claire : vacciner d’abord les quelque 20 000 professionnels de santé et les citoyens de plus de 60 ans présentant des comorbidités. Venaient ensuite les personnes atteintes de maladies chroniques et les plus de 60 ans sans comorbidité. Ce qui représentait 3,5 millions de personnes capables d’absorber les 7,3 millions de doses annoncées pour 2021. Sauf que ce cœur de cible ne semblait pas sensible à la générosité vaccinale de l’État. A la mi-avril, des responsables de la vaccination à Touba (Centre) ont indiqué à la presse que le vaccin chinois Sinopharm et surtout l’AstraZeneca peinaient à trouver des candidats. Ils couraient ainsi le risque de perdre une partie des 7 000 doses sur les 8 000 livrées. Désormais, pour faire du chiffre, on vaccine tous les candidats au sérum, sans distinction, des adolescents aux personnes du troisième âge, les nationaux comme les étrangers. Tous les postes de santé, notamment à Dakar, sont approvisionnés en vaccins. Les files d’attente sont rares, voire inexistantes. Il faut dire que deux décès attribués à tort ou à raison à l’AstraZeneca sont intervenus au Sénégal.
« Piqûre de Blancs »
Résultat, dans toutes les couches sociales du pays (analphabètes, instruits, jeunes et vieux), les appréhensions et les préjugés s’ancrent, alimentés par les théories conspirationnistes qui circulent sur les réseaux sociaux. Il y a d’abord la peur d’être les cobayes de l’Occident. On rappelle volontiers la polémique d’avril 2020, lorsqu’un médecin, évoquant un test du vaccin BCG contre le Covid-19 et se voulant « provocateur », s’était demandé si on ne devrait pas faire cette étude en Afrique où il n’y a pas de masques, pas de traitements, pas de services de réanimation suffisamment performants. Ce à quoi son interlocuteur, un chercheur, avait rétorqué : « Vous avez raison, on est d’ailleurs en train de réfléchir à une étude en parallèle en Afrique.»
L’idée de se faire vacciner ramène à l’esprit d’anciens souvenirs qui, dans le contexte actuel, semblent trouver tout leur sens pour qui adhère justement aux thèses complotistes. On soupçonne cette « piqûre de Blancs » d’avoir pour dessein de réduire la natalité jugée trop importante du continent. Aux yeux de certains Sénégalais, pas de doute, le vaccin anti-Covid réduit ou annihile la fertilité des hommes et femmes. Ils ont beau jeu de rappeler la déclaration du président français lors de son premier G20, en 2017. Emmanuel Macron semblait alors regretter que dans certains pays, « [on] compte encore sept à huit enfants par femme ». Facile, dans ces conditions, d’imaginer un complot visant à exterminer les Africains. Dans ce Sénégal à 95 % musulman, on s’est aussi montré particulièrement réceptif aux arguments du « pasteur » musulman africain-américain Louis Farrakhan, de Nation of Islam. Bien qu’écrite en anglais, sa diatribe anti-vaccin Covid adressée aux présidents africains est vite devenue virale sur les réseaux sociaux sénégalais : « Ne prenez pas ce vaccin expérimental. Nous devons donner quelque chose de meilleur à nos populations, avec nos propres virologistes, épidémiologistes et chimistes noirs. »
Les conditions de la suspicion
Dès le départ, on a créé les conditions de la suspicion à l’égard des vaccins. Issus des laboratoires Sinopharm, les premiers sont arrivés dans la cacophonie, le ministre de la Santé ayant initialement affirmé qu’il s’agissait d’un don de la Chine, avant d’être sèchement démenti par le quotidien gouvernemental Le Soleil, selon lequel l’État sénégalais avait déboursé 2,2 milliards de francs CFA (3,3 millions d’euros) pour cette cargaison. Dès le lancement de la campagne, « pour vaincre les réticences de certains », d’après les mots du ministre de la Santé, plusieurs personnalités politiques ou médiatiques avaient payé de leurs personnes, se faisant vacciner les premiers, devant les caméras de télévision. L’infectiologue Moussa Seydi, que le Covid a élevé au rang de vedette, des PCA de sociétés publiques ou encore Hadj Mansour Mbaye, grand notable octogénaire et président des communicateurs traditionnels du Sénégal, tous avaient bien voulu se plier à l’exercice. Et le président Macky Sall n’avait pas été en reste, lui qui avait affirmé : « Je vais me vacciner immédiatement », précisant toutefois qu’il n’exigerait pas de passe-droit.
Privilège de classe
Si les Sénégalais manifestaient peu d’empressement à se faire administrer le vaccin anti-Covid, ils n’en rouspétaient pas moins contre ce privilège de classe qui servait en premier les VIP. La pilule avait d’autant plus de mal à passer que, après s’être fait vacciner en même temps que ses ministres dans la salle des banquets du palais présidentiel, Macky Sall avait cru bon de déclarer devant les caméras : « Si les Sénégalais ne prennent pas les vaccins, je vais les donner à d’autres pays africains qui en ont besoin. » Le président voulait sans doute motiver ses concitoyens. Il n’en a pas moins commis une bourde qui a provoqué un véritable tollé dans la presse et dans l’opinion. On lui a rappelé que les 200 000 doses de vaccin Sinopharm avaient été achetées avec l’argent du contribuable et qu’elles n’étaient donc pas sa propriété. Macky Sall a beau s’époumoner pour persuader ses compatriotes de l’efficacité du vaccin, rien n’y fait. En dépit des images, certains Sénégalais doutent d’ailleurs que le président ait été vacciné : « C’était une seringue vide », a-t-on pu entendre dans la rue.
Le Sénégal n’est pas le seul pays africain à marquer son aversion pour le vaccin anti-Covid. Le Soudan du Sud et le Malawi ont respectivement détruit 60 000 et 16 000 doses, faute de candidats. En Côte d’Ivoire, on a dû ouvrir sans condition la vaccination aux plus de 18 ans afin d’éviter de perdre les 500 000 doses reçues de Covax avant fin juin. Atteindre l’objectif de 60 % de vaccinés fixé par l’Union africaine reste donc un pari difficile.
Pendant ce temps, au Sénégal comme ailleurs sur le continent, le masque anti-Covid est remisé au placard, notamment dans les banlieues dakaroises et à l’intérieur du pays. Les baptêmes, mariages et autres obsèques ont repris leurs droits sous les tentes dressées dans la rue. Et aucune distanciation n’est plus observée dans les transports en commun et taxis collectifs qui chargent à plein. Les crises de paludisme qu’ont connues tous les Sénégalais étant enfants, et l’exposition au soleil, auraient-elles créé une immunité collective insoupçonnée ?
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