Pétrole et nourriture

Publié le 10 décembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Saviez-vous que l’Ouganda est en passe de devenir, au modeste tempo de 60 000 barils par jour, le énième producteur africain de pétrole ? Partout, des rives des Grands Lacs à la Rift Valley, de Madagascar à la Namibie, de l’off-shore gambien à la bande d’Aouzou, le dernier continent sous-exploré vit au rythme des découvertes réelles ou fantasmées de brut – et à celui, inquiétant, des conflits territoriaux ou maritimes attisés par la fièvre de l’« oil boom » : Darfour, Bakassi, Mbanié, Lac Albert Multiplicité des gisements (un tiers des nouvelles découvertes mondiales de pétrole depuis 2000 l’ont été en Afrique) et multiplication corollaire des intervenants. Aux Américains et aux Européens se sont joints depuis une décennie les Chinois, les Brésiliens, les Indiens et les Malaisiens, mais aussi des dizaines de compagnies venues d’Australie, de Russie, du Canada ou d’Afrique du Sud, dans le cadre d’une ruée vers l’or noir où tous les coups sont permis.
Pourquoi l’Afrique noire, qui contient à peine 10 % des réserves mondiales de pétrole, exerce-t-elle un tel pouvoir d’attraction ? Pour des raisons d’ordre technique, tout d’abord. Son brut est généralement de meilleure qualité que celui du Moyen-Orient : moins complexe et moins cher à traiter, il est en outre moins polluant pour les raffineries assujetties à des normes environnementales de plus en plus strictes. Pour des motifs géopolitiques également. La quasi-totalité des grandes découvertes de ces dernières années concernent l’off-shore profond du golfe de Guinée, loin des côtes, de l’insécurité et des guerres civiles potentielles. Une spécificité très appréciée par les Américains, qui se sont lancés, depuis septembre 2001, dans une stratégie volontariste de diversification de leurs approvisionnements auprès de producteurs africains, lesquels présentent en outre l’avantage de ne pas être, pour la majorité d’entre eux, membres de l’Opep. Pour des raisons financières, enfin : en Afrique subsaharienne, les pétroliers gagnent plus et dépensent moins.

Cet environnement contractuel extrêmement favorable aux investisseurs porte un nom : les PSA (« production sharing agreements »). La plupart des pays producteurs d’Afrique noire opèrent dans le cadre de ces fameux contrats de partage de production qui avantagent à la fois les compagnies étrangères et la nomenklatura des États hôtes. En gros, la compagnie avance les frais de l’exploration-production, puis en partage les revenus avec les dirigeants locaux, mais une fois que son investissement de départ a été remboursé. Ce système lucratif est profitable pour tout le monde, sauf pour les populations des pays concernés. Un scandale, au sens exact du terme, dont seule une facette est régulièrement dénoncée par les ONG, les oppositions (en attendant qu’elles accèdent au pouvoir), voire par les rapports de la Banque mondiale et du FMI. Sur les quelque 200 milliards de dollars de gains nets que généreront, pour les gouvernements d’Afrique subsaharienne, les revenus du pétrole au cours de la décennie 2005-2015(1), seule une infime partie ira à l’amélioration des conditions de vie des gouvernés. Cette injustice, directement liée à l’opacité et à la mal-gouvernance, tout le monde la connaît ou croit la connaître, sans savoir (ou pouvoir) y remédier.

la suite après cette publicité

Mais il en est une autre, moins médiatique et qui relève directement de la responsabilité des acheteurs de pétrole. Le boom du brut africain crée infiniment plus d’emplois aux États-Unis et en Europe qu’en Afrique. Pour l’essentiel, l’industrie pétrolière fonctionne comme une enclave et les compagnies ne consacrent que des miettes à la formation de personnels locaux, en général subalternes. À peine 5 % des milliards de dollars investis chaque année dans les projets pétroliers sur le continent sont dépensés en Afrique même(2). Quand on sait que le pétrole et le gaz constituent de loin le premier poste d’exportation d’Afrique (et si l’on y ajoute les autres industries extractives comme les mines, les deux tiers de ses exportations globales), le scandale apparaît dans toute son ampleur. Avec le baril à 100 dollars, l’avenir du trio pétrole-pouvoir-argent est plus que jamais assuré. Celui de l’indice annuel de pauvreté des Africains, aussi.

(1) et (2) : John Ghazvinian, Untapped, The Scramble for Africa’s Oil, Harcourt Books, Orlando, 2007, 350 pages.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires