Pourquoi ça coince

Ni larmes ni embrassades, ni déchirement ni réconciliation. Le bilan de la visite d’État de Nicolas Sarkozy de l’autre côté de la Méditerranée, si l’on excepte les gros contrats, est mitigé.

Publié le 10 décembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Heureusement que Nicolas Sarkozy a eu droit à un bain de foule. Le 5 décembre, au troisième et dernier jour de la visite d’État du président français en Algérie, les youyous et les applaudissements des habitants de Constantine ont rassuré son équipe de communicants : badauds pressés contre les barrières, familles aux balcons, drapeaux flottant dans le ciel bleu, costumes folkloriques, chevaux, confettis, tout était réuni pour de belles photos-?souvenirs. Si l’on excepte les « visas, visas, visas ! » scandés par quelques grappes de jeunes, pendant quinze minutes – le temps de la promenade du chef de l’État français et de son homologue algérien dans la capitale de l’Est -, le voyage de Nicolas Sarkozy a presque ressemblé à celui de Jacques Chirac, accueilli en héros par les ?Algérois et les Oranais, en mars 2003. Mais pendant quinze minutes seulement.
L’ultime étape de Constantine – la « Jérusalem du Maghreb », selon Nicolas Sarkozy, a été choisie parce que son nom est l’un de ceux qui l’ont « toujours fait rêver », mais aussi parce qu’il fallait faire différent de Jacques Chirac, qui avait opté pour Oran – n’a pas suffi à faire pencher la balance. Le bilan de cette visite à hauts risques diplomatiques – pour laquelle 96 journalistes avaient été accrédités par l’Élysée, un record – est mitigé. Ni larmes ni embrassades, ni déchirement ni réconciliation.

« Ce n’est pas assez »
Aux yeux d’Asma, 25 ans, étudiante en droit à l’université Mentouri de Constantine – où le président français a prononcé le plus long discours de sa visite -, le nouveau locataire de l’Élysée reste celui qui « n’aime pas les Arabes et les musulmans, en particulier les immigrés algériens ». Pour son ami Seif, futur architecte, il est celui qui a « bouleversé le système Chirac en se rapprochant des États-Unis et d’Israël ». Celui aussi qui expulse ses cousins exilés en France en leur disant « bon débarras ! » Un avis que n’est apparemment pas loin de partager le président Abdelaziz Bouteflika, qui a évoqué, au cours d’un toast précédant un déjeuner officiel avec son hôte, « les mesures policières de renvoi dans des conditions plus ou moins acceptables » appliquées par les pays européens. Enfin, pour une partie de la classe politique (bien plus que pour la jeunesse), Nicolas Sarkozy est celui qui refuse de présenter des excuses au peuple algérien pour les crimes de la colonisation. « Ce n’est pas assez, [] mais ça va dans le bon sens », déclarait Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, le 4 décembre, après que le chef de l’État français eut reconnu, dans sa première allocution (devant un parterre de chefs d’entreprise), que le système colonial était contraire aux valeurs de la République française. Plus prosaïquement, les Algérois se souviendront, eux, que le passage de Nicolas Sarkozy a gonflé les embouteillages dans la capitale, qui n’avait d’ailleurs subi aucun toilettage, pas même aux abords de l’aéroport.
Se sachant en terrain miné, les services de l’Élysée – tout particulièrement Jean-David Levitte, conseiller diplomatique, et Boris Boillon, le « monsieur Maghreb/Moyen-Orient de l’Élysée » qui avait préparé le voyage de novembre 2006, quand le chef de l’État était ministre de l’Intérieur – ont pourtant travaillé les marques de considération. Par exemple, en faisant tout pour que la délégation de 120 chefs d’entreprise ne se réduise pas à des patrons de PME, qui réalisent l’essentiel des échanges économiques entre Alger et Paris, et comporte quelques pointures du CAC 40, comme les PDG d’Alstom et de Gaz de France, respectivement Patrick Kron et Jean-François Cirelli, ainsi que le DG de Total, Christophe de Margerie, qui ont tous les trois signé de juteux contrats. Au cortège ministériel habituel – Affaires étrangères, Finances, Développement durable, Coopération, Droits de l’homme -, ils ont ajouté deux produits de la « diversité » : la secrétaire d’État à la Ville, Fadela Amara, dont les parents sont originaires de Kabylie, et la garde des Sceaux, Rachida Dati, de mère algérienne. Et invité quelques artistes attachés à l’Algérie : l’humoriste Smaïn, natif de Constantine ; les réalisateurs Alexandre Arcady, né à Alger, et Constantin Costa-Gavras, auteur de Mon colonel, un film sur la guerre d’indépendance. La communication de l’Élysée a aussi rapporté l’histoire, qui se veut émouvante, d’un Nicolas Sarkozy amoureux de l’Algérie depuis que, adolescent, il a lu Noces, d’Albert Camus, éloge de la beauté de Tipaza. « On est soufflé positivement », commentera le chef de l’État français après son passage express sur le site, à 80 kilomètres de la capitale.

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Contrats remplis
Last but not least, Nicolas Sarkozy a proposé à l’Algérie de « bâtir l’Union de la Méditerranée sur l’amitié franco-algérienne ». Et, « marque de confiance », comme il a tenu à le souligner, a paraphé avec elle un accord de coopération dans le nucléaire civil, le premier du genre conclu entre Paris et un pays arabo-musulman, précise l’Élysée.
Mais, surtout, dans une relation où l’un réclame obstinément qu’un simple terme, « pardon », soit prononcé, ce sont les mots qui comptent. Henri Guaino, la plume du chef de l’État, les a particulièrement pesés dans le discours de Constantine, qui témoigne de subtiles et notables avancées. Du refus ferme des excuses, Nicolas Sarkozy est passé à la condamnation sans appel du système colonial, (voir encadré p. 46). Les hommes de ce système, eux, sont épargnés. Et ils le resteront : la France ne se repentira pas et il y a peu de chances que Nicolas Sarkozy aille plus loin. « C’est une question d’honnêteté et de lucidité », estime-t-il. L’avenir dira si cela suffit aux Algériens. Mais pour ce pragmatique qui a réussi à séduire les hommes d’affaires (la plupart estimant que la repentance n’est plus à l’ordre du jour), et dont les visites à l’étranger se résument souvent en milliards d’euros, l’important n’est-il pas d’être revenu en brandissant 5 milliards d’euros de contrats ?

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