Médecins sans frontières

Quelque deux cents praticiens tunisiens vont s’expatrier temporairement au pays de Nelson Mandela dans le cadre d’un accord de coopération en matière de santé.

Publié le 10 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

La coopération Sud-Sud n’est pas un mythe. La Tunisie et l’Afrique du Sud en ont apporté la démonstration éclatante dans le domaine de la santé. Quelque deux cents médecins tunisiens, généralistes et spécialistes, s’apprêtent à aller exercer au pays de Nelson Mandela dans le cadre d’un accord conclu entre les deux pays. Deux douzaines d’entre eux ont déjà reçu, début novembre, leur affectation dans les provinces de Free State et d’Eastern Cape. Les autres devraient les rejoindre d’ici à la fin de l’année et dans le courant de 2008. Des infirmiers et des formateurs d’infirmiers pourraient aussi être du voyage. Parallèlement, les deux pays sont convenus de mettre en place un réseau permettant des échanges entre facultés de médecine et instituts de recherche, mais aussi entre hôpitaux et écoles de formation de personnel soignant et paramédical. Les Sud-Africains souhaitent ainsi faire venir des spécialistes de l’Institut Pasteur de Tunis et voir se nouer un parrainage entre les universités des deux pays, à commencer par l’université de Tunis-Manar et celle de Pretoria. Ils se proposent aussi de promouvoir un partenariat entre leurs industries pharmaceutiques, publiques ou privées.
Le recrutement a commencé lors de la visite, du 26 au 31 août dernier, d’une délégation sud-africaine, qui a auditionné 275 médecins candidats, dont quelque 40 % de femmes. Les salaires proposés ne sont pas mirobolants : environ 4 000 dinars (2 285 euros) pour un généraliste ayant un an d’expérience et 6 000 dinars pour un spécialiste. Mais le niveau de rémunération est compensé par plusieurs avantages : logement individuel avec tout le confort nécessaire et à proximité du lieu de travail pour 60 dollars par mois, accès à la cantine de l’hôpital, billets d’avion aller-retour gratuits (un par an et par personne, pour tout contrat de trois ans), facilités pour l’achat d’une voiture et pour la scolarisation des enfants, autorisation pour les épouses de travailler
Arabophones et francophones pour la plupart, les médecins tunisiens ont généralement le niveau minimum requis en anglais pour communiquer avec leurs confrères sud-africains. En cas de besoin, ils recevront une formation sur la terminologie technique et médicale en anglais. La principale appréhension – l’insécurité – a été levée. « En dehors des deux grandes villes, Pretoria et Johannesburg, il n’y a pas de problème majeur de sécurité », estime Habib Ben Mansour, directeur général adjoint de l’Agence tunisienne de coopération technique (ATCT), qui s’était rendu sur les lieux en mai 2007. Les médecins tunisiens étant appelés à exercer dans le monde rural, ils vivront dans un environnement paisible.

Les éloges de Thabo Mbeki
La délégation sud-africaine, qui a eu des entretiens avec les responsables de la faculté de médecine de Tunis et d’une école de formation d’infirmiers, est repartie satisfaite : les candidats sont formés selon les normes exigées et pourront être dispensés de l’examen, normalement obligatoire, pour exercer la médecine en Afrique du Sud. Ils pourront même poursuivre leur spécialisation dans les universités du pays et y parfaire leur formation. De retour à Pretoria à l’issue de cette première phase de recrutement, la délégation émet un avis favorable. Les départs, en trois vagues, peuvent commencer. Ils se poursuivront en fonction des décisions de chacune des provinces, libres de choisir les candidats qui répondent à leurs besoins, le gouvernement central assurant néanmoins la gestion globale de l’accord signé avec le gouvernement tunisien et l’ATCT.
Tout a commencé il y a une dizaine d’années. Des ophtalmologues volontaires membres du Nadi el-Bassar (Club de la Vision), une ONG basée à Tunis et réputée pour ses missions bénévoles contre la cécité sur le continent (10 000 personnes soignées jusque-là), se rendent en Afrique du Sud où ils opèrent gratuitement des patients de la cataracte. Le succès est tel que Pretoria conclut un accord bilatéral avec Tunis pour l’envoi de quatorze chirurgiens ophtalmologues en mission auprès du Bureau pour la prévention de la cécité en Afrique du Sud. Entre septembre 2000 et octobre 2002, en cinq missions, ils réalisent 670 opérations de la cataracte. Ces missions reprendront en 2005 et se poursuivent depuis sur la base d’un programme de trois ans. Le président sud-africain Thabo Mbeki en a lui-même fait l’éloge au mois d’octobre à l’occasion de la journée nationale de lutte contre la cécité : « Une mention spéciale est à accorder à l’excellent rôle joué par les médecins tunisiens qui nous ont aidés à relever les défis de la cécité en concrétisation de l’esprit de la solidarité africaine et du Nouveau Partenariat pour le développement en Afrique (Nepad). »
Mais les deux gouvernements décident d’aller plus loin : en 2005, ils concluent un accord-cadre par lequel ils s’engagent dans une coopération Sud-Sud dans le domaine de la santé. Un accord technique sera ensuite signé en mai 2007 entre le ministère sud-africain de la Santé et l’ATCT fixant les modalités de recrutement de médecins et de personnels paramédicaux tunisiens par des hôpitaux publics situés dans les zones rurales des cinq provinces sud-africaines qui en ont le plus besoin.
Comment et pourquoi, malgré la distance, les deux pays ont-ils mis en place un tel partenariat ? L’Afrique du Sud compte des spécialistes de renommée internationale – on se souvient du professeur Barnard, auteur de la première greffe du cur – et dispose d’infrastructures hospitalières bien équipées qui en font, avec la Tunisie, l’une des premières destinations africaines du tourisme médical. Mais le pays manque cruellement de personnel de santé, surtout dans les hôpitaux publics des zones rurales, alors que la Tunisie affiche, au contraire, un excédent devenu chronique. La pénurie sud-africaine remonte à la fin de l’apartheid, en 1994, quand des milliers de professionnels de la santé, Blancs et Noirs, s’exilent massivement vers les pays développés, qui offrent de meilleurs salaires et des perspectives de carrière plus intéressantes. Une hémorragie qui tombe très mal : les besoins en personnel de santé sont alors immenses, notamment pour soigner les populations noires négligées pendant l’apartheid.

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Fuite des cerveaux
Combien de Sud-Africains se sont-ils expatriés ? On ne dispose pas de chiffres précis, mais un rapport de l’OMS datant de 2007 estime que 37 % des praticiens et 7 % des infirmiers sud-africains ont quitté le pays depuis la fin de l’apartheid. Une étude de l’OCDE, réalisée en 2003, sur les migrations des professionnels de la santé chiffre à 23 407 le personnel de santé sud-africain exerçant dans cinq pays développés (Royaume-Uni, États-Unis, Australie, Canada et Nouvelle-Zélande). Ils se répartissent comme suit : 8 921 généralistes et spécialistes, 6 844 infirmiers, 7 642 autres professionnels. La majorité travaille au Royaume-Uni (8 999) et aux États-Unis (6 956). « La situation [de déficit en personnel de santé subsaharien] ne va pas s’améliorer à court terme, déclarait l’an dernier Tim Evans, directeur général adjoint de l’OMS. Peut-être même qu’elle va empirer. »
Au début, la pénurie causée par les départs massifs a été compensée, en partie seulement, par l’arrivée spontanée de médecins subsahariens, notamment en provenance du Ghana. En 1999, 20 % des médecins exerçant en Afrique du Sud viennent d’autres pays africains et de Cuba. Mais cette source s’est tarie lorsque Pretoria s’est engagé, dans le cadre d’une convention signée par les pays du Commonwealth, à ne plus encourager la fuite des cerveaux africains, sauf accord avec le pays concerné. Non seulement le flux des médecins venant du continent a été stoppé, mais ceux qui étaient déjà installés ont rencontré des difficultés pour prolonger leurs permis de séjour, ce qui les a incités à se rabattre sur les pays développés. Le recrutement de médecins cubains n’a pas suffi à faire face aux besoins dans les provinces. En 2006, sur un total de 29 912 médecins enregistrés, on n’en comptait que 7 645 dans les hôpitaux publics, pour une population totale de 48 millions d’habitants. Les trois quarts des praticiens préfèrent le secteur privé et les grandes villes, plus lucratifs. Selon l’enquête annuelle 2006 South Africa Survey, citée par le démographe sud-africain Marco MacFarlane, 93 % des Noirs ne reçoivent pas d’assistance médicale. Résultat : l’espérance de vie se situe dans une moyenne de 50 à 52 ans. Il n’en était que plus urgent pour les autorités sud-africaines de mettre en place une stratégie nationale destinée à hisser, à l’horizon 2009, les services de santé dans les zones rurales au même niveau de qualité et d’accessibilité que ceux des zones urbaines. Pour atteindre cet objectif, et en attendant que l’effort redoublé dans la formation de médecins et de personnels paramédicaux sud-africains porte ses fruits, il n’y avait d’autre solution que de recourir temporairement à un personnel de santé venu d’un pays du Sud qui ne soit pas lui-même confronté à une pénurie. Ce qui est précisément le cas de la Tunisie.

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