Le mystère Poutine

Le chef de l’État va-t-il vraiment quitter le Kremlin, comme il s’y est engagé ? Que fera-t-il après ? Qui sera son successeur ? À trois mois de l’élection présidentielle, les questions se bousculent…

Publié le 10 décembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Iouri Loujkov, le maire de Moscou, l’a déclaré sans ambages, le 3 décembre : « Notre grand souci, c’est de faire en sorte que Vladimir Vladimirovitch [Poutine] reste dans le système. Qu’il continue de prendre part à l’élaboration des grandes orientations et au développement du pays. »
Marquées par la victoire écrasante (plus de 64 % de voix) du parti Russie unie, avec Vladimir Poutine en tête de liste, les élections législatives du 2 décembre ont pris des allures de référendum. Pourtant, on ne connaît toujours pas le candidat de la majorité pour l’élection présidentielle du 9 mars 2008. Poutine a promis de ne pas se représenter. D’ailleurs, la Constitution le lui interdit. Mais nombre de Russes, lassés des changements, espèrent encore conserver leur président bien-aimé, fût-ce sous une autre casquette.
Ce dernier veut réunir le nouveau Parlement plus vite que prévu, sans respecter le délai normal de trente jours, ce qui pourrait indiquer qu’il a enfin choisi le scénario de sa succession. Ou de son maintien au pouvoir. Jusqu’à présent, ses silences, ses allusions et jusqu’à ses déclarations aussi fracassantes qu’inexplicables (pourquoi a-t-il dénoncé ses adversaires politiques, dont l’audience est plus que limitée, comme des « ennemis de la Russie » ?) laissaient soupçonner, au-delà d’un goût de l’opacité hérité de son passé d’agent du KGB, une certaine indécision sur la conduite à tenir. Sinon des craintes obscures.
La vérité est que Poutine n’est pas le seul à décider et qu’il subit d’énormes pressions. Des clans rivaux s’affrontent dans l’ombre du gouvernement. Parfois, des échos de ces conflits remontent à la surface sous la forme d’un brusque remaniement ministériel ou d’une arrestation – celle, par exemple, le 16 novembre, de Sergueï Stortchak, le vice-ministre des Finances, accusé de tentative de détournement de fonds. Une classe de hauts fonctionnaires souvent issus des services secrets tient aujourd’hui les rênes de l’économie russe. Ils ont le pouvoir et l’argent, ils maîtrisent les ressources du pays et n’ont nulle intention d’y renoncer. Pour eux, Poutine est une garantie de stabilité. Même si le président souhaite partir, ses partisans risquent fort de le retenir en otage

« Poutinolâtres »
Valentina Matvienko, le maire de Saint-Pétersbourg, a annoncé que le candidat à la présidence du parti Russie unie (donc le dauphin de Poutine) serait enfin choisi le 17 décembre. De qui s’agira-t-il ? De Viktor Zoubkov, le nouveau Premier ministre, apparemment dépourvu d’ambitions personnelles ? De Sergueï Ivanov, ex-ministre de la Défense et actuel vice-Premier ministre ? De son collègue Dmitri Medvedev ? Une dizaine d’autres noms circulent dans la presse, dont celui de Matvienko elle-même (mais ses chances sont minces). Le choix d’un outsider est également possible : pourquoi pas une personnalité extérieure au gouvernement, mais connue de la population ? Quelques « poutinolâtres » ont même suggéré la candidature de Ludmilla Poutine, l’épouse du chef de l’État !
Certans estiment que le futur président pourrait tenir « la place au chaud » jusqu’au retour de Poutine aux commandes, en 2012. Ou avant, en cas de démission. Mais l’heureux élu, tout fidèle qu’il soit, risquerait de prendre goût au pouvoir. Et de vouloir le conserver.
En attendant, qu’il souhaite ou non redevenir président, Poutine va devoir se recaser. L’imaginer en « leader » sans poste officiel ne tient pas la route. Il s’exposerait à voir sa popularité tomber en chute libre et à affronter une pluie de reproches sur sa politique passée. Se contentera-t-il, comme certains le suggèrent, de diriger un consortium énergétique, voire le Comité olympique (pour les Jeux d’hiver de Sotchi, en 2014) ? Ces postes ne semblent pas à la mesure de ses ambitions. Plus réaliste : Poutine pourrait s’arranger pour conserver la mainmise sur le Conseil de sécurité (chargé de préparer les décisions relatives à la sécurité de l’État). Dans ce cas, toutes les forces militaires russes resteraient sous son contrôle En revanche, le scénario d’une union Russie-Biélorussie avec Poutine à sa tête paraît illusoire, du moins à brève échéance, en raison (notamment) des tensions suscitées entre les deux pays par l’augmentation du prix du gaz russe.
Beaucoup envisagent la transformation du régime présidentiel en régime parlementaire, avec Poutine dans le rôle du Premier ministre détenteur du pouvoir réel, mais celui-ci a déjà fait savoir qu’il n’était pas favorable à une telle réforme. L’hypothèse la plus probable est qu’il prenne la présidence de Russie unie (ou du Parlement). Ce parti disposant désormais d’un quasi-monopole sur la scène politique, il serait en mesure de dicter sa loi. Pourtant, le chef de l’État est sans illusions : en acceptant la tête de liste, il a déclaré que Russie unie était loin d’être un parti idéal et qu’il comptait nombre d’arrivistes dans ses rangs – ce qui n’est assurément pas faux.
Poutine tiendra-t-il cette promesse paradoxale de partir, tout en restant présent ? A-t-il élaboré – ou a-t-on élaboré pour lui – un moyen légal et sûr d’y parvenir ? Peut-il encore se « laisser convaincre » de rester président, en prolongeant, par exemple, la durée du mandat présidentiel par un vote du Parlement convoqué d’urgence ? Certains vont jusqu’à évoquer l’éventualité d’une démission anticipée destinée à mettre en place un mystérieux « plan Poutine » Seule certitude : les coups de théâtre ne devraient pas manquer au cours des prochaines semaines.

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