Remontée des cas de Covid-19 en Afrique : l’OMS tire la sonnette d’alarme

Alors que l’Organisation mondiale de la santé note une nouvelle accélération des contaminations en Afrique, une étude menée dans 19 pays du continent renforce les inquiétudes en soulignant que les chiffres sont sans doutes sous-estimés.

Un agent de santé désinfecte les membres de la famille lors de l’enterrement d’une personne décédée du COVID-19, à Harare, au Zimbabwe, le 15 janvier 2021. © Tsvangirayi Mukwazhi/AP/SIPA

Un agent de santé désinfecte les membres de la famille lors de l’enterrement d’une personne décédée du COVID-19, à Harare, au Zimbabwe, le 15 janvier 2021. © Tsvangirayi Mukwazhi/AP/SIPA

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Publié le 28 mai 2021 Lecture : 5 minutes.

« Il est trop tôt pour dire si l’Afrique est sur le point de subir une troisième vague. Néanmoins, nous savons que le nombre de cas augmente et le temps presse. Les chiffres diminuaient depuis trois semaines mais depuis lundi, nous observons une reprise. » Une fois encore, la directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Afrique se voit contrainte de tirer la sonnette d’alarme, d’appeler les populations du continent à la vigilance et la communauté internationale à la solidarité.

Avec bientôt 4,8 millions de contaminations et 129 000 décès, le continent demeure peu touché par rapport au reste du monde, mais les tendances ne sont pas bonnes. En particulier au sud, où l’hiver arrive et pourrait, estime le Dr Matshidiso Moeti, « inciter les gens à rester chez eux, ce qui pourrait provoquer une hausse des contaminations. »

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Nombre de cas sous-estimés

Un pessimisme relatif que vient encore alimenter la troisième livraison d’une vaste étude, baptisée PERC (Partnership for Evidence-Based Covid-19 Response, une initiative de collecte d’informations réunissant notamment l’OMS, le Forum économique mondial et la London School of Hygiene and Tropical Medecine). Bâtie à partir de collectes de chiffres et de sondages réalisés dans 19 pays du continent, l’étude, dont la troisième édition réalisée à la fin du mois de février vient d’être publiée, souligne plusieurs points préoccupants. À commencer par le fait que le nombre de malades et de morts du Covid-19 en Afrique est très probablement sous-estimé.

Dans beaucoup de pays africains, expliquent d’abord les statisticiens, le taux de cas positifs parmi les personnes testées est supérieur à 5 %, voire à 10 %. Or l’OMS considère que le taux « normal » se situe autour de 5 %. Comme rien ne démontre que le virus soit plus virulent sur le continent qu’ailleurs, au contraire, la déduction logique est que trop peu de tests sont menés, et souvent trop tard. Cela à la fois du fait du manque de moyens logistiques, mais aussi de la faible propension des populations à se faire tester, y compris lorsqu’on souffre de symptômes pouvant être ceux du Covid-19.

Le problème c’est qu’il n’y a pas de stratégie visant à documenter les décès communautaires

L’étude indique aussi que l’analyse des échantillons de sang recueillis lors des campagnes de don fait apparaître un taux de séroprévalence au Covid supérieur aux chiffres officiels, et que l’année écoulée a été marquée par de forts pics de surmortalité – jusqu’à + 80 % en Égypte et en Tunisie au plus fort de la deuxième vague – même si les décès n’étaient pas clairement attribués au virus.

« Le problème c’est qu’il n’y a pas de stratégie visant à documenter les décès communautaires, résume le Dr Moumouni Kinda, directeur des opérations de l’ONG Alima, en poste au Sénégal. Lorsqu’une personne décède, on ne cherche pas à savoir quelle est la cause, donc on ne parvient pas à mesurer la surmortalité liée au virus, qui en plus est sûrement réduite par le fait que la population est jeune. Le résultat malheureusement c’est qu’on avance à l’aveugle. »

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Scepticisme

Une situation d’autant plus problématique qu’à mesure que les mois passent, beaucoup de populations tendent à se détourner des mesures de précaution les plus basiques, estimant que le virus n’est finalement pas si menaçant, que le pire est sans doute passé. Le sondage PERC apporte sur ce point des données précises. Il montre que les femmes sont, en moyenne, plus enclines à respecter les mesures que les hommes, et que la « discipline » progresse à mesure que l’âge avance… et que les personnes sondées se sentent plus menacées personnellement par la maladie.

Les pays du sud du continent, Afrique et Sud et Zimbabwe en tête, comptent parmi les plus « disciplinés »

Géographiquement aussi, on observe de fortes variations. Ainsi, si environ 80 % des sondés continuent à se dire favorables au port du masque, le taux tombe à 62 % au Soudan et au Cameroun, et même à 45 % en Tunisie. Soudanais et Tunisiens se disent aussi extrêmement septiques face aux injonctions à éviter embrassades et autres manifestations d’affection (moins de 45 % de convaincus) tandis que les restrictions de déplacement se heurtent presque partout à un fort sentiment d’agacement et de lassitude (33 % y adhèrent en moyenne), en forte hausse par rapport aux sondages précédents.

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Les pays du sud du continent, Afrique et Sud et Zimbabwe en tête, comptent parmi les plus « disciplinés », ce que les sondeurs expliquent en partie par le très grand nombre de cas enregistrés dans la région.

La situation est aussi compliquée par le fait que, dans de nombreux pays, les sondés disent avoir le sentiment que le Covid-19 a été utilisé comme un prétexte par les autorités pour imposer des mesures restrictives de liberté ou tenter de museler leur opposition. L’étude cite en particulier les manifestations réprimées en Ouganda au mois de janvier, mais les mêmes sentiments de défiance s’expriment en Guinée, en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Kenya et en Afrique du Sud. Souvent corrélés avec un mécontentement affirmé face à la façon dont le gouvernement local a géré la pandémie elle-même.

Défiance envers les vaccins

Conséquence logique – et autre source d’inquiétude – : une partie de la population des pays où l’étude a été menée se dit méfiante à l’égard de la vaccination, ou du moins peu intéressée. Une majorité de sondés (67 %) dit vouloir bénéficier d’une injection, mais les taux varient énormément d’un pays à l’autre : de 91 % au Maroc à seulement 35 % en Tunisie et au Cameroun.

Chez les méfiants, les arguments avancés sont les mêmes que partout ailleurs dans le monde : un manque d’information sur les vaccins, le sentiment de ne pas être soi-même menacé par le virus, la peur d’être contaminé justement par l’injection, ou encore les polémiques récurrentes sur l’innocuité de tel ou tel sérum. Invité à s’exprimer lors d’une conférence organisée le 27 mai par l’OMS, le ministre de la Santé du Lesotho, Semano Henry Sekatle, explique avoir été confronté à ces réticences.

« Comme partout, nous avons eu nos prophètes de malheur, raconte-t-il, notamment au moment où notre grand voisin l’Afrique du Sud a décidé de ne plus utiliser l’AstraZeneca. Face à cela, nous avons beaucoup communiqué, à la télé et à la radio, sur le fait qu’on ne pouvait se fier qu’à la science et qu’il fallait se méfier des on-dit. Plusieurs ministres se sont faits vacciner en public pour prouver qu’il n’y avait pas de danger. »

La stratégie semble avoir fonctionné : toutes les doses reçues par le Lesotho ont été administrées, en priorité aux soignants et aux personnes vulnérables. Mais aujourd’hui, les stocks sont à sec, au point de rendre problématique l’administration de la deuxième dose aux patients déjà vaccinés une première fois. Selon Matshidiso Moeti, l’Afrique a besoin en urgence de 20 millions de doses dans les huit à douze semaines qui viennent.

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