L’Afrique peine à imposer ses marques

Si l’Éthiopie vient de remporter la bataille du café contre le géant américain Starbucks, le continent est à la traîne en matière de labellisation de ses produits. Contrairement à l’Asie et à l’Amérique latine.

Publié le 10 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

Fin de la guerre du café entre l’Éthiopie et le géant Starbucks. Après les accusations formulées en 2006 par le gouvernement d’Addis-Abeba à l’encontre de la multinationale américaine lui reprochant de faire main basse sur le café éthiopien, les deux protagonistes ont trouvé un terrain d’entente, le 28 novembre 2007. Ils reviennent de loin. Par d’intenses pressions, le groupe américain a tenté d’empêcher l’Éthiopie de déposer les marques de ses cafés les plus réputés (Harar, Sidamo et Yrgacheffe) dans trente-trois pays, ce qui aurait permis à Addis-Abeba d’en contrôler le commerce et d’accroître les revenus des producteurs. Commercialisés sous licences, ils auraient rapporté 90 millions de dollars par an. « Les cafés étaient vendus par Starbucks entre 24 et 26 dollars la livre. Seulement 5 % nous revenaient. Nous avons combattu l’appropriation illicite de nos cafés », justifie Getachew Alemu, de l’Office éthiopien pour la propriété intellectuelle (EIPO).
Seule la médiatisation du conflit a fait céder l’américain. « Nous sommes ici pour tourner la page des malentendus. Nos achats de café éthiopien ont augmenté de 400 % entre 2002 et 2006, et ils vont encore s’accroître », a déclaré Howard Schultz, le patron de Starbucks, le 28 novembre. « Tous les désaccords sont derrière nous. C’est un nouveau départ », a confirmé le premier ministre du pays, Mélès Zenawi. Les deux parties ont signé un accord qui instaure un label pour les trois variétés de café. Il est reconnu par quinze autres compagnies caféières internationales.

Des produits très typiques
Un différend qui illustre le retard de l’Afrique dans la défense et la promotion de ses produits. De l’Amérique latine à l’Asie, les pays en développement jonglent avec les labels (agriculture biologique, commerce équitable, indications géographiques protégées) pour commercialiser des produits plus chers en jouant la carte de la qualité et de la sécurité alimentaire. La Colombie a son café. Le Mexique vante sa tequila et la Chine l’alcool de riz jaune de Shaoxing. L’Inde loue la qualité du thé Darjeeling et le Punjab celle du riz Basmati. Et l’Afrique ? « Le développement de labels est un enjeu pour le continent. C’est un élément porteur pour tous les produits. Qu’ils soient si peu nombreux en Afrique traduit le peu de place que celle-ci occupe dans le commerce international et les difficultés qu’éprouvent ses entreprises productrices et exportatrices à s’imposer », constate Caroline Thulliez, responsable Afrique de l’Association pour le développement des échanges internationaux de produits et de techniques agroalimentaires (Adepta).
Et pourtant. Les produits africains ont du caractère. Comme la toile de Korhogo au nord de la Côte d’Ivoire, les oignons de Galmi au Niger, l’huile de palme de Boké en Guinée ou celle d’argan, au Maroc. Mais aussi l’ananas du Ghana, le gari, une semoule de manioc béninoise, le thé du Kenya, le cacao de São Tomé ou la mangue du Mali « Il existe un large éventail de produits très typiques largement inexploité. Chaque pays aurait au moins deux à trois filières susceptibles d’être valorisées et exportées. Ce serait une façon pour le continent de vendre des produits transformés plutôt que de commercialiser en majorité des produits bruts ou semi-finis », analyse Philippe Decesse, du bureau des échanges et de la promotion au ministère français de l’Agriculture.
Le potentiel est là. Sauf que « Cela fait longtemps que nous voulons mettre en avant l’origine naturelle de nos produits et combler notre déficit en matière de labels. Mais aucune initiative n’a vraiment abouti sur le terrain. Il manque une réflexion collective pour donner une plus grande crédibilité aux produits africains », reconnaît Marie-Andrée Tall, présidente de l’Association Afrique Agro Export (AAFEX), qui réunit 85 entreprises de 15 pays. Elle est également présidente de Fruitales, une entreprise sénégalaise d’export de purée de piment. Le manque de coordination qu’elle dénonce freine aussi la filière cacao africaine, qui réalise pourtant les deux tiers de la production mondiale avec, il est vrai, un produit standard (cacao bulk). « Mener une démarche de qualité et de contractualisation passe par le regroupement de producteurs, qui s’avère difficile à mettre en place. De plus, il n’y a pas de prix d’achat différencié en fonction de la qualité du cacao. Cela n’incite pas les producteurs à améliorer leurs produits », résume Philippe Bastide, correspondant de la filière cacao au Centre de coopération internationale en recherche agronomique (Cirad). Dernier handicap : le manque de moyens. « La profitabilité de nos filières est extrêmement réduite, nous manquons de financements », complète Philippe Meval, responsable de l’Organisation centrale des producteurs exportateurs d’ananas et de bananes de Côte d’Ivoire (Ocab).
Pendant ce temps, le reste de la planète réussit à faire fructifier son patrimoine agricole, artisanal ou industriel avec des produits labellisés. Et ça marche. « Il y a une forte demande de la part des consommateurs européens, surtout britanniques et néerlandais, qui ont développé des habitudes de consommation nouvelles, très orientées vers des produits différents, exotiques. Mais si le consommateur européen a de plus en plus envie de manger africain, il n’y a pas beaucoup d’offre », regrette Caroline Thulliez. Un espace inoccupé dans lequel s’engouffrent la grande distribution ou les multinationales. Dans le cosmétique, un groupe n’a pas hésité à déposer la marque Argan, qui pénalise maintenant les producteurs d’huile marocains, empêchés de développer un label local.

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600 millions d’euros en 2006
« Avec le cas Starbucks, les pays ont pris conscience que leurs productions traditionnelles peuvent être développées à leur détriment par des multinationales », relève Patrick Decesse. Des initiatives sortent de terre. Dagris et l’association de commerce équitable Max Havelaar ont un projet de coton bio en Afrique de l’Ouest. « Le produit est très porteur et il permettrait de trouver une identité africaine au coton », note François Giraudy, ingénieur agronome en charge du projet chez Dagris. Ce ne sont pas les seuls. « Nous avons nos marques pour les ananas et les bananes. Maintenant, nous évaluons les opportunités pour le bio et le commerce équitable. Nous cherchons des partenaires. Ce n’est pas simple », explique Peter Blake, chargé de la qualité de la Compagnie fruitière de Marseille.
À la différence du bio, l’Afrique affiche des résultats significatifs dans le commerce équitable. Sur un marché mondial de 1,6 milliard d’euros en 2006, le continent a représenté près de 600 millions d’euros. Dans le cacao, des projets naissent au Cameroun et en Côte d’Ivoire, dans le sillage du pionnier ghanéen Kuapa Kokoo, une coopérative de 35 000 producteurs née en 1993. La filière coton (Burkina, Mali, Sénégal, Cameroun), soutenue par l’association Max Havelaar, qui garantit un prix plancher en contrepartie du label commerce équitable, rassemble 30 000 producteurs, qui ont trouvé des débouchés auprès de 40 clients (Celio, Eider, Rica Lewis). Autre avantage : alors que le cours mondial s’élevait en 2006 à 160 F CFA le kilo, le label garantissait un minimum de 237 F CFA pour une production totale de 7 000 tonnes. Les 30 000 producteurs ont en outre bénéficié d’une prime de développement de 620 000 euros (34 F CFA par kilo). « Une vraie dynamique s’enclenche », commente Christophe Alliot, le directeur des relations internationales de Max Havelaar France.
Par ailleurs, les Africains prennent également en marche le train des indications géographiques protégées (IGP), en plein essor. Fonctionnant comme une marque, ces labels mettent en valeur un environnement géographique particulier (climat, sol, altitude) et des savoir-faire uniques de producteurs ou de transformateurs locaux respectant un cahier des charges. Depuis 2000, douze pays d’Amérique latine et centrale (Colombie, Venezuela, Costa Rica, Cuba) et treize d’Asie ont adopté le statut des IGP. En Afrique, seul le Kenya, qui a recensé dix-sept produits potentiels (thé, café), est passé à l’acte. Le Maroc et l’Égypte sont intéressés. Quatre pays d’Afrique de l’Ouest pourraient les coiffer sur le fil (voir encadré). « Les démarches sont longues et difficiles. Le premier risque est celui du découragement », redoute Patrick Decesse.

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