La croissance malgré tout

L’envolée des prix des hydrocarbures ne devrait pas remettre en cause la hausse générale de l’activité économique sur le continent.

Publié le 10 décembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Le monde et l’Afrique vivent leur troisième « choc » pétrolier après ceux de 1974 et de 1979. Qu’importe que le prix du baril de pétrole n’ait pas encore battu le record de 101,10 dollars (en valeur 2007) atteint en 1980. Le choc est là, même si l’ascension de son prix moyen a été progressive. De 28,90 dollars en 2003, il est passé à 64,30 dollars l’an dernier. Le baril était annoncé à 68 dollars pour 2007, mais il est à parier que la moyenne de l’année 2007 sera nettement supérieure, les cours oscillant en ce moment entre 90 et 98 dollars.
La facture énergétique a donc été multipliée par 2,5 en cinq ans. Quand on sait qu’une hausse permanente du pétrole de 10 dollars ampute la production mondiale de 0,4 à 0,5 point, on frémit en pensant aux dégâts provoqués par ce renchérissement sur les économies fragiles du continent africain. Force est de constater que celles-ci ont remarquablement résisté à la bourrasque. Leur croissance est demeurée incomparablement plus vigoureuse (+ 6 % prévus en 2007) que celle de l’Europe (+ 2,5 %). Les experts du Fonds monétaire international (FMI) prédisent même qu’elle va s’accélérer (+ 6,75 %) en 2008.

137 milliards de réserves
Les pays africains producteurs de pétrole caracolent en tête (+ 7,5 %), emmenés par l’Angola et la Guinée équatoriale, dont les recettes d’exportation s’envolent. Pourtant, les pays dépourvus d’hydrocarbures tirent, eux aussi, leur épingle du jeu : le Maroc n’a pas à rougir de sa santé économique comparée à celle de l’Algérie, ni le Niger comparée à celle du Nigeria. Les autres paramètres macroéconomiques sont flatteurs. L’inflation africaine n’a jamais été aussi basse (+ 7,5 %). Les réserves accumulées par les Banques centrales atteignent le montant record de 137 milliards de dollars, ce qui représente 5,7 mois d’importations pour l’ensemble du continent, au lieu de 3,8 mois en l’an 2000. Comment expliquer cette belle résilience de l’Afrique à la forte poussée des prix de l’énergie ? Première raison : la croissance mondiale générée par le développement accéléré des économies asiatiques nourrit une forte demande en matières premières dont l’Afrique est généreusement dotée : minerais, bois, charbon, métaux rares, pierres précieuses, etc. Les prix de ces produits de base ayant connu depuis 2005 une accélération comparable à celui du pétrole, les pays non-pétroliers ont pu compenser le déficit de leur balance énergétique par des recettes d’exportation en hausse.
La tonicité africaine est aussi le résultat des progrès réalisés par un grand nombre de pays du continent. Les conflits se font plus rares, les gestions gouvernementales deviennent raisonnables et les cadres juridiques plus stables. Rassurés, les investisseurs étrangers ne s’y sont pas trompés, qui ont triplé leurs apports en capitaux depuis 2003. Reste que les populations et les entreprises africaines souffrent de l’envolée des prix des carburants et de l’énergie. « Surtout les classes moyennes et les populations urbaines les plus pauvres, car elles dépendent directement des hydrocarbures », analyse Cristina Savescu, analyste au département de l’Économie du développement de la Banque mondiale.

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Amortir le choc
Mais la hausse des coûts des transports affecte durement tous les acteurs. Ainsi, en Guinée-Bissau, à cause du coût de la logistique, le prix du riz a augmenté de 30 % entre le 10 et le 17 novembre, passant de 12 500 à 20 000 F CFA le kilo. Le sucre (+ 25 %), l’huile (+ 38 %) et la farine (+ 100 %) ont connu la même évolution dramatique pour les consommateurs. Les frais d’acheminement des noix de cajou de la Guinée-Bissau ont doublé et les exportateurs ont demandé aux paysans de baisser leurs prix.
Dans les pays sans pétrole, les gouvernements ont d’abord essayé d’amortir les hausses du baril. Ils ont soit baissé les taxes qui frappent celui-ci à l’importation, comme au Mali, soit subventionné les raffineries et les producteurs d’électricité pour maintenir l’essence et le courant électrique à des niveaux de prix supportables. Ce faisant, ils ont déséquilibré leurs budgets, déjà déficitaires.
Le cas du Sénégal illustre les inconvénients de cette politique à courte vue, qui n’évite pas les manifestations comme celle du 21 novembre à Dakar. Le gouvernement d’Abdoulaye Wade a choisi de bloquer le prix de l’énergie et d’y consacrer quelque 150 milliards de F CFA. Le premier résultat de ces subventions a été un doublement du déficit budgétaire. L’État s’est retrouvé dans l’incapacité d’honorer ses dettes à l’égard du secteur privé et les retards de paiements s’accumulent. Pire, des sommes précieuses pour le secteur social ont été détournées vers l’énergie : la part des dépenses allouées à l’éducation et à la santé dans le budget est tombée de 32 % à 28 %. Devant ces aberrations, le gouvernement a fini par se rendre à l’évidence et a accepté, le 1er novembre, une hausse de 6 % du prix de l’électricité, modulée selon les revenus.
À court terme, les autorités africaines sont impuissantes à endiguer le choc pétrolier. Pour améliorer l’efficacité énergétique et moderniser la production électrique africaine, il faudrait que les pays industrialisés tiennent leur promesse de doublement de leur aide, formulée en 2005 au sommet du G8 de Gleneagles. Les politiques de substitution peuvent s’avérer catastrophiques et le retour au charbon de bois dans les zones arides et semi-arides risque d’accélérer la déforestation. Les pays pétroliers devront persévérer dans la politique de sagesse monétaire qu’ils ont pratiquée jusqu’à maintenant en évitant d’injecter de grandes quantités de liquidités dans leurs économies et de faire repartir l’inflation. Comme d’autres, les pays pétroliers appartenant à la Communauté économique et monétaire des États d’Afrique centrale ou le Nigeria placent une partie des recettes pétrolières excédant les prévisions budgétaires sur des comptes spéciaux. Et l’Algérie, qui a déjà remboursé par anticipation plus de 10 milliards de dollars de sa dette extérieure, consacre une partie de son surplus fiscal à réduire sa dette intérieure.
De partout, on entend parler de développement des énergies durables. L’Afrique du Sud travaille sur des centrales électriques à charbon « propre ». Le méthane des Grands Lacs pourrait être utilisé à des fins énergétiques. Dans le bassin du Congo, on se souvient des vertus de l’hydroélectricité. Le Brésil fait une cour assidue à l’Afrique du Sud comme au Sénégal pour les convertir à la fabrication de biocarburants. Au Burkina, la graine de coton servira bientôt à faire du biodiesel, comme au Zimbabwe, où le président Robert Mugabe a inauguré, le 15 novembre, une usine qui produira 100 millions de litres de biocarburant à base de soja, de tournesol et de jatropha, afin d’économiser 80 millions de dollars par an.
En tout cas, cette quête d’économies et d’autonomie est autrement porteuse d’avenir que le recours à la sorcellerie à laquelle a brièvement succombé le même Mugabe. Selon la presse de Harare, il avait promis deux vaches et trois buffles à une certaine Rotina Mavunga pour qu’elle révèle au gouvernement zimbabwéen comment faire jaillir du pétrole des rochers. Il l’a fait jeter en prison lorsqu’il a été avéré qu’elle versait subrepticement un bidon de gazole sur la roche prétendument pétrolifère. Il n’y a pas de miracle en matière pétrolière non plus.

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