Jean-Claude Masangu Mulongo

Dix années après sa prise de fonctions, le gouverneur de la Banque centrale de la République démocratique du Congo apprécie le chemin parcouru en s’appuyant sur la reprise de l’aide internationale annoncée fin novembre à Paris.

Publié le 10 décembre 2007 Lecture : 5 minutes.

« Une église au milieu du village. » Comme beaucoup de Congolais, l’homme a le sens de la formule. À ceci près qu’il n’est pas habituel de déceler, chez un gouverneur de Banque centrale, un goût pour la prose lorsqu’il s’agit de présenter son travail et l’institution qu’il dirige. Affable, d’un accès facile, de caractère urbain et soucieux de son image, Jean-Claude Masangu Mulongo ne répond pas à l’archétype de l’argentier austère, attaché à ses dossiers et obnubilé par la stabilité de sa monnaie. Il faut dire que ce gouverneur revient de loin. Son pays aussi. Et l’on peut légitimement avancer que la dernière conférence des bailleurs de fonds pour la République démocratique du Congo (RD Congo), qui s’est tenue à Paris les 29 et 30 novembre dernier, a de quoi lui mettre du baume au cur.
Si les 4 milliards de dollars promis sur la période 2008-2010 pour financer la reconstruction du Congo et la relance de son économie ne sont pas à la hauteur des espérances de Kinshasa, ils marquent tout de même une relance du partenariat après la suspension des aides, en 2006. La communauté internationale dénonçait alors de graves dérapages budgétaires à l’approche de l’élection présidentielle. Le Fonds monétaire international (FMI), en première ligne, avait tout simplement décidé de couper les vivres, rendant l’exécution du budget 2007 particulièrement délicate. « Le gouverneur de la Banque a largement contribué à restaurer la stabilité macroéconomique, même si elle reste volatile », assure le représentant de l’institution à Kinshasa, Xavier Maret. L’intéressé salue « une meilleure compréhension entre la RD Congo et ses partenaires. Nous arrivons au bout d’un processus mais il faut poursuivre les efforts », conclut-il. De fait, si l’assainissement du système financier congolais n’est pas achevé – loin s’en faut – et l’orthodoxie monétaire toujours perfectible, le gouverneur aime à souligner le chemin parcouru depuis sa nomination.
Nous sommes en août 1997. Après une carrière sans anicroche durant seize années à la Citibank de Kinshasa, où il a occupé plusieurs postes, de contrôleur de gestion à directeur général, ce Katangais âgé de 44 ans est appelé à la rescousse par le Mzee Laurent-Désiré Kabila, qui a renversé, trois mois plus tôt, armes à la main, le régime vermoulu du maréchal Mobutu. « Il a répondu avec courage aux sollicitations du nouveau pouvoir. C’était du quitte ou double et les risques étaient élevés mais il n’avait plus rien à prouver à Citibank. Masangu est un homme de défi, déterminé, et qui parvient souvent à ses fins », résume un banquier de la place.

En 1998, il crée le franc congolais
À première vue pourtant, la mission était quasi impossible : stopper la dégringolade d’une monnaie, le Nouveau Zaïre, dont plus personne ne veut, et renflouer les caisses de l’État. « La Banque centrale était totalement subordonnée aux décisions politiques, ses comptes n’étaient pas fiables et il n’y avait plus de réserves de change. Même les agents de la Banque n’étaient plus payés », se souvient le gouverneur. Avant d’ajouter : « Mes prédécesseurs ne sont pas en cause. À leur place, j’aurais eu les mêmes résultats, les hommes font souvent la différence, mais quand la situation est périlleuse, il est difficile d’avancer. » Un euphémisme si l’on se souvient des habitudes de Mobutu, qui considérait la Banque centrale comme une caisse personnelle afin d’assurer son fastueux train de vie.
Dans ces conditions, les débuts sont laborieux et l’apprentissage douloureux. « En 1998, on a dû recourir à la planche à billets pour stabiliser la situation, l’État n’avait plus de recettes et son budget dépassait à peine les 200 millions de dollars, contre 3,3 milliards prévus en 2008 », rappelle Masangu. Les premières mesures d’urgence ont été la création du franc congolais, en juin 1998, et l’instauration du change flottant en mai 2001. La sanction est immédiate : la monnaie chute de 100 % en quelques jours. « Il a fallu tenir mais, aujourd’hui, plus personne ne remet en cause le change flottant, et les mécanismes d’une bonne gestion monétaire sont en place. Il faut à présent les consolider », explique-t-il, rappelant au passage quelques chiffres plutôt flatteurs. En novembre de cette année, le taux d’inflation s’est établi à 8,9 %, contre 9 889 % en 1993 et 511 % en 2000 ! En matière de taux de change, la tendance à la stabilité se confirme également. Alors que la monnaie nationale se dépréciait en moyenne de 77 % par an entre 1990 et 2000, elle n’a perdu que 37 % de sa valeur sur la période allant de 2001 à 2007, soit une moyenne annuelle de 6 %. « Même si on peut douter des méthodes de calcul, notamment concernant l’inflation, et si les dérapages constatés en 2006 confirment qu’en matière de transparence tout n’est pas réglé, il faut reconnaître que Jean-Claude Masangu est un bon professionnel, brillant et très habile », constate un observateur, habituellement plutôt critique, qui n’hésite pas à présenter le gouverneur comme le « trésorier du système Kabila » et à dénoncer l’augmentation de la masse monétaire en circulation avant le scrutin présidentiel de 2006.

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Son nouveau chantier : moderniser la banque centrale
Si le gouverneur, ainsi mis en cause, ne cache pas sa sympathie pour le président « qui sait faire confiance et a démontré qu’il est l’homme de la situation », s’il ne masque pas son hostilité pour l’opposant Jean-Pierre Bemba, il ne nie pas pour autant l’évidence : « En cas d’élections, les politiques se concentrent sur ce rendez-vous, et il y a un relâchement dans la gestion des finances publiques. Et lorsque la Banque reçoit un ordre de paiement, elle doit l’exécuter. C’est donc en amont qu’il faut fermer les vannes. Pour cela, j’envoie des notes, j’alerte et je conseille. En dernier ressort, j’interviens et active le seul levier à ma disposition que sont les taux d’intérêt. » En revanche, il se montre beaucoup moins prolixe lorsque l’on évoque la présence non négligeable de personnalités originaires du Katanga dans l’entourage du chef de l’État. Le regard se braque et une colère froide semble l’envahir. « C’est faux, le Premier ministre, les présidents des deux chambres parlementaires et le directeur de cabinet à la présidence sont natifs d’autres provinces. Nous partageons donc le pouvoir et, en ce qui me concerne, je n’ai pas choisi d’être katangais ! » rétorque-t-il, faisant comprendre à son interlocuteur qu’il est inutile de s’attarder sur cette question.
Le banquier préfère revenir sur ses chantiers en cours pour faire de la Banque centrale « une institution solide et indépendante ». Cela passe notamment par la modernisation des outils de gestion, l’informatisation du réseau reliant toutes les succursales à travers le pays et le développement de la monétique. « À l’horizon 2010, nous aurons progressé et je pourrai éventuellement faire profiter de mon expérience à d’autres institutions financières », conclut Masangu, qui n’avoue aucune attirance pour la politique.

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