Divine surprise…

Publié le 10 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

N’en doutez pas, c’est l’événement de l’année ! La date elle-même entrera dans les livres d’histoire : lundi 3 décembre, le spectre de la guerre entre les États-Unis et Israël, d’un côté, et l’Iran, de l’autre, a reculé, ou s’est même évanoui.
À Washington, ce jour-là, les seize agences américaines de renseignements ont rendu public leur National Intelligence Estimate (NEI) sur « les intentions et les capacités nucléaires de l’Iran ». Il s’agit d’un rapport de 130 pages, fruit d’un travail collectif de plusieurs mois, qui fait la synthèse de ce qu’ont pu rassembler ces agences – « le cerveau collectif du renseignement américain » – sur le sujet étudié.
Inattendues, les conclusions de ce rapport ont fait l’effet d’une bombe puisqu’elles infirment non seulement ce que ces mêmes agences croyaient savoir, mais également les thèses soutenues par le gouvernement américain, président en tête, et, de façon plus tapageuse encore, par Israël.

Unanime, le renseignement américain a déclaré en effet, ce 3 décembre 2007, que les informations dont il disposait (et qui circulaient dans le monde entier) sur les intentions et les capacités nucléaires de l’Iran étaient fausses, en tout cas dépassées. Elles doivent donc être révisées : l’Iran a en fait arrêté son programme nucléaire militaire dès l’automne de 2003 et ne l’a pas repris.
Les auteurs du document pensent que les dirigeants iraniens se sont comportés de manière plus rationnelle qu’on ne le croyait.
Ils ont dû penser, suggèrent les analystes américains, qu’il leur suffisait de faire acquérir par leur pays et ses chercheurs une connaissance et une maîtrise du cycle nucléaire dans son ensemble, et qu’il n’était ni nécessaire ni prudent de pousser jusqu’à la fabrication de l’arme nucléaire.
Ils ont choisi, en somme, de savoir dès aujourd’hui pour pouvoir demain, si le besoin s’en fait sentir.
Les auteurs américains de ce diagnostic ne pouvant être soupçonnés de sympathie envers l’Iran et ses dirigeants, leurs conclusions ont toutes chances d’être exactes.

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Que peut-on contre un pays qui n’a pour ambition que d’acquérir le savoir nucléaire ?
Rien, sauf à oser proférer la menace que l’Iran n’a même pas le droit de savoir et qu’il faut, par conséquent, assassiner l’un après l’autre tous ses chercheurs capables de maîtriser le cycle nucléaire.
Le président des États-Unis et le ministre israélien de la Défense (qui fut un homme de gauche) n’en sont, hélas, pas loin.
Réagissant à la révélation que l’Iran n’a plus, depuis 2003, de programme nucléaire militaire, ces deux faucons ont osé déclarer il y a peu de jours :
– « L’Iran était dangereux, il l’est encore et le sera demain dès lors qu’il possède le savoir-faire pour fabriquer une bombe nucléaire. » (George W. Bush) ;
– « Selon nos informations, l’Iran a seulement interrompu son programme ; il l’a probablement repris Nous ne devons prendre aucun risque, il faut agir. » (Ehoud Barak).
C’est, vous le voyez, du délire.

À ce stade de l’information sur cette énorme affaire, je crois utile de tenter de répondre à quelques-unes des questions que vous vous posez sans doute.
1) Pourquoi les agences américaines de renseignements ont-elles estimé nécessaire (et possible) de jeter ce pavé dans la mare, au grand dam du président des États-Unis et des autres faucons américains et israéliens ?
Parce que ces messieurs, qui les ont utilisées une première fois en 2002 et 2003 pour rendre possible l’invasion de l’Irak – et la justifier -, semblaient tentés par un bis repetita contre l’Iran en s’abritant de nouveau derrière l’autorité de la communauté américaine du renseignement dont la réputation aurait été ternie une fois de plus.
En ce début de campagne pour l’élection présidentielle, face à un Congrès divisé et à un président sur le départ, mais qui parle semaine après semaine d’action militaire contre l’Iran, ils ont, à l’initiative des plus modérés d’entre eux, décidé d’éclairer un débat qui devenait national : Comment ? En rendant publiques celles des conclusions de cette estimation – elle leur avait été demandée il y a plus d’un an – sur lesquelles un consensus est intervenu entre eux.
Ce que nous avons pu lire n’est, il faut le savoir, qu’une toute petite partie de ce qu’ils ont communiqué à leur gouvernement.

2) Qui sort gagnant de ces révélations ? Qui se sent désavoué ?
Les grands perdants sont Israël et ses alliés américains : ils avaient déployé des trésors d’énergie et des flots de propagande pour diaboliser l’Iran, amplifier le danger qu’il constitue pour le monde, mettre l’accent sur l’imminence de ce danger.
Le président français, son ministre des Affaires étrangères et celui de la Défense ont, malheureusement pour eux, fait chorus et se trouvent de ce fait en situation difficile, voire ridicule.
Deux gagnants indiscutables : Mohamed al-Baradei, directeur général de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), et Vladimir Poutine, président de la Russie. Tous deux répètent depuis plus de deux ans, avec la même constance : « Nous n’avons aucune preuve ni même d’indication sérieuse que l’Iran a un programme nucléaire militaire en cours. »

3) Les conséquences de ce diagnostic du « cerveau collectif américain du renseignement » ? Elles sont considérables et positives.
Il ne sera pas possible à George W. Bush, dans les mois qui lui restent, ni aux faucons israéliens (qui comptaient sur lui et ne peuvent « y aller » tout seuls), de déclencher ce qu’ils ont appelé eux-mêmes « la Troisième Guerre mondiale » en bombardant l’Iran.
La paix est ainsi sauvée. Mais l’alternative énoncée par Nicolas Sarkozy – « Nous avons le choix entre deux situations catastrophiques et inacceptables : la bombe atomique iranienne ou bombarder l’Iran pour l’empêcher de l’avoir » – se révèle être elle-même un faux dilemme.
Certes, je l’ai moi-même affirmé, l’Iran veut être une puissance nucléaire. Pour exister et compter, pour être respecté et dissuader ses ennemis de l’attaquer ou de piétiner son amour-propre.
Mais ses dirigeants ont eu la sagesse ou la prudence de s’arrêter en deçà d’une ligne rouge, à un stade qui leur donne – mais donne aussi au reste du monde, y compris aux États-Unis et à Israël -la possibilité d’éviter le conflit armé.

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Cette situation est très bien décrite dans un éditorial du Financial Times du 5 décembre :
Pour les faucons occidentaux, le fait que l’Iran puisse disposer des connaissances nécessaires pour construire une bombe est inacceptable. Mais cette position n’est plus tenable :
Premièrement, l’Iran a déjà probablement ces connaissances, de manière irréversible.
Deuxièmement, les théocrates de Téhéran ont réussi à faire du droit de posséder la technologie nucléaire la pierre de touche d’une souveraineté nationale reconnue, et ont rallié les Iraniens à leur cause.
Troisièmement, comme le souligne l’Agence internationale de l’énergie atomique, « seule une décision politique iranienne de renoncer à l’objectif d’un armement nucléaire pourrait empêcher l’Iran de fabriquer un jour des armes nucléaires ».
La bonne politique est d’essayer de l’amener à prendre cette décision.
Une attaque contre l’Iran – idée de plus en plus rejetée par les milieux militaires américains – ne le permettra pas. Mais avec un astucieux mélange de carotte et de bâton, on pourrait y arriver. []
Les États-Unis doivent surmonter leur hostilité viscérale à l’égard de Téhéran et offrir quelques carottes : en échange de la transparence sur ses programmes nucléaires, l’Iran devrait se voir proposer des garanties sur sa sécurité et des échanges économiques qui lui assureraient un statut et lui donneraient un intérêt pour la stabilité au Moyen-Orient.

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