[Tribune] Netanyahou, toujours plus loin des idéaux des pères fondateurs d’Israël
Au-delà de son lourd bilan humain, la dernière guerre entre Israël et le Hamas nous dit des choses inédites et graves sur l’éloignement des perspectives de paix, mais aussi sur la responsabilité des puissances occidentales et arabes dans l’aggravation de la situation.
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Mohamed Tozy
Professeur à Sciences Po Aix-en-Provence, auteur de « Monarchie et islam politique au Maroc », « L’État d’injustice au Maghreb » et « Tisser le temps politique au Maroc » (co-écrit avec Béatrice Hibou).
Publié le 31 mai 2021 Lecture : 5 minutes.
La semaine dernière, un ami m’a envoyé une vidéo en s’excusant de l’insoutenabilité des images d’horreur des enfants de Gaza déchiquetés par les bombes israéliennes. C’est celui-là même qui avait relayé une vidéo mettant en scène les ministres de l’Intérieur marocain et israélien discutant en arabe dialectal au téléphone et évoquant leur souvenir des terroirs partagés durant leur enfance au bled. La succession de ces deux images est troublante voire culpabilisante. Elle traduit l’embarras non pas seulement des autorités, mais celui de la majorité des Marocains.
En effet, les oppositions à la normalisation étaient plutôt tièdes. Beaucoup ont cru qu’elles étaient le fait des militants professionnels : islamistes, nationalistes arabes et gauchistes. Le couplage de la reprise des relations avec l’État hébreu et de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara y était pour beaucoup. Mais ce pseudo consensus autour de la normalisation au nom de la cause nationale n’a pas empêché des milliers de personnes de manifester.
La question palestinienne est toujours au centre des préoccupations des populations arabes, au Maroc comme ailleurs
La dernière guerre de Gaza a montré que la question palestinienne est toujours au centre des préoccupations des populations arabes, au Maroc comme ailleurs. Les États ont dû convenir qu’il faut laisser les gens manifester au risque de susciter des réactions plus violentes. La rhétorique, selon laquelle l’entité sioniste n’est plus l’adversaire principal des Arabes et des musulmans et que la normalisation est la seule voie possible, s’est effondrée.
Le Hamas en vainqueur
La quatrième bataille de Gaza reproduit certainement le schéma des précédentes guerres, depuis 2008, qui chaque fois permettent au Hamas de préempter la cause et d’accentuer la marginalité de l’autorité palestinienne. Le Hamas sort chaque fois gagnant de cette épreuve sanglante. Il fait preuve de résilience en dépit d’un boycott qui dure depuis 2007. En signant un cessez-le-feu sans conditions, mais aussi sans perspective de solutions, il a confirmé, la productivité de ses arsenaux et l’ingéniosité de ses techniciens en balistique. Il a également restauré sa légitimité patriotique, montré son indépendance par rapport aux frères musulmans en difficulté ailleurs et son aptitude à incarner une résistance nationale et non religieuse en apportant la preuve de sa solidarité active avec les Palestiniens de Jérusalem-Est, de Cisjordanie et d’Israël.
La bataille de Gaza a fait de Benyamin Netanyahou l’allié objectif du Hamas. Il lui a permis d’assurer sa survie politique et, à l’extrême droite israélienne, d’étouffer l’opposition travailliste et de rendre de plus en plus inaudible les voix du camp de la paix en Israël. Toutefois, La bataille met en échec les prétentions d’Israël à une paix sans concessions, et met un terme à la thèse selon laquelle une guerre asymétrique génère automatiquement un vainqueur.
Le bilan est lourd et concerne aussi les Israéliens, à qui l’on a promis la protection infaillible du dôme de fer. Entre le 10 et 21 mai 2021, 254 Palestiniens ont été tués par des frappes israéliennes dans la bande de Gaza, parmi lesquels 66 enfants et des combattants, selon les autorités locales. En Israël, les tirs de roquettes depuis Gaza ont fait 12 morts parmi lesquels un enfant, une adolescente et un soldat. La bonne tenu des « brigades Al-Kassam » rappelle aussi que les enseignements de la guerre du Rif, d’Algérie et du Viêtnam sont toujours d’actualité. Les drones, les pilonnages d’artillerie et les F-16 bourrés d’électronique peuvent peu de chose contre la défense d’une cause juste et l’absence de peur de la mort.
Cette bataille n’est pas comme les précédentes
En fait, cette bataille n’est pas comme les précédentes. Elle nous dit des choses inédites et très graves au-delà de l’éloignement inéluctable d’un horizon dessiné par les accords d’Oslo, la responsabilité des Américains et des Européens, et aussi des régimes arabes dans sa remise en cause.
En premier lieu, le problème est désormais exporté au sein de l’État d’Israël dans les « villes mixtes », en général pauvres et sous-équipées, où coexistent les habitants juifs et « arabes israéliens », c’est-à-dire les citoyens palestiniens d’Israël. Pour les observateurs attentifs qui arrivent à échapper à la propagande de la droite israélienne, relayée par la majorité des médias occidentaux, il s’agit des effets attendus d’une politique d’apartheid, raciste et xénophobe, menée depuis quelques années par la droite israélienne.
Benyamin Netanyahou n’incarne pas à lui seul cette politique, mais depuis qu’il participe au pouvoir – et surtout depuis qu’il est devenu Premier ministre en 2009 –, il s’appuie sur des majorités de plus en plus à droite pour conduire une politique qui repose sur le développement de la colonisation en Cisjordanie comme à Jérusalem-Est, sur une domination et une oppression croissantes des Palestiniens.
Israël : « État-nation du peuple juif »
Après avoir défendu et célébré l’érection du mur qui annexe une bonne partie du territoire de la Cisjordanie et sépare les colons juifs des habitants palestiniens, c’est lui qui a pris l’initiative d’une autre forme de séparation apparentée à un apartheid d’État. En juillet 2018, il a fait voter par la Knesset la loi sur Israël « État-nation du peuple juif » qui sépare les citoyens juifs d’Israël de tous les autres. Et qui fait de ces derniers les nouveaux dhimmis d’un État confessionnel, très loin des idéaux des pères fondateurs de 1948.
Les Palestiniens d’Israël, qui se considéraient déjà, en dépit de leur passeport israélien et de leur droit de vote symbolique, comme des sous-citoyens confinés dans des banlieues ou des villes négligées, bannis de toutes les coalitions gouvernementales, ont mesuré au fil des ans, qu’ils avaient de plus en plus d’intérêts communs avec les Palestiniens de Jérusalem-Est et de Cisjordanie.
La seconde conséquence la plus importante filtre malgré une puissance de feu inégalée au niveau médiatique qui a essayé de jeter la faute sur le Hamas, considéré comme une organisation terroriste affidée du Hezbollah et des Iraniens. La bataille asymétrique avec son lot de victimes n’est qu’un révélateur d’un phénomène désormais décrit de façon clinique et documentée, et caractérisé publiquement comme un « crime contre l’humanité » que commet Israël et dont les Palestiniens sont les victimes.
Les États européens ne cessent de faire taire les voix « dissonantes »
C’est ce que démontrait déjà en juin 2020 le juriste israélien Michael Sfard dans une étude publiée par l’ONG Yesh Din. C’est ce que vient de confirmer un rapport publié il y a quelques semaines par Human Rights Watch. Et c’est, surtout, ce que vient de déclarer la haute-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet : « Les frappes israéliennes sur la bande de Gaza pourraient constituer des crimes de guerre. »
À contre-courant d’un mouvement d’opinion qui alerte sur les dérives d’une droite israélienne portant un projet explicite de refondation du « Grand Israël », d’éradication de toute présence arabe chrétienne ou musulmane en Palestine et d’un État colonial qui pratique l’apartheid, les États européens ne cessent de faire taire les voix « dissonantes » en assimilant systématiquement toute critique du sionisme à de l’antisémitisme.
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