Abdellatif Kechiche, bis repetita

Après le couronnement de L’Esquive, le réalisateur franco-tunisien signe un nouveau long-métrage qui pourrait connaître le même succès.

Publié le 10 décembre 2007 Lecture : 3 minutes.

On imaginait qu’il serait difficile pour Abdellatif Kechiche, après le triomphe, aussi inattendu que mérité, remporté avec son deuxième long-métrage, L’Esquive, il y a trois ans, de renouveler la performance. De nombreux Césars, un succès public important en France comme dans bien d’autres pays avec un film sans grands moyens consacré aux adolescents et tourné dans la banlieue parisienne, qu’espérer de plus ? Et comment ne pas décevoir l’attente des critiques comme celle des spectateurs avec le film suivant ?
Erreur ! Le cinéaste d’origine tunisienne a magistralement relevé le défi. Dans un genre assez différent, La Graine et le Mulet s’annonce, en effet, avant même son imminente sortie en salles comme une nouvelle uvre marquante et très probablement comme un succès. Déjà consacré par une critique enthousiaste après avoir été récompensé en septembre à Venise (prix spécial du jury), où il a longtemps fait figure de favori pour le Lion d’or, ce film confirme le talent du réalisateur révélé dès 2001 avec La Faute à Voltaire, couronné dans de nombreux festivals.
La Graine et le Mulet, sans aucun temps mort malgré sa longueur peu courante (deux heures et demie) et la répétition de scènes évoquant la vie quotidienne (repas familiaux, discussions entre amis, etc.), raconte l’une de ces histoires qui font généralement rêver dans les cités. Slimane Beiji, la soixantaine, est maltraité par son patron sur un chantier naval de Sète, au bord de la Méditerranée, où il trime pour un maigre salaire depuis plus de trois décennies. Parce qu’il ose s’en plaindre et refuse de se montrer « encore plus flexible », autrement dit de travailler à mi-temps et de nuit, il est licencié. Et il apprend à cette occasion que, souvent payé au noir, il n’aura guère de quoi vivre à la retraite. Il décide alors de se mettre à son compte et, malgré tous les obstacles administratifs, semble réussir.
Il parvient, au prix de mille difficultés, à transformer un vieux rafiot en restaurant flottant. Grâce aux qualités de cuisinière de son ex-femme et à son inimitable recette de couscous de poisson, Slimane pourra enfin « s’en sortir », changer de vie, devenir son propre patron, assurer une existence meilleure à tous les siens. Sauf que mais nous ne raconterons pas ici, bien sûr, la très longue et très intense scène finale, digne d’un suspense à la Hitchcock et qui fait basculer le film vers la tragédie.
L’intérêt de ce long-métrage réside moins, on s’en doute, dans son scénario somme toute relativement banal que dans la manière dont il est tourné – une caméra très agile, des plans-séquences et des gros plans qui permettent aux personnages et à leurs corps de prendre vie – et dans l’univers qu’il permet de décrire. Comme l’explique Abdellatif Kechiche, celui du film, plus encore que les fois précédentes, est vraiment le sien. Ce « feuilleton familial » ou ce « conte social » dépeint le milieu des « Français-Arabes » loin des clichés, avec toute sa complexité et sa singularité. Un plaidoyer pour le droit à la différence et à celui d’être traité comme les autres, sans cette discrimination persistante qui fait de la vie une course d’obstacles permanente. Et surtout une plongée dans un microcosme qui, parce qu’elle décrit des situations qui « font vrai », atteint une dimension universelle, celle du meilleur cinéma néoréaliste et un humanisme qui peut se passer de tout moralisme.
Cette réussite doit aussi beaucoup aux comédiens, tous non-professionnels ou quasi débutants, dont le jeu naturel fait merveille. À tel point que, pour son premier rôle, la jeune Hafsia Herzi, la fille de la logeuse et amante de Slimane, a obtenu très justement à Venise le prix du meilleur espoir féminin. Ce sans-faute de l’interprétation doit évidemment beaucoup à la direction magistrale et exigeante de l’ancien acteur Kechiche – que l’on a pu voir notamment dans deux films tunisiens, La Boîte magique de Ridha Béhi et Bezness de Nouri Bouzid.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires