Victor Amissi Sulubika: « Arrêtons de recruter des enfants, sinon le pays est fichu ! »

Publié le 7 novembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Selon la Coalition de lutte contre l’utilisation des enfants-soldats, qui regroupe toute une série d’ONG, quelque cinquante mille jeunes de moins de 18 ans participent aux combats dans l’est de la RD Congo. Certains sont enrôlés de force, mais la plupart s’engagent de leur plein gré, endoctrinés par des recruteurs sans scrupules. Double avantage : ils ne coûtent pas cher et n’ont aucune ambition politique. Il suffit de les récompenser par des « grades » qui dépendent généralement du nombre de morts et d’atrocités qu’ils ont à leur actif, explique Victor Amissi Sulubika, le coordinateur de la Coalition.

JEUNE AFRIQUE/L’INTELLIGENT : Comment luttez-vous contre le recrutement des enfants-soldats ?
VICTOR AMISSI SULUBIKA : Lorsque nous apprenons qu’un recruteur est à l’oeuvre dans une zone, nous y allons. Nous tentons de le sensibiliser au droit des enfants et de lui démontrer qu’il est en infraction avec les conventions signées par ses dirigeants. Bref, nous essayons de le persuader de ne prendre que des plus de 18 ans…

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JAI: Jamais d’arguments financiers ?
VAS: Non, il est hors de question de monnayer les enfants. Jamais nous ne donnerons de l’argent pour obtenir une démobilisation.

JAI: Vos résultats ?
VAS: Ils sont encourageants. Dans le Kivu, nous avons réussi à démobiliser mille cinq cents enfants depuis 1998. Beaucoup étaient membres du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Nous avons fait le choix d’intervenir pendant la durée des combats, non après la signature de la paix, ce qui explique que nous nous heurtions à des difficultés. En allant au contact de ces jeunes armés jusqu’aux dents, dont les réactions sont rendues imprévisibles par l’alcool ou la drogue, nos membres risquent leur vie.

JAI: Comment ces enfants sont-ils réinsérés dans leur communauté ?
VAS: Ils sont pris en charge pendant trois mois dans un centre de transit et d’orientation, où des psychologues les « détraumatisent ». Parallèlement, ils suivent des cours d’alphabétisation ou de remise à niveau scolaire. Et on leur enseigne les rudiments d’un métier, pour leur éviter de « replonger ». Dans le même temps, nous recherchons leur famille. La réinsertion dans leur communauté fait l’objet d’un suivi, qui dure entre trois mois et six mois.

JAI: Peut-on parler d’une génération perdue ?
VAS: Oui. Au Kivu, tous les belligérants, dans leur course au pouvoir, ont recours aux enfants. Du coup, toute la jeunesse est contaminée. Elle a fait de la violence un mode de vie.

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JAI: La communauté internationale vous vient-elle en aide ?
VAS: Elle intervient par le biais d’organisations comme Save the Children ou l’Unicef, mais c’est insuffisant. Il faudrait une machine judiciaire solide pour décourager ceux qui poursuivent le recrutement. Et il faudrait limiter la prolifération des armes. L’embargo des Nations unies sur le Kivu et l’Ituri est difficile à faire respecter. Il est indispensable de faire pression sur les armées étrangères, les Rwandais, les Ougandais, tous ceux qui utilisent des enfants. Nous voulons que les responsables de cette situation, même s’ils sont au pouvoir, soient mis en cause. C’est le seul moyen de débloquer la situation.

JAI: Voulez-vous dire que si Jean-Pierre Bemba ou l’un de ses collègues se retrouve un jour devant un tribunal pénal international, il y aura un effet déclencheur…
VAS: Oui. Même si le gros des troupes rebelles est peu à peu intégré à l’armée nationale, il reste des milices. Il s’en crée même de plus en plus. Et toutes recrutent des enfants. Que voulez-vous, ils jugent d’après les résultats. Ils constatent que ceux qui ont jadis pris les armes, recruté des enfants et commis des exactions sont aujourd’hui au pouvoir. Pourquoi se comporteraient-ils différemment ? Or les enfants ont besoin de stylos et de ballons, pas de fusils et de grenades. Sinon le pays est fichu.

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