Un jackpot continental

L’action diplomatique du gouvernement et le retour à la paix dans la région des Grands Lacs encouragent les acteurs économiques.

Publié le 6 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Depuis quelques mois déjà, la Belgique se reprend à rêver de l’Afrique. Ou plutôt de la République démocratique du Congo (RDC), le continent se résumant souvent, pour les milieux économiques belges, à Kinshasa. « On ne s’en est jamais complètement désintéressés, assure un homme d’affaires bruxellois, mais les années de guerre et la rupture des liens entre le royaume et l’ex-Zaïre, au début des années 1990, nous ont incités à la prudence. Il était très difficile de continuer à y faire des affaires. » Aujourd’hui, la politique de rapprochement menée par Louis Michel, vice-Premier ministre en charge des Affaires étrangères, est vue d’un très bon oeil pour l’avenir. Tout comme la formation, à Kinshasa, à la fin du mois de juin 2003, d’un gouvernement d’union nationale présidé par Joseph Kabila. « Dans cette partie de l’Afrique, les enjeux économiques sont tels que tout le monde a intérêt à ce que les choses se calment, confie un consultant belge, spécialiste du continent. Et le jour où les affaires pourront redémarrer, ce sera le jackpot pour les entreprises qui ont choisi d’y demeurer – et qui ont pu le faire. »
La Belgolaise (groupe Fortis) est de celles-là. Née au Congo, la « banque qui ne fait que de l’Afrique », comme aime l’appeler Marc-Frédéric Everaert, l’un de ses conseillers en communication, « pouvait s’en aller ou rester. Elle a choisi la seconde solution, tout en s’élargissant au reste du continent. L’établissement a étendu son réseau. Il est aujourd’hui présent dans douze pays africains. Depuis la fin de 1997, ses dirigeants ont une stratégie très précise et se concentrent sur cinq pôles régionaux : la RDC, bien sûr, mais aussi la Côte d’Ivoire, dont l’économie demeure la plus importante de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), l’Afrique du Sud, le Nigeria, dont le marché bancaire est en pleine expansion, et le Kenya, où la Belgolaise détient une participation minoritaire dans une banque locale. »
Il faut aussi compter sur Chanic, l’ancien Chantier naval et industriel du Congo, créé en 1928 et dont le président du conseil d’administration Vincent Bribosia est lui aussi fier de dire qu’il « ne fait que de l’Afrique ». Son groupe rassemble aujourd’hui plusieurs sociétés industrielles et commerciales et emploie plus de mille personnes sur le continent. « Quand, en 1998, alors que je n’étais qu’administrateur de Chanic, j’ai voulu consacrer davantage de temps et d’argent à un site dans un Congo en guerre, les gens n’ont pas compris. À l’époque, les hommes d’affaires belges ne misaient que sur l’Afrique de l’Ouest. Ils n’avaient d’ailleurs pas complètement tort : l’Afrique de l’Ouest nous a permis de nous maintenir à flot quand on perdait de l’argent au Congo. »
Les temps ont changé : le dynamisme de Chanic en RDC compense maintenant la morosité de son activité en Côte d’Ivoire, depuis la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002. Chanic peine tout de même à se remettre de la douche froide ivoirienne : « Si l’on met de côté un important contrat remporté au Togo, nos activités en RDC représentaient un tiers de notre chiffre d’affaires consolidé en 2002, explique Vincent Bribosia. En 2003, cette part devrait être divisée par deux. » Il n’envisage toutefois pas de quitter le pays : « On fait le gros dos et on attend. De toute façon, on n’a pas vraiment le choix : nos principaux clients, comme le français Bolloré, sont à San Pedro et à Abidjan. Ils sont beaucoup moins à Lomé, au Togo, qui n’aura jamais l’importance des ports ivoiriens. » Raison de plus, estime-t-il, pour miser sur l’Afrique centrale : « Il y a tout à faire là-bas. Au Congo, les infrastructures routières sont quasiment inexistantes : la seule solution, c’est de passer par le fleuve. Et nous, nous fabriquons les barges nécessaires : nos carnets de commandes pour le chantier de Kinshasa sont pleins. Nous fournissons aussi des machines de chantier, des camions et des chariots élévateurs. C’est le miracle du Congo. » Et puis, reconnaît son directeur, Chanic a eu de la chance : « Au plus fort de la guerre, nos installations n’ont jamais été pillées. Là-bas, notre entreprise est une telle institution et fait vivre tant de monde que personne n’a osé y toucher. »
Mais peu nombreux sont ceux qui, en Belgique, ont choisi de tout miser sur l’Afrique, même s’ils ont fait du continent une de leurs cartes maîtresses. Parmi eux figurent les sociétés BIA et Thomas-Piron. La première, créée en 1948, s’est spécialisée dans l’équipement de mines et de carrières, dans la manutention portuaire et les travaux publics. Présente en Europe et en Afrique, elle se dit fière de travailler dans les carrières belges aussi bien que dans les mines de phosphate du Sénégal. La seconde, pilier de la construction immobilière belge, opère au Maroc, en Côte d’Ivoire et au Rwanda, et lorgne sur le marché algérien. Pour autant, estime-t-on à Bruxelles, il n’y a pas d’équivalent belge à Bolloré. L’Afrique n’occupe d’ailleurs qu’une petite part dans le commerce extérieur du royaume. Les premiers clients de la Belgique sont européens : l’Allemagne, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Viennent ensuite, pèle-mêle, les autres pays de l’Union, les États-Unis, Israël, l’Inde et le Japon. Et, très loin derrière, l’Afrique.
En 1999, notait l’Office belge du commerce extérieur, seul 1,8 % des ventes belges à l’étranger était destiné à l’Afrique. Soit l’équivalent d’un mois et demi d’exportations, seulement, vers l’Allemagne. Aucun changement significatif n’est intervenu depuis. Et si, dans l’imaginaire collectif belge, la RDC occupe toujours une place de choix, Kinshasa n’est ni le premier client ni le premier fournisseur du pays. En tête des pays africains destinataires des produits belges – essentiellement des produits finis, tels que des appareils électriques ou des produits pharmaceutiques : l’Afrique du Sud. Suivent quatre pays du Maghreb : l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte et le Maroc. Côté importations se détachent l’Algérie (gaz) et l’Afrique du Sud (diamants, charbon, minerais divers…).
Au final, note-t-on à l’Agence pour le commerce extérieur (ACE), l’Afrique ne représentait, en 2002, que 1,75 % de l’ensemble des exportations belges et 3 % de ses importations. Si la Belgique importe toujours deux fois plus d’Afrique qu’elle n’y exporte, c’est en partie parce qu’elle fait venir sur son territoire des matières premières brutes et les transforme pour ensuite les réexporter. Seulement voilà, note-t-on à Bruxelles : « Ce n’est pas cela qui aide le développement économique de l’Afrique. Il faudrait évidemment que les investissements se fassent sur place, et donc que les marchés africains soient plus attractifs. Et, cette fois, la balle est dans le camp des Africains. » n

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