Être bègue en Afrique

Ce dysfonctionnement de la parole, encore mal connu, n’est pas une priorité sur le continent.

Publié le 7 novembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Une personne sur cent est concernée dans le monde, dont quelque huit millions d’Africains. La Journée mondiale du bégaiement a eu lieu le 22 octobre. Pour la sixième année consécutive, thérapeutes et chercheurs se sont rencontrés pour faire le point sur leurs dernières avancées et informer le public sur un problème peu connu, mais pourtant universel. « Étant donné que les maladies mortelles sont difficilement prises en charge par nos gouvernements, explique le docteur Moussa Dao, vous imaginez bien que des troubles comme le bégaiement ne retiennent guère l’attention des pouvoirs publics. » Ce pharmacien burkinabè a créé l’année dernière une antenne de l’Association française Parole bégaiement (APB), elle-même née en 1992. Il en existe également une à Cotonou, au Bénin, depuis 1996. De nombreuses autres structures ont vu le jour au Cameroun, au Burkina et au Burundi. Un centre d’accueil ouvrira ses portes au Sénégal cette année.
La première mention écrite d’un cas apparaît au XXe siècle avant J.-C., dans le Conte du naufragé, un ouvrage égyptien. Parmi les cas illustres, on peut citer l’homme politique britannique Winston Churchill, le génie Albert Einstein ou encore l’actrice Marilyn Monroe. Le problème débute généralement entre 2 et 4 ans et touche plus les hommes que les femmes. Si les antécédents génétiques d’un sujet expliquent parfois son trouble, ce n’est pas toujours le cas. Les spécialistes retiennent l’idée d’un ensemble de facteurs prédisposants, comme le retard de parole (causes médicales ou culturelles), un climat familial tendu, l’anxiété ou encore des événements vécus comme un choc (naissance, déménagement, changement d’école, séparation).
Si rien n’est fait pour lutter contre les premiers signes du bégaiement, un enfant sur quatre en moyenne conservera ce handicap à l’âge adulte. Dès l’âge de 2 ans, il est pourtant possible de faire des exercices de relaxation, de respiration et de diction. La plupart des thérapeutes estiment qu’il faut travailler aussi avec l’environnement familial de l’enfant. Il n’est pas rare que ses proches aient de mauvaises habitudes comme de lui couper la parole ou utiliser des phrases trop complexes pour lui.
Lorsque le bégaiement s’est installé chez l’adulte, le thérapeute peut lui proposer différents traitements : orthophonie (respiration, rythme), thérapie comportementale (relaxation, représentation de soi), traitements psychologiques (thérapie, exercices scéniques) et parfois des médicaments. « Il est très difficile de traiter une personne qui bégaie depuis vingt-cinq ans, car la phobie sociale s’est installée, explique Anne-Marie Simon, l’une des fondatrices de APB. D’où l’importance d’une intervention précoce. » C’est là que commencent les problèmes pour les jeunes Africains.
« En Afrique, j’ai toujours entendu parler du bégaiement dans une perspective animiste ou au moins superstitieuse », déclare la thérapeute. Moussa Dao confirme que « la connaissance du problème sur le continent se limite aux croyances transmises de génération en génération ». Et de citer pêle-mêle la liste des origines supposées : imitation du bégaiement d’un adulte, présence d’une membrane superflue dans la bouche, hérédité, séquelles de maladies telles que la méningite, et malédiction.
« L’absence de thérapeutes oblige les parents d’enfants bègues à se fier aux méthodes traditionnelles de traitement », poursuit le docteur Dao. Le petit chez qui apparaissent les premiers troubles a généralement droit à des traitements de choc. Cela va de la menace du métal brûlant appliqué sur les lèvres à la coupure du frein de la langue, en passant par l’absorption de redoutables préparations.
Sur un continent ravagé par les pandémies, les bègues attirent peu l’attention des bailleurs de fonds. L’APB envoie des aides à son antenne béninoise, et le docteur Dao a réussi à collecter 3 000 euros lors du colloque international qui s’est tenu à Lyon en mars dernier. Le délégué régional équipera son centre en ordinateurs, ce qui lui permettra de diffuser plus largement l’information grâce à Internet. « Je rêve du jour où les centres africains de protection maternelle et infantile expliqueront aux gens comment prévenir et guérir ce trouble, explique Anne-Marie Simon, mais je ne sais pas si je le verrai de mon vivant tant le bégaiement est tabou. »

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