Peut-on (encore) sauver la Camair ?

Le directeur de la compagnie aérienne nationale a été limogé. Depuis dix ans, il est le cinquième dans ce cas !

Publié le 7 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

A elle seule, Cameroon Airlines, plus connue sous le nom de Camair, est un résumé de tous les dysfonctionnements de l’État camerounais. Comme beaucoup d’entreprises publiques, elle a beaucoup souffert d’une gestion plus qu’approximative et de l’instabilité chronique de ses dirigeants : pas moins de cinq directeurs généraux en dix ans ! Incohérence, amateurisme, mégalomanie… La compagnie, qui n’a jamais vraiment eu les moyens de ses ambitions, est aujourd’hui au bord du crash financier.
Pourtant, Cameroon Airlines, c’est d’abord une affaire d’orgueil national. La compagnie a été créée en juillet 1971, après la décision du gouvernement de quitter le consortium Air Afrique. À l’époque, Air France détenait 25 % du capital de la société (le reste appartenant à l’État camerounais), contre 3,6 % aujourd’hui. Jusqu’au début des années 1990, le transporteur français a été étroitement associé au destin de la compagnie. Deux de ses salariés occuperont d’ailleurs le poste de directeur général, à Douala : Claude Kientz (1990-1993) et Jean-Gabriel Ceccarelli (1993-1996). Sous l’impulsion du premier, la Camair sera restructurée, et ses déficits maîtrisés. Au moins ponctuellement. Pourtant, victime de coûts d’exploitation exorbitants, le transporteur est structurellement fragile.
Survient la dévaluation du franc CFA, en janvier 1994. Les professionnels du transport aérien, qui paient leurs fournisseurs en devises, sont frappés de plein fouet. Profitant de la conjoncture difficile, le FMI demande l’inscription de la compagnie sur la liste des privatisables. Lié à l’institution par un programme d’ajustement structurel, Yaoundé obtempère, le 15 juillet de la même année.
Nouveau revers le 5 décembre 1995, quand un Boeing 737 en provenance de Cotonou s’écrase dans la mangrove non loin de Douala. Bilan : 74 morts. L’accident porte un tort considérable à la Camair, jusque-là considérée comme relativement sûre. Ceccarelli, à qui certains reprochent sa gestion « désastreuse et irresponsable », est sur un siège éjectable. En mars 1996, une grève éclate et une pétition est adressée au chef de l’État exigeant son départ. Le Français, qui a eu l’imprudence de se mettre à dos Joseph Belibi, le président du conseil d’administration (PCA) – un proche de Paul Biya -, est remercié.
Le 3 juillet 1996, la direction générale échoit à un Camerounais, Samuel Minko, auparavant directeur de la Régie nationale des chemins de fer. Ancien maire de Kribi, c’est avant tout un technocrate. Dix-huit mois après sa nomination, une grève du personnel navigant paralyse le trafic. Les pilotes, qui s’inquiètent des conséquences de la privatisation sur leurs emplois, obtiennent le limogeage conjoint de Minko et de Belibi. Le 23 janvier 1998, Cyril Etoundi Atangana est nommé DG, et Jérôme Abondo président. La grève s’arrête, mais la question de la restructuration de la compagnie, condition préalable à sa privatisation, reste entière. Atangana ne manque pas d’ambitions. Il rêve d’atteindre l’équilibre d’exploitation en assainissant les finances tout en maintenant le dialogue social. Baptisé « Renaissance 2000 », son plan de redressement ne verra pas le nouveau millénaire. Le 20 juin 2000, Atangana est remercié. Il aura tenu dix-sept mois.
Plutôt que de choisir un énième haut fonctionnaire politiquement correct, le pouvoir mise alors sur un outsider : Yves-Michel Fotso, qui vient du secteur privé. Une véritable révolution culturelle. Mais la personnalité de Fotso ne fait pas l’unanimité. Fils de bonne famille bamilékée, ce quadragénaire est le fondateur de la Commercial Bank of Cameroon (CBC), fleuron de l’empire dirigé par Victor, son père. C’est à lui que revient la lourde tâche d’infliger à la compagnie une cure d’austérité drastique. Car la situation est catastrophique : exploitation courante chaotique, non-maîtrise des coûts, trésorerie en perdition, conflits sociaux à répétition, inadaptation de la flotte, relations avec l’État et les Aéroports du Cameroun (ADC) difficiles…
Pour limiter les frais d’exploitation, Fotso décide de réduire la masse salariale et de licencier 600 agents sur 1 600. Dans le même temps, la compagnie fait l’acquisition d’un nouvel appareil, un Boeing 767, destiné à remplacer le 747 Combi, victime d’une sortie de piste, en novembre 2000, à Roissy. Après des années de coma, la Camair bouge enfin !
Avec les moyens du bord, le DG va mettre en oeuvre un vaste plan de restructuration. Il annonce que, pour son compte personnel, il n’acceptera ni salaire, ni voiture de fonction, ni logement tant que l’entreprise n’aura pas renoué avec les bénéfices. Ce qui lui permet de réduire de 20 %, pendant un an, les salaires des employés. Officiellement pour participer à l’effort de financement des licenciements programmés (6 milliards de F CFA). Dans le même temps, la flotte passe de trois à sept appareils, avec l’achat en leasing de deux Boeing et la location de trois autres appareils. Sur le plan commercial, un coup d’arrêt est mis aux pratiques plus que discutables en vigueur sous la précédente administration : le taux de remplissage des appareils baisse d’un tiers, mais le chiffre d’affaires augmente de 5 % ! Les escales non rentables sont fermées (Londres, Rome, Harare, Kigali, Bujumbura) et de nouvelles lignes sont ouvertes (Bruxelles, Kinshasa, Bamako, Dakar). L’image de la compagnie s’améliore. La ponctualité des vols aussi.
Trois ans après la nomination de l’homme d’affaires, les spécialistes du transport aérien – y compris chez Air France – dressent un bilan globalement positif de son passage à la tête de la Camair : « Fotso avait pour mission de conduire à la privatisation une entreprise publique moribonde. Le dossier reste en suspens, car le rétablissement réel de la société dépend surtout de l’apurement de son passif abyssal. Et donc de l’État. » Mais il aura au moins permis d’éviter le dépôt de bilan.
La compagnie est pourtant loin d’être sauvée. Son endettement reste élevé – 60 milliards de F CFA (90 millions d’euros) -, et les tensions de trésorerie fort vives. Le 28 juin, la totalité de la flotte est saisie et tous les vols doivent être annulés. Le transporteur a été reconnu coupable par un tribunal californien de n’avoir pas honoré sa dette (environ 12 millions de dollars, soit près de 6,8 milliards de F CFA) à l’égard de la société australienne Ansett, à laquelle il loue plusieurs appareils. Le trafic ne reprendra que trente-six heures plus tard, après l’intervention personnelle du président Paul Biya.
Selon certains, ce fâcheux épisode révèle l’ampleur du différend à propos de la gestion de la compagnie qui oppose le DG au président du conseil d’administration, Étienne Ntsama. Mais aussi à certains hauts fonctionnaires du ministère de tutelle. Ses détracteurs accusent Fotso de mélanger les genres. On parle même de délit d’initié. En 2002, sur les 17 milliards de F CFA dus par la Camair, 12 milliards l’étaient à la CBC, la banque des Fotso.
En octobre, la compagnie est à nouveau victime de problèmes de trésorerie et éprouve les pires difficultés à régler les primes d’assurances de ses appareils, à financer leur maintenance et à verser les salaires des personnels expatriés. Le 2 novembre, la flotte est à nouveau immobilisée et le pouvoir se résout à tourner la page Fotso.

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