Le danger vient de l’est

Les forces de l’ONU veillent au grain, la Coalition des ONG veut sauver les enfants-soldats, et le Conseil de sécurité préserver le processus de paix. Quitte à censurer quelques pages d’un rapport dénonçant le pillage des ressources naturelles dans le Kiv

Publié le 7 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Les rapports onusiens sur l’exploitation illégale des ressources naturelles de la République démocratique du Congo se succèdent… et ne se ressemblent pas. Mais si le dernier en date (le troisième), qui a été soumis au Conseil de sécurité le 23 octobre, pose problème, c’est moins en raison de ce qu’il dit que de ce qu’il passe sous silence : sa version officielle a en effet été amputée d’une douzaine de pages, à la suite d’une intervention du secrétariat général, en accord avec les États membres du Conseil. La manoeuvre a notamment été dénoncée par le quotidien britannique The Independent.
Que contenaient les passages expurgés ? Apparemment, une mise en cause du Rwanda et de l’Ouganda, qui continueraient de tirer profit des ressources congolaises, via les milices armées présentes sur le terrain, mais aussi de sociétés et de personnes impliquées dans divers trafics d’armes et de matières précieuses, comme l’or, les diamants ou le coltan (colombo-tantalite). Dans le rapport publié en octobre 2002, plusieurs multinationales occidentales (notamment belges, allemandes et britanniques) avaient été épinglées pour la même raison. Cette fois, aucun nom n’est cité.
Du côté de l’ONU, on se défend de toute indulgence envers les profiteurs de guerre. Et l’on précise que les experts chargés de rédiger le rapport n’ont pas vocation à se substituer à la justice. Mais les ONG n’entendent nullement en rester là. Human Rights Watch et Oxfam, par exemple, ont demandé aux pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et développement économiques) d’obliger les sociétés et les individus mentionnés dans la version initiale du rapport à « rendre des comptes ». Dans les milieux diplomatiques, on justifie cette rétention d’information par un souci de prudence : pourquoi prendre le risque de faire avorter un processus de paix déjà bien fragile ? D’autant que les relations entre la RDC et ses voisins orientaux semblent s’améliorer. Le 20 octobre, Charles Murigande, le ministre rwandais des Affaires étrangères, s’est rendu à Kinshasa. Cinq jours plus tard, Mbusa Nyamwisi, le ministre congolais de la Coopération régionale, a été reçu à Kampala et à Kigali. Après quatre années d’hostilités ouvertes, la RDC et l’Ouganda parlent à nouveau d’échanger des ambassadeurs. Ce qui devrait faciliter la tâche d’Ibrahima Fall, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, qui a entrepris des consultations préalables à l’organisation de la Conférence internationale de la région des Grands Lacs. Celle-ci devrait se tenir au mois de juin 2004, avec la participation de la RDC, du Burundi, du Rwanda, de l’Ouganda, de la Tanzanie et du Kenya. Bref, l’heure est à la détente. Le moment paraît particulièrement mal choisi pour jeter de l’huile sur le feu.
« On se retrouve dans la même situation qu’au début de l’année, quand il a été question de créer un tribunal pénal pour la RDC, souligne un diplomate en poste à Kinshasa. Les ONG ont entrepris de dénoncer les exactions des uns et des autres au moment précis où le Dialogue intercongolais tentait d’amener les belligérants à déposer les armes. Pour permettre au gouvernement d’union nationale de voir enfin le jour, il a fallu les rassurer en leur garantissant qu’ils ne seraient pas poursuivis ultérieurement. »
Cette position pragmatique est défendue par l’ensemble des « parrains » du processus de paix. Et spécialement par Louis Michel, le ministre belge des Affaires étrangères : « Instituer un tribunal pénal, c’est une très belle idée, mais qu’est-ce qui est le plus urgent ? Construire un État pour donner un avenir aux populations ou faire la chasse aux criminels, au risque de tout faire capoter ? » Dans une interview publiée dans J.A.I. (n° 2233, 26 octobre 2003), Michel se montrait d’ailleurs très critique à l’égard du travail des experts onusiens : « Ce rapport contient des choses très justes, mais aussi des rumeurs. Je ne défends pas les entreprises belges mises en cause. Si elles étaient en tort, je le dirais. Mais la commission a fait apparaître qu’aucune d’elles n’exerçait d’activité répréhensible aux yeux de la loi. Bien entendu, on peut porter un jugement moral, mais on ne peut pas poursuivre sur cette base, sinon, on incriminerait tout le monde. »
Le débat n’est pas clos, mais force est de reconnaître que le pillage des richesses minières et forestières de la RDC continue d’alimenter la violence, bien que la fin de la guerre ait été officiellement proclamée : « L’exploitation illégale des ressources demeure l’une des principales sources de financement des groupes qui tentent de perpétuer le conflit, en particulier dans l’est et le nord-est de la RDC », affirment les auteurs du rapport, qui dénoncent « une intensification des combats » dans cette partie du pays, malgré la mise en place à Kinshasa, le 30 juin, d’un gouvernement d’union nationale auquel participent plusieurs mouvements rebelles. Pour le groupe d’experts, c’est paradoxalement l’absence de forces étrangères d’occupation qui, en suscitant un « vide du pouvoir », favorise « la prolifération des milices ». Lesquelles mettent tout en oeuvre « pour s’assurer le contrôle des zones stratégiques où se trouvent les ressources lucratives ». Les enquêteurs relèvent « une réduction temporaire du volume des ressources exploitées illégalement », mais estiment que le pillage reste suffisamment rémunérateur pour fournir aux groupes armés de l’Ituri et du Kivu de quoi acheter des armes. En toute impunité.

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