La nouvelle Marche verte

Le dernier rapport de Kofi Annan sur le Sahara a soulevé une vague de protestation dans le royaume. Où l’on se croirait revenu en novembre 1975.

Publié le 7 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Etrange atmosphère de militantisme un peu suranné en ce ramadan marocain. À la une des journaux, dans les conversations des hommes de pouvoir et d’une partie de l’opinion flotte comme une réminiscence de la Marche verte qui, il y a près de trente ans, entraîna des milliers de sujets du roi Hassan II à la reconquête du Grand Sud. Rien de tel, il est vrai, pour secouer l’apathie des Marocains que de leur donner l’impression que la patrie est en danger. L’adversaire, en cette fin 2003, n’est ni espagnol ni algérien, mais onusien, et porte le double visage du secrétaire général Kofi Annan et de son envoyé personnel en charge de l’inextricable dossier du Sahara occidental, l’ancien secrétaire d’État américain James Baker.
Rédigé sur un ton inhabituellement comminatoire, le dernier rapport de Kofi Annan sur le Sahara, en date du 16 octobre, a soulevé au Maroc une vague de protestation sans précédent. Prenant acte de l’acceptation par le Polisario du plan de paix élaboré par James Baker dans son ultime variante – le plan Baker III -, le secrétaire général « engage le Maroc à saisir cette occasion » de « régler le différend qui oppose les parties depuis si longtemps » en appliquant sans délai les dispositions contenues dans ce document : période d’autonomie de cinq ans, puis référendum d’autodétermination.
Or, pour les dirigeants marocains, unanimement soutenus sur ce point par leur opinion publique, il s’agit là d’un texte de rupture. Le temps n’est plus où, lors du Sommet de l’OUA à Nairobi, il y a plus de vingt ans, Hassan II acceptait le principe d’une consultation des Sahraouis pouvant déboucher sur l’indépendance. Une telle perspective et même la simple hypothèse d’un référendum portant en lui les germes de la sécession d’un territoire « historique » au sein duquel ont été installés des milliers de Marocains venus du Nord et déversés des milliards de dirhams sont, vues de Rabat, proprement inenvisageables. Plus que jamais pour le Maroc, qui considère le Polisario comme une simple création de son voisin, seul un dialogue direct avec l’Algérie peut permettre de dépasser l’obstacle saharien. Ainsi, sur le ton de la confidence et sans qu’il s’agisse évidemment d’une position officielle, certains hauts responsables du royaume n’hésitent pas à souhaiter la défaite d’Abdelaziz Bouteflika à la présidentielle d’avril 2004. « Tout ce qui rappelle Houari Boumediene, lequel a fabriqué le problème du Sahara, est à la fois obsolète et dangereux, explique l’un d’eux. Or Bouteflika est un héritier du boumediénisme, tant qu’il sera là, rien n’avancera. »
En attendant un hypothétique dégel algérien, c’est face à l’ONU que le royaume se trouve et – plus ennuyeux – face aux États-Unis. Washington soutenant officiellement le plan Baker, il a fallu que les diplomates marocains, les émissaires spéciaux du roi et Mohammed VI lui-même, lors de sa visite à la Maison Blanche il y a quelques mois, s’emploient pour, sinon renverser, tout au moins moduler cette tendance fâcheuse. Les arguments utilisés lors de ces diverses rencontres, tant au département d’État qu’au Conseil national de sécurité, ont parfois été très crus, voire alarmistes. « Le Maroc ne peut accepter d’être amputé, a ainsi martelé un envoyé spécial de Rabat lors d’un entretien avec l’adjoint direct de Condoleezza Rice. Si on veut nous y contraindre, alors nous sortirons du droit et de la légalité, nous deviendrons un État voyou. Nous armerons les Teknas, majoritaires parmi les Sahraouis, contre les Reguibats, qui contrôlent le Polisario. Le Sahara et le Sahel s’embraseront. Y avez-vous bien réfléchi ? »
Surpris par tant de militantisme – un langage auquel l’onctueuse diplomatie marocaine ne les avait guère habitués -, les Américains ont rapidement recadré leur position. George Bush puis, tout récemment, le sous-secrétaire d’État William Burns, en tournée au Maghreb fin octobre, ont ainsi répété que les États-Unis ne souhaitaient rien d’autre qu’un « dialogue continu » entre Rabat et Alger, en ce domaine comme en d’autres. Seule requête, quasi personnelle, de Bush à Mohammed VI : « James Baker est un ami et un ami de mon père, je ne peux ni ne veux le désavouer ; aidez-moi et aidez-le en faisant preuve d’imagination. »
À la mi-septembre, une délégation officielle marocaine a donc fait le déplacement de Houston pour y rencontrer l’ancien secrétaire d’État. À en juger par la tonalité du rapport de Annan, les pourparlers n’ont pas fait avancer le dossier d’un iota. D’autant que Baker a refusé d’associer aux discussions les dignitaires sahraouis marocains qui accompagnaient les ministres Mohamed Benaïssa et Fouad Ali el-Himma, ainsi que l’ambassadeur auprès de l’ONU, Mohamed Bennouna. Grosse colère de l’ancien responsable du Polisario et actuel wali de Settat, Omar Hadrami : « Lorsque j’étais l’un des chefs de la pseudo-RASD, Baker me recevait à bras ouverts au département d’État ! »
Face aux coups portés, au terme d’une année 2003 qui ne lui fut guère favorable – des attentats de Casablanca au revers diplomatique de New York -, le Maroc a donc décidé de réagir. Lui-même très militant sur ce point, Mohammed VI a sans doute trouvé matière à renforcer ses convictions en constatant que, à l’instar de nombre de leaders indépendantistes, le nouveau Premier ministre de la RASD, Abdelkader Taleb Oumar, est un originaire du Sud incontesté du Maroc – en l’occurrence de Tan-Tan. Un sujet égaré, en somme. Ou – pour faire moderne : le Makhzen n’est plus ce qu’il était – un citoyen en rupture de patrie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires