Juste une illusion ?

Matongué à Bruxelles ou Koninkplein à Anvers : les Africains ont leurs quartiers. Mais pas forcément la possibilité de s’intégrer dans la société.

Publié le 7 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Coincé entre le ministère des Affaires étrangères et les institutions européennes, le « Chinatown black » de Bruxelles. Un petit quartier – quelques rues tout au plus – qui jouxte la porte de Namur, entre la rue du Trône et la chaussée de Wavre, et que ses habitués appellent affectueusement Matongué, du nom d’un quartier de Kinshasa : le coeur de l’Afrique (« du Congo surtout », rectifie-t-on là-bas) au coeur de l’Europe.
Il y a, bien sûr, la Galerie couverte où l’on s’apostrophe en lingala, où se côtoient coiffeurs, vendeurs de pagnes et disquaires africains. « Longtemps, la Galerie a été le lieu de tous les trafics, explique Carin, qui oeuvre dans le milieu associatif et vit ici depuis plusieurs années. Mais la commune d’Ixelles a décidé d’y installer une antenne de police de proximité. Les hommes qui y ont été affectés ont même développé des liens avec la population. » Les trafiquants, eux, ont fini par se déplacer vers la rue de la Paix ou la rue Longue-Vie (surnommée « couloir de la mort »), toutes proches. Mais « à Matongué, estime Carin, il n’y a pas plus de problèmes de sécurité qu’ailleurs ». Le quartier tend même à s’embourgeoiser, observe-t-elle : « Il y a de plus en plus de restaurants un peu BCBG et d’Européens qui viennent s’encanailler. »
À quelques centaines de mètres de là se dresse la Maison africaine, tenue depuis cinq ans par l’énergique Jacqueline Torfs. Créée en 1960, la Mais-Af’ a vu défiler des générations d’étudiants africains. Aujourd’hui, elle en abrite quatre-vingts, moyennant 110 à 260 euros par mois. Le confort – assez sommaire – et la taille de la chambre dépendent évidemment du loyer versé. Parmi eux, François, un thésard de 42 ans tout droit venu de l’université de Lubumbashi (RD Congo), où il enseigne. « J’ai séjourné trois mois en Belgique l’année dernière, et j’avais eu beaucoup de problèmes pour avoir un logement. Au téléphone, les gens reconnaissaient mon « accent noir » et refusaient mon dossier. Ici, il y a toujours les mêmes préjugés : un Africain, ça fait du bruit et ça ramène toute sa famille… J’ai dû demander à l’un de mes amis « belge de souche » de postuler à ma place. »
« Ils sont nombreux dans son cas, mais nous ne pouvons accueillir plus de monde, regrette Jacqueline Torfs. Nous recevons près de vingt-cinq demandes par jour. » Des demandes qui émanent souvent des Congolais, nombreux à Matongué. En théorie « ouverte à toute l’Afrique », la Mais-Af’ n’hébergeait, à la mi-octobre, qu’un seul Maghrébin. « Ce n’est pas un choix, assure Jacqueline Torfs, mais les différentes communautés ont souvent du mal à cohabiter. » La directrice tient bon, et veut donner à ses étudiants « toute l’aide nécessaire, aussi bien en termes d’hébergement que d’orientation dans les démarches administratives ». Aux femmes aussi, qui, c’est récent, représentent 20 % des pensionnaires.
Plus de quarante ans après sa création, la Mais-Af’ demeure l’un des piliers de Matongué. Rue Alsace-Lorraine, où elle s’est installée dans les années 1970, on aime souligner que les premiers commerces africains du quartier – « un café, un bar-dancing, un magasin de pagnes et une épicerie », énumère fièrement Jacqueline Torfs – ont été fondés par « des anciens d’ici ». Reste que peu d’Africains vivent à Matongué même. Les quartiers chic et le centre de la capitale ne sont pas loin, et les loyers y sont souvent trop élevés. « C’est un lieu de passage très apprécié, précise Carin, mais la plupart des pôles économiques tels que les épiceries, les restaurants ou les magasins de disques sont maintenant tenus par des Pakistanais ou des Libanais. »
Seulement voilà, peut-on entendre à Bruxelles, Matongué n’est qu’une façade, et l’intégration des Africains, une illusion. Bruno Kasonga, journaliste congolais et fondateur de l’association BeCAME (le Centre bruxellois pour l’Afrique dans une Europe multiculturelle), en est convaincu : « Nous n’avons ni visibilité ni représentativité politiques. Bob Kabamba, candidat écologiste malheureux, mais très médiatisé aux élections législatives de mai 2003, n’est qu’un cas marginal. Comme si notre présence ne se remarquait pas. » Ce qui n’empêche pas Bruno Kasonga d’y croire : « L’extrême droite est très forte dans ce pays, mais il doit bien être possible de vivre dans un système multiculturel au coeur de l’Europe ! » Ce n’est pas tant le racisme, dont il dit ne pas trop souffrir au quotidien, qui lui pose problème, mais le durcissement de la législation sur le travail. « La société belge demande aux nouveaux arrivants d’apprendre la langue, mais elle est incapable de les absorber et de leur fournir un emploi. Si bien que la communauté compte beaucoup d’immigrés surdiplômés : faire des études est devenu, avec le regroupement familial ou la demande d’asile, l’un des rares moyens pour rester en Belgique. »
À Anvers, assure Billy Kalonji, porte-parole de la plate-forme africaine de la ville, la situation est plus critique encore. « On nous appelle les allochtones. Nous sommes très peu nombreux dans les administrations et le secteur public. Il est difficile d’être africain et de parler français dans une ville dont un habitant sur trois vote pour le Vlaams Blok, l’extrême droite flamande. » Le Matongué d’Anvers s’appelle Koninkplein : quelques rues au centre-ville, « investies » par des (petites) communautés congolaise, nigériane ou ghanéene attirées par le dynamisme économique de la cité. « Les contrôles de police y sont fréquents, regrette Billy Kalonji. On y voit aussi beaucoup les services de l’hygiène et l’inspection du travail. Pour être plus « tranquilles », nous nous sommes organisés en association. C’était de toute façon la seule solution pour qu’on accepte de nous considérer comme un interlocuteur ». Billy estime à 6 000 le nombre d’Africains installés dans la province d’Anvers ; l’ensemble de la Flandre en compterait 10 000.
En termes d’accès à la nationalité belge, en revanche, la législation s’est assouplie. « En cinquante ans, estime Bonaventure Kagné, spécialiste des communautés africaines de Belgique, elle a changé une trentaine de fois. » La loi de mars 2000, qui réforme le code de la nationalité belge, est, selon lui, « particulièrement avant-gardiste et n’a sans doute pas d’équivalent en Europe, tant elle facilite les naturalisations. Au point que plusieurs partis politiques, dont le Vlaams Blok et les chrétiens-démocrates flamands du CD&V, aimeraient que l’on fasse marche arrière. » Auparavant, poursuit Bonaventure Kagné, « la Belgique naturalisait entre 20 000 et 30 000 personnes chaque année. Depuis 2000, le chiffre est monté à 60 000. » Et a fait baisser de manière significative le nombre d’étrangers officiellement présents sur le territoire…

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