[Tribune] Lettre aux enfants palestiniens massacrés
Les armes se sont tues en Israël et à Gaza, mais pour combien de temps ? Une fois de plus, les enfants ont payé un lourd tribut à cette guerre entre colonisateur et colonisé qui ne mène qu’à une impasse.
L’actualité est une mécanique de l’oubli. Quelques jours suffisent à effacer de la mémoire les tragédies d’hier pour les remplacer par celles d’aujourd’hui. Bientôt on vous reléguera dans les oubliettes de l’Histoire. Mais ce massacre, car c’est bien de cela qu’il s’agit, mérite toute notre attention. L’analyse peut paraître vaine dans les circonstances actuelles, mais elle est essentielle, car elle ouvre la voie à d’autres cheminements.
Souvenons-nous d’abord que l’enfance est faite pour l’innocence. Souvenons-nous de votre enfance bafouée, détruite à force de haine et à coups de bombes. Vos petits corps façonnés par les promesses de la lumière, corps désormais démantibulés, corps laminés, corps devenus cendres. Corps de tous les enfants, d’ici et d’ailleurs, de tous les temps, que des monstres ont choisi de briser.
Qu’est-ce qui peut ainsi pousser un être à vouloir tuer un enfant, de façon délibérée, froidement ? Quelle est cette logique, ou plutôt cette folie qui rend possible une cruauté semblable ? D’autant plus que ceux qui vous tuent savent, plus que quiconque sans doute, le sens de la souffrance.
Amalgame
Parfois on n’a plus la force de comprendre. L’émotion nous tétanise et les mots semblent insuffisants. Mais votre mort n’est pas le fait, comme certains veulent le faire accroire, d’une histoire incompréhensible, d’un soi-disant « conflit » millénaire et religieux. On ne sait plus, selon eux, qui sont les oppresseurs et qui sont les opprimés. Or votre mort s’explique, elle est inscrite dans une histoire, dans une entreprise de domination qu’il est essentiel de comprendre.
On peut éprouver le plus grand respect pour le judaïsme, tout en étant antisioniste
On nous dira que dénoncer vos tortionnaires fait de nous des antisémites. Ainsi les partisans du sionisme taxent tous ceux qui condamnent la politique meurtrière d’Israël d’antisémitisme. C’est une stratégie bien rodée, qui consiste à fabriquer un amalgame entre l’antisémitisme et l’antisionisme, afin de faire taire toutes les critiques.
Le label d’antisémite ou, en un autre mot, de raciste, n’est pas sans conséquences. Il rend, par exemple, le débat impossible. Que les choses soient claires. On peut éprouver le plus grand respect, ce qui est mon cas, pour les juifs, pour la culture juive, le judaïsme, tout en étant antisioniste. L’antisionisme n’est pas l’antisémitisme. D’ailleurs on sait que de nombreux juifs sont antisionistes.
Une stratégie voulue et pensée
L’histoire est ici celle d’un projet colonial qui a consisté à voler les terres d’un peuple pour les donner à un autre. Il est identique à tous les autres dans son déni de l’existence des peuples indigènes, dans sa volonté de remplacement, par tous les moyens possibles, de ces derniers par les colons, dans sa promotion de la théorie d’une suprématie raciale. C’est une nouvelle « mission civilisatrice » fondée sur la déshumanisation de l’autre et dont l’objectif ultime est son annihilation. Tuer les enfants ne relève ainsi pas du hasard, c’est une stratégie voulue et pensée.
Israël est à l’avant-garde des guerres de sécurisation
Israël n’invente rien. Ses méthodes sont semblables à celles de tous les pays colonisateurs, ce qui explique, dans une grande mesure, le soutien inconditionnel que ceux-ci lui accordent. Mais plus encore, Israël est aujourd’hui au cœur d’un système global de domination. Il joue ainsi un rôle essentiel dans l’industrie de la pacification mondiale, il est à « l’avant-garde des guerres de sécurisation ». Le sort des Palestiniens est intimement lié à celui de tous les opprimés à travers la planète. Un enfant palestinien qui meurt, c’est le monde qui s’essouffle et qui meurt un peu.
Je me dis que dans ce lieu de l’ailleurs, dans ce lieu de paix, vous scrutez ceux qui vous ont assassinés et vous les interrogez. Que leur dites-vous ? Que le nationalisme est la trahison de la foi ? Que la déraison nationaliste, la vénération de la terre et de la matière est aux antipodes de la foi, de toute foi ? Que ceux qui connaissent la syntaxe intime de la souffrance ne peuvent infliger de souffrance aux autres ? Que s’associer avec ceux qui vous haïssent et opprimer ceux qui vous ont soutenus est le préalable aux enfers ? Que vous avez aujourd’hui un grand pouvoir mais que vous arrivera-t-il quand on vous en dépossèdera ? Que vous ressemblez de plus en plus à ceux qui ont tenté de vous détruire ?
Il n’y a qu’un seul moyen de s’en sortir : la solution à deux États
Et vous leur demandez : êtes-vous seulement conscients de l’ironie tragique de votre situation ? Quand vous vous regardez dans un miroir, que voyez-vous ? Est-ce que vous voyez un monstre génocidaire, identique à celui qui a exterminé les vôtres ? Car qu’est-ce qui les distingue de vous finalement ? Voyez-vous que votre logique coloniale est une impasse, pour vous et pour tout le monde ? Qu’il n’y a qu’un seul moyen de s’en sortir, l’instauration d’une paix juste, la solution à deux États ?
L’enfance est faite pour l’innocence. À chaque fois qu’un enfant s’éveille à la vie, il fabrique un espace de lumière pour contrer l’obscurité. À chaque fois qu’un enfant palestinien meurt, il lègue cette lumière aux siens et elle s’enracine dans leurs terres, elle les nourrit et elle y déploie la matière de la révolte et de la liberté. La Palestine deviendra ultimement libre, la Palestine vaincra. Vous en êtes les garants. Vous, les archanges de la lumière.
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