Haro sur les clandestins !

La lutte contre l’immigration illégale est au centre des discussions entre pays riverains de la Méditerranée.

Publié le 7 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Le 20 octobre, quinze émigrés clandestins somaliens débarquent à Lampedusa, île située au large de la Sicile. À bord de leur embarcation de fortune s’entassent les corps de treize de leurs compagnons de voyage qui ont péri de faim et de froid. Les quinze survivants, tous dans un piteux état, affirment que sept autres personnes sont mortes pendant la traversée, qui a duré deux semaines, et qu’elles ont été jetées à la mer. Cette nouvelle tragédie n’a pas manqué de susciter une vive émotion en Italie. Se fondant sur les témoignages des rescapés, les journaux de la péninsule ont affirmé que des centaines de candidats au départ attendaient sur les côtes de la Libye avec l’espoir d’embarquer pour l’Europe. « Plus de 1,5 million de personnes sont prêtes à quitter le nord de l’Afrique pour gagner l’Europe via le canal de Sicile », a renchéri le directeur des services de renseignements militaires italiens (Sismi), Nicolo Pollari, lors d’une audition parlementaire à Rome, le 22 octobre.
Le même jour, le chef du gouvernement Silvio Berlusconi, qui préside l’Union européenne jusqu’à la fin de l’année, est monté, lui aussi, au créneau. « La perte de tant de vies humaines doit nous inciter à renforcer notre coopération pour éviter que ne se répètent de tels désastres », a-t-il déclaré devant le Parlement européen, à Strasbourg. Avant de souligner « l’importance d’un rapport constructif de partenariat avec les pays tiers ou de transit », comme le Maroc, la Tunisie et la Libye, pour une gestion coordonnée de l’immigration.
Au cours de la même séance, le président de la Commission européenne, Romano Prodi, a plaidé pour une « approche politique unique » et l’adoption « le plus vite possible » de la proposition de mise en place d’une agence chargée du contrôle des frontières, entérinée une semaine auparavant au sommet européen de Bruxelles. « Nous devons déterminer des flux communs pour l’immigration légale et, sur la base de ces flux, lancer une négociation globale avec les pays de l’immigration », a-t-il dit.
« La Libye a 2 000 km de côtes et 7 000 km de frontières terrestres. Même si on mettait les 5 millions de Libyens à contrôler les frontières, nous n’y arriverions pas. Nous avons des problèmes avec l’immigration illégale en provenance de toute l’Afrique depuis les années 1970, nous avons tout essayé et toujours échoué », a expliqué le ministre libyen de la Justice et de la Sécurité, Muhammad Mosrati, dans un entretien publié, le 23 octobre, par le quotidien Corriere della Sera. Et d’ajouter : « Nous avons besoin de beaucoup d’argent et de moyens de haute technologie. Une commission technique a préparé une longue liste pour l’Italie de tout ce dont nous avons besoin [pour lutter contre l’immigration] : hélicoptères, jumelles, radars. Le problème, c’est l’embargo de l’Union européenne [contre la Libye]. »
Réunie les 22 et 23 octobre à Rabat, au Maroc, la deuxième conférence ministérielle des dix pays du Forum informel 5 + 5, qui regroupe les États de l’Union du Maghreb arabe (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Mauritanie) et les cinq États du sud de l’Europe (France, Espagne, Portugal, Italie et Malte) s’est prononcée, elle aussi, en faveur d’une « approche globale » des problèmes migratoires qui associe la démarche « sécuritaire » au souci du développement. « Les pays développés qui tentaient de réduire ou d’arrêter la migration internationale reconnaissent aujourd’hui l’intérêt de cette migration pour faire face à leurs besoins économiques et pour combler leurs déficits démographiques », a expliqué Brunson McKinley, directeur de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
La lutte contre l’immigration clandestine est devenue ces dernières années une priorité de l’UE. L’Italie et l’Espagne, où des milliers d’immigrants clandestins arrivent chaque année en provenance des côtes nord-africaines, s’inquiètent du coût de cette lutte. La question sera au centre des discussions du premier sommet des chefs d’État des pays du Forum 5 + 5, qui se réunira les 5 et 6 décembre à Tunis. Des sources diplomatiques françaises affirment que cette rencontre sera la première étape vers la signature d’un « contrat migratoire » entre les dix pays participants. Le président français Jacques Chirac, qui devrait se rendre en visite officielle en Tunisie, les 3 et 4 décembre, juste avant le sommet, semble décidé à faire adopter ce projet par ses homologues européens et maghrébins.
« Il s’agit de faire en sorte que les peuples du Sud ne perçoivent pas l’Europe comme une forteresse fermée sur elle-même », a déclaré, pour sa part, le 29 octobre, le président tunisien Zine el-Abdine Ben Ali dans un discours au symposium international du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir) sur le thème « L’espace euro-méditerranéen face à l’élargissement de l’Union européenne ». Le chef de l’État tunisien a ajouté : « Il ne faudrait pas que ces peuples aient le sentiment que le projet de mise en place d’une zone de libre-échange [euro-méditerranéenne] soit de nature à créer un paradoxe qui consisterait à ouvrir les frontières aux marchandises, aux produits et aux capitaux, mais à les fermer à la libre circulation des personnes et des services, en cette ère de la communication et de la mondialisation. »
Par ailleurs, les chefs des polices des six pays riverains de la Méditerranée occidentale se réuniront à Paris avant la fin de l’année sous forme de 3 + 3 (la France, l’Espagne et l’Italie au Nord ; l’Algérie, le Maroc et la Tunisie au Sud). Au menu : la lutte contre le terrorisme, la grande criminalité et l’émigration clandestine. L’initiative a été annoncée le 29 octobre par le ministre français de l’Intérieur Nicolas Sarkozy dans l’avion qui le ramenait d’Alger, où il avait signé avec son homologue algérien deux accords de coopération en matière de sécurité et de protection civile. Les chefs des polices devraient préparer l’ordre du jour de la réunion des ministres de l’Intérieur des six pays concernés en vue de créer, selon les termes du ministre français, « une zone de sécurité sur la Méditerranée occidentale ».

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires