Place aux films « noirs »

Plusieurs oeuvres africaines sont à l’honneur dans le palmarès 2005 du Festival de Namur.

Publié le 10 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Le Festival international du film francophone de Namur (Belgique), dont la vingtième édition s’est déroulée du 23 au 30 septembre dernier, est la seule manifestation entièrement consacrée au cinéma des pays utilisant partiellement ou totalement la langue française.
Il est, en outre, renommé pour son exceptionnelle convivialité. Une équipe dynamique, entourée d’un nombre impressionnant de bénévoles (chauffeurs, hôtesses, animateurs…), sait établir un dialogue amical durable entre cinéastes « francophones du Nord » – Québec, Belgique, Suisse, France – et « francophones du Sud » – Afrique, monde arabe, Asie du Sud-Est.
La session 2005 s’est distinguée par la montée en puissance, dans le palmarès, des films arabes et africains. Cofondé par Luc Hemelaer, le plus important distributeur belge (Belga Films), ce festival a été conçu, en 1986, comme un lieu de promotion des films français distribués en Belgique avec, à l’appui, la venue de nombreuses « stars » de l’Hexagone. Depuis, le Bayard d’or du meilleur film a presque toujours été décerné à la France, au Québec, à la Belgique ou à la Suisse. C’est-à-dire aux francophones du Nord. Hormis des prix secondaires, on ne trouvait à ce jour dans le palmarès qu’un Grand Prix attribué à un film africain, tourné sur le continent par une cinéaste qui y réside : Rachida, de l’Algérienne Yamina Bachir-Chouikh, couronné en 2002.
Outre le Grand Prix attribué au Roumain Cristi Puiu pour son très original La Mort de Monsieur Lazarescu, déjà primé à Cannes en 2005, la dernière édition du Festival de Namur a récompensé trois oeuvres importantes, confirmant l’arrivée de lauréats du Sud dans son palmarès. Tout d’abord le très remarqué Delwende (« Lève-toi et marche ») du Burkinabè S. Pierre Yaméogo, qui a remporté le Prix spécial du jury et qui sortira à Paris le 14 décembre prochain. Le film dénonce la terrible condition de ces femmes accusées, à tort, d’être des sorcières « mangeuses d’âmes » d’enfants. Bannies de leurs villages, pourchassées, elles trouvent accueil dans un « centre » de Ouagadougou où elles terminent leur vie de façon misérable.
Dans cette oeuvre forte, le regard plein de compassion et de justesse que porte Yaméogo sur les victimes de la tradition et de la bureaucratie prouve qu’il est meilleur dans sa veine réaliste – initiée par Laafi, son remarquable premier long-métrage de 1991 – que dans ses comédies satiriques populaires telles que Silmandé (« Tourbillon »), à la facture plus caricaturale.
Arlit, deuxième Paris, le court-métrage du Béninois Idrissou Mora Kpaï (Prix du meilleur documentaire), est un remarquable plaidoyer pour la dignité de l’homme africain éternellement exploité, à travers la description de la ruée d’émigrants dans la ville d’Arlit, bâtie au coeur du désert nigérien pour l’exploitation des mines d’uranium. Le film montre la détresse des ouvriers découvrant qu’ils ont été manipulés lorsque la rébellion des Touaregs et la chute du marché de l’uranium ont mis fin à cet « eldorado » africain. L’intelligence et la justesse dont fait preuve le réalisateur – déjà primé dans de nombreux festivals pour son premier court-métrage autobiographique Si Gueriki, la reine-mère (2002), le placent déjà parmi les meilleurs documentaristes africains actuels.
Cette même dignité du regard se retrouve dans le long-métrage A Perfect Day des Libanais Khalil Joreige et Joana Hadjithomas (Prix du meilleur comédien pour l’acteur principal Ziad Saad et Prix du Sud de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie). Il décrit la journée d’errance d’une mère et de son fils qui ne peuvent se résoudre à faire la déclaration officielle de disparition de leur époux et père, enlevé quinze ans plus tôt durant la guerre civile. Cette parabole sur les blocages du Liban contemporain est servie par un art cinématographique de haut niveau : une volonté délibérée d’éviter les actions et les dialogues « significatifs » pour exprimer à travers des non-dits (ô combien éloquents !) quelque chose de plus précieux. Un film parmi d’autres qui ont prouvé à Namur que le cinéma francophone du Sud peut être du grand cinéma tout court.

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