Dangote, BUA, Ford… Ces groupes qui redonnent espoir à l’industrie manufacturière africaine
Qu’ils proviennent des conglomérats nigérians ou du géant américain, les investissements massifs réalisés en Afrique au cours des dernières années contrent les analyses les plus pessimistes sur l’essor industriel du continent.
La capacité de l’Afrique à fabriquer des produits manufacturés de base à souvent été remise en cause, notamment devant l’essor de Pékin qui, avec son initiative « Made in China 2025 », est devenu le premier acheteur mondial de robots pour l’industrie.
De fait, selon l’hypothèse du président rwandais Paul Kagame, l’Afrique a manqué l’opportunité de fabriquer des produits d’entrée de gamme. « Nous avons attendu trop longtemps pour agir », explique-t-il.
En effet, le secteur manufacturier africain a connu une croissance de +2,5 % au cours des vingt dernières années, alors qu’en Chine et dans d’autres pays comme le Vietnam, ce chiffre se situe entre + 15 et +20 %.
Désindustrialisation prématurée
Conséquence, l’industrie, qui assurait dans les années 1970 un cinquième de la production du continent ne représente plus aujourd’hui qu’un dixième du PIB africain. « C’est une désindustrialisation prématurée », déclare Richard Kozul-Wright, directeur de la mondialisation à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).
Alors, que faire ? « Devons-nous envisager un modèle différent ? Essayons-nous, par exemple, de sauter à pieds joints dans les services ? », s’interroge Acha Leke, président Afrique du cabinet de conseil en stratégie McKinsey.
Pourtant, du Nigeria à l’Afrique du Sud en passant par l’Égypte, des investissements massifs sont bel et bien injectés dans de grands projets industriels.
Dangote et Rabiu au coude à coude
Au Nigeria, Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique – avec une fortune estimée à 11,5 milliards de dollars – vient d’encaisser un chèque de dividendes de 234 milliards de nairas (61,5 millions de dollars) de la division ciment de son entreprise. En effet, Dangote Cement est désormais la deuxième société cotée à la bourse de Lagos à être évaluée à plusieurs milliards de nairas.
En outre, en avril, son dernier projet industriel – une raffinerie et une usine pétrochimique – a produit son premier lot d’engrais. La raffinerie de pétrole, avec une capacité de 650 000 barils par jour (bpd), devrait, quant à elle, commencer à livrer du carburant cette année.
De son côté, Abdul Samad Rabiu, président du groupe BUA, construit une raffinerie de plusieurs milliards de dollars sur la côte nigeriane. L’installation, d’une capacité de 200 000 barils par jour, devrait être achevée en 2024. Le groupe BUA prévoit également plusieurs autres projets industriels, potentiellement dans les secteurs du verre et de l’acier.
« Notre plus grande force, c’est notre population, notre marché », déclare M. Rabiu. La demande de carburant de la région a déterminé l’emplacement du projet à Ntaikang, dans l’État d’Akwa Ibom, où l’infrastructure maritime permet un chargement facile sur les navires.
Redémarrage de l’industrie automobile sud-africaine
En Afrique du Sud, les craintes d’une industrie automobile à l’agonie s’estompent. Le géant américain Ford investit 1 milliard de dollars pour moderniser son usine de Silverton, à l’ouest de Tshwane, pour produire 200 000 voitures par an – contre 168 000 auparavant – à destination des marchés mondiaux.
Enfin, en 2016, la Beijing Automobile International Corporation, a annoncé un investissement de 700 millions de dollars dans un nouveau site du centre de construction automobile de Gqerberha (anciennement Port Elizabeth). Malgré quelques difficultés, le premier véhicule est sorti des chaines de production en 2018.
Le « contenu local » – stratégie des multinationales visant à intégrer dans ses processus de production des entreprises et de la main d’œuvre locale – a contribué à faire des ateliers d’usine sud-africains des acteurs sérieux.
Un plan directeur de l’industrie automobile sud-africaine (SAAM) 2021-2023 vise le passage à la vitesse supérieure. Aujourd’hui, 37% de la valeur d’une voiture est fabriquée en Afrique du Sud et le SAAM espère faire passer ce chiffre à 60%. « Sans localisation, nous allons avoir du mal à rester compétitifs », a déclaré Andrew Kirby, PDG de Toyota South Africa Motors Limited, lors d’une récente réunion du secteur.
Des usines, mais pas d’emplois
Les entreprises européennes elles non plus n’hésitent pas à délocaliser leur production vers le continent. Depuis plusieurs années, Renault produit des voitures sur plusieurs sites au Maroc, et Peugeot lui emboîte le pas.
Citons aussi le chantier naval d’Alexandrie, en Égypte, où ont été construites trois des quatre corvettes de classe Gowind 2500 destinées à la marine égyptienne, après une première unité produite par les chantiers navals français de Naval Group en Bretagne.
En revanche, les investissements dans l’industrie manufacturière ne sont pas synonymes de création d’emplois. En Éthiopie et en Tanzanie, les entreprises manufacturières qui réussissent le mieux ne créent pas d’emplois en raison de l’autonomisation des processus de travail.
« Concurrencer les producteurs établis sur les marchés mondiaux n’est possible qu’en adoptant des technologies qui rendent pratiquement impossible la création d’un nombre important d’emplois », expliquent Xinshen Diao, Mia Ellis, Margaret McMillan et Dani Rodrik dans un article récent.
L’espoir dans la Zlecaf
Dois-t-on alors être pessimistes ? Acha Leke penche plutôt pour l’optimisme. Etant donné que les africains représenteront une personne sur quatre d’ici 2050, il est « improbable » qu’aucune fabrication d’emploi ne se fasse sur le continent.
Pour lui, la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est une voie possible pour encourager les investissements sur le continent. Elle va permettre de regrouper les opportunités de manière plus claire, par rapport aux marchés fragmentés du passé, où les petits acteurs n’apportaient pas souvent de valeur ajoutée.
Pour Christian Meyer, Alan Gelb et Vijaya Ramachandran, économistes du centre pour le développement mondial, l’« escalade » du développement des exportations de produits manufacturés ralentit, mais « ne s’arrêtera pas complètement ».
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