La Très Honorable Mme Jean

Le nouveau chef de l’État, représentante de la Couronne, est une immigrée d’origine haïtienne.

Publié le 10 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Femme, noire, immigrée et chef d’État : une conjonction suffisamment rare pour être soulignée. Le 27 septembre dernier, Michaëlle Jean, 48 ans, devient la première Noire de l’Histoire à occuper la plus haute fonction dans un État occidental.
Un peu plus de cinquante jours après sa nomination par la reine d’Angleterre, sur proposition du Premier ministre canadien Paul Martin, cette ancienne journaliste d’origine haïtienne devient officiellement le vingt-septième gouverneur général du Canada (depuis la création de la confédération en 1867) et le soixante-quatrième depuis la création de la fonction par le Français Samuel de Champlain en 1608 dans la province de la Nouvelle-France, il y a près de quatre cents ans.
La fonction consiste aujourd’hui encore à représenter la Couronne britannique dans ses anciennes colonies. Bien que devenue essentiellement protocolaire, elle n’en demeure pas moins l’une des plus prestigieuses du pays. Le principal pouvoir politique du gouverneur général réside dans la nomination du Premier ministre, mais uniquement dans le cas où les élections générales ne parviendraient pas à dégager de majorité claire à la Chambre des communes.
C’est au gouverneur général que revient la tâche de représenter le Canada à l’étranger et de promouvoir l’unité nationale d’un pays culturellement très divers, où les antagonismes linguistiques et régionaux restent vifs et nombreux.
La nomination de Michaëlle Jean apparaît donc particulièrement symbolique. « C’est très important pour nous. Elle devient quand même chef d’État. Cela donne de l’espoir aux gens de la communauté noire, mais aussi à l’ensemble de la société québécoise pour montrer qu’on peut aller loin », a ainsi déclaré Dan Philip, président de la Ligue des Noirs du Québec, en apprenant sa nomination. En Haïti, où elle est née en 1957, Michaëlle Jean est déjà un modèle. Le révérend Raphaël Dessieu, directeur du Nouveau Collège Bird de Jacmel où la jeune Michaëlle avait fait ses études primaires, assure que ce serait un « privilège » et un « formidable encouragement » pour ses élèves si la nouvelle gouverneure générale venait visiter son établissement.
Pour la nièce de René Dépestre, l’un des plus grands écrivains haïtiens contemporains, cette élection constitue aussi et surtout une revanche sur l’Histoire tout autant que la récompense d’un parcours universitaire et professionnel brillant. « Je viens de loin, mes ancêtres étaient des esclaves », a lancé lors de sa nomination, le 4 août dernier, celle qui retient de son enfance canadienne qu’elle se sentait « comme une tache noire sur la neige blanche ».
Exilée au Québec en 1968, à l’âge de 11 ans, après que ses parents eurent fui la dictature de François Duvalier (1957-1971), abandonnée par son père peu de temps après, Michaëlle Jean n’en a pas moins réussi une brillante carrière. Après une maîtrise de littérature comparée, elle devient, en 1984, professeur à la faculté d’études italiennes de l’Université de Montréal. Quatre ans plus tard, contaminée par le virus du journalisme, elle entre à Radio Canada pour dix ans, avant de passer à la chaîne de télévision CBC Newsworld. Seule ombre au tableau de celle qui présentait depuis 2001 l’un des principaux journaux de la première chaîne d’info en continu du Canada : des affinités supposées – elle s’en défend -, avec les milieux souverainistes québécois. Et, dans une moindre mesure, sa nationalité française acquise par son mariage avec le documentariste français Jean Daniel Lafond. Dans un pays où le séparatisme du Québec francophone déchaîne les passions, fédéralistes et autres monarchistes opposés à sa nomination n’ont pas manqué d’exploiter ce filon. Mais, au moment de prendre ses fonctions, Son Excellence la Très Honorable Madame Jean, comme on l’appelle désormais, met les choses au clair : le 25 septembre, elle renonce à sa nationalité française et, deux jours, plus tard, dans son discours d’intronisation, fait de la réconciliation des « deux solitudes » canadiennes, la francophone et l’anglophone, la principale mission de son quinquennat.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires