Mamadou Dia, entre western et tragédie, filme l’amour au Sénégal

Sorte de « Roméo et Juliette » au temps de l’obscurantisme fondamentaliste, « Le Père de Nafi » décortique habilement la société sénégalaise.

« Le Père de Nafi », de Mamadou Dia, relate deux visions de l’islam, l’une radicale, l’autre modérée. © JHR Films

« Le Père de Nafi », de Mamadou Dia, relate deux visions de l’islam, l’une radicale, l’autre modérée. © JHR Films

Renaud de Rochebrune

Publié le 9 juin 2021 Lecture : 3 minutes.

Une version africaine de Roméo et Juliette ? Une tragédie grecque revisitée et située au XXIsiècle ? Un western sénégalais contemporain ? Les trois définitions conviennent pour évoquer Le Père de Nafi, le long-métrage très réussi du Sénégalais Mamadou Dia. Mais, s’agissant de cinéma et non de littérature ou de théâtre, la plus adéquate reste la troisième. En effet, l’ambiance et plusieurs scènes majeures du film renvoient bien à ce genre cinématographique.

Surtout, l’histoire relate un duel sans merci entre deux hommes, deux frères imams que tout oppose, dans une petite ville nommée Yonti. Cette localité imaginaire, au bord du fleuve Sénégal, pourrait être une représentation de la ville natale du cinéaste, Matam, où le film a d’ailleurs été tourné. Formé aux États-Unis, Mamadou Dia aurait très bien pu le titrer Duel à Yonti City, bien que les comédiens jouent en pulaar.

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Deux islams opposés

Le film met en scène quatre personnages qui vont deux par deux. La belle Nafi et le placide Tokara, deux post-adolescents très modernes, s’aiment et songent à partir ensemble à Dakar pour poursuivre leurs études. Mais, comme dans Roméo et Juliette, leur relation les voue à un destin tragique, car fortement contrariée par leurs parents respectifs, Tierno et Ousmane qui s’affrontent jusqu’à la haine. Le premier est l’imam respecté et modéré de la ville.

Le second se considère, depuis son retour d’exil, comme le plus légitime à occuper cette fonction qui lui était promise à l’origine par leur père. Leur désaccord n’est pas seulement familial. Ousmane, converti à l’islam radical en Europe, entend prendre le pouvoir à Yonti, mais aussi mettre la ville en coupe réglée selon des règles qu’il commence à imposer par la force, avec l’appui d’un groupe de jihadistes venus de la Mauritanie voisine. Au-delà des conflits personnels, attisés par la volonté d’Ousmane de tirer des bénéfices matériels de la situation, leur différend résulte de deux visions du monde irréconciliables, l’une apaisée et l’autre radicale.

Film rude, mais d’une grande beauté, Le Père de Nafi ne renvoie évidemment pas dos à dos les deux parties. Les préférences de Mamadou Dia sont claires. Il soutient que son rejet viscéral de l’extrémisme lui a inspiré son scénario, lors de son séjour d’études cinématographiques à New York, au cours duquel on n’a pas cessé de lui poser des questions sur l’islam et la violence. Et, paradoxalement, par l’élection de Donald Trump ouvertement islamophobe. Son professeur préféré outre-Atlantique ne risquait alors guère de le convertir à l’indulgence envers le président, puisqu’il s’agissait de Spike Lee.

Un film dure, mais d’une grande beauté

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S’il choisit son camp, le film évite, autant que possible, le manichéisme. Le réalisateur entend montrer les vertus de l’islam pacifique et paisible que veut préserver son personnage, Tierno. Cet islam n’est autre que celui de son enfance, lui qui est le fils d’un imam tolérant dont les filles n’ont jamais été voilées. Mais ledit Tierno ne se révolte vraiment contre son frère que sous la pression des femmes. Par ailleurs, croyant seulement aux mariages arrangés, il ne privilégie pas l’amour et s’oppose à l’union entre Nafi et Tokara.

Mamadou Dia dresse un portrait à charge du brutal Ousmane pour expliquer qu’un imam exerce, avant tout, une fonction sociale et que les individus ne se définissent pas, en premier lieu, par leur rapport à la religion, laquelle ne doit être qu’un trait de la culture de chacun. Ce qui confère au Père de Nafi une portée universelle. On attend donc avec intérêt la suite du parcours cinématographique de Mamadou Dia, déjà couvert de prix, dont le Meilleur premier film au prestigieux festival international de Locarno (Suisse). Son coup d’essai ne restera sûrement pas sans lendemain.

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Le Père de Nafi, de Mamadou Dia. Sortie en France le 9 juin 2021.

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