Interview de Julius Nyerere
Publié le 10 octobre 2005 Lecture : 2 minutes.
Jeune Afrique : les pays occidentaux ont l’habitude de classer les pays africains en fonction de leurs amitiés pour tel ou tel bloc. C’est ainsi que depuis votre voyage en Chine et celui du président Chou En-laï en Tanzanie, vous êtes considéré comme tourné vers l’Est.
Je connais bien ce problème. Voyons les perspectives : la raison de cet état de choses, c’est l’humiliation de l’Afrique. Le monde occidental, et l’Europe en particulier, considère l’Afrique comme sienne. Les États-Unis considèrent le continent américain comme leur zone d’influence, et ils n’aiment pas voir Cuba s’aligner sur la Russie. Si les Cubains persistent, les USA brandissent la menace atomique. Puisqu’ils sont riches, ils essaient aussi d’intervenir en Asie. Mais l’Asie doit être laissée aux Asiatiques.
L’Europe considère l’Afrique comme son bien ! Elle ne veut en Afrique ni les communistes ni les Américains. Souvent les Européens se servent de l’Amérique parce que c’est une grande puissance et parce qu’eux sont intelligents. Ils agitent alors devant eux l’épouvantail du communisme en Afrique. Et les Américains aident les Européens à se débarrasser du communisme. […]
La politique des Africains est de dire : l’Afrique est notre continent. On m’a accusé d’être communiste. Mon intention est de rester à l’écart des groupes. Mon pays est trop occidental, autant que n’importe quel autre pays en Afrique. Toutes les banques, ici, sont occidentales, dans toutes mes écoles, le corps enseignant est occidental. Dans les hôpitaux, les médecins sont occidentaux, 70 % de l’économie de ce pays est entre les mains de sociétés pour la plupart occidentales. Qu’est-ce qu’il y a de communiste là-dedans ? Rien ! Et lorsqu’ils sentent la plus petite tentative de notre part de nous libérer de cette dépendance, ils nous humilient en nous traitant de communistes. Pour eux, nous devons demeurer un pantin, la chose du monde occidental. Si nous acceptons cette situation, ils disent : « Vous êtes gentils, c’est bien. » Et si vous essayez de manifester le moindre désir d’indépendance – et c’est ce que fait la Tanzanie – voyez un peu ce qui arrive…
