Algérie : Hirak, Maroc, France… ce qu’il faut retenir de l’offensive médiatique de Tebboune
À quelques jours des législatives, le chef de l’État algérien a livré deux interviews à des médias étrangers. Décryptage de la parole présidentielle.
Alors que les élections législatives du 12 juin se profile, le président Abdelmadjid Tebboune poursuit son offensive médiatique à l’international. Après avoir accordé une interview à l’hebdomadaire français Le Point le 2 juin, largement commentée des deux côtés de la Méditerranée, il a été le premier chef d’État algérien à s’exprimer sur Al-Jazira, une chaîne qatarie longtemps interdite car jugée hostile à Alger.
Le Hirak originel est terminé
Pour le président, il existe deux Hirak, dont les natures, les slogans et les revendications ainsi que l’ampleur sont bien distincts. Il qualifie le mouvement du 22 février 2019 d’ »authentique », de « béni » et d’ »originel » en ce sens qu’il s’est opposé pacifiquement à la candidature de Bouteflika à un cinquième mandat ainsi qu’à la mainmise de la « issaba » (la bande mafieuse) sur le pouvoir.
Il estime que le cercle qui entourait le fantomatique chef d’État entendait prendre le contrôle des institutions. Plus de 13 millions d’Algériens, dit-il, sont sortis manifester pacifiquement chaque vendredi pour sauver le pays de la déliquescence et de l’effondrement. Ce Hirak originel s’est achevé selon lui avec l’élection présidentielle du 12 décembre 2019 qui lui a permis d’accéder à la magistrature suprême.
Le mouvement de contestation aurait ensuite été dévoyé et infiltré par des forces occultes et extrémistes. Ses slogans seraient hétéroclites et ses revendications ne seraient plus unifiées. Tebboune affirme que le nombre de manifestants ne dépasse désormais pas quelques milliers et que les rassemblements ne se tiennent plus dans une cinquantaine de wilayas sur les 58 que compte le pays. C’est que depuis un mois, les autorités ont décidé de donner un tour de vis répressif aux marches du vendredi en déployant un impressionnant dispositif policier notamment à Alger, le cœur des manifestations du Hirak. En clair, Tebboune estime que la page du mouvement du 22 février est tournée.
Tebboune se montre offensif et tranchant sur les relations avec le Maroc
300 milliards de dollars détournés
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Sous la présidence de Bouteflika, l’Algérie a investi plus de 1 000 milliards de dollars, avance Tebboune. Selon lui, 30 % de cette gigantesque manne a été détournée dans des surfacturations à l’étranger. Une cinquantaine de personnes ont été les bénéficiaires de ce système de corruption et de gabegie qui s’est infiltré dans tous les rouages de l’État jusqu’à son sommet.
Le président indique que la justice a décidé de récupérer et de saisir tous les biens et les avoirs des oligarques condamnés à de lourdes peines de prison dans diverses affaires de corruption. Il souhaite une entraide entre partenaires étrangers, notamment avec les pays européens, pour tenter d’identifier les avoirs en question afin qu’ils soient restitués à l’Algérie. Mais le travail de la justice étant très lent dans le cadre des dossiers de récupération et de restitution des biens à l’étranger, rien n’indique qu’Alger puisse un jour rapatrier les fortunes amassées par les oligarques.
Nouvelle crise avec le Maroc
Depuis son élection à la présidence, Tebboune se montre offensif et tranchant sur les relations entre l’Algérie et le Maroc. Ces deux sorties dans Le Point et face à Al-Jazira le confirment. Il insiste sur le fait que son pays n’a pas de problèmes avec le voisin de l’ouest. « C’est plutôt le Maroc qui a des problèmes avec nous », déclare-t-il au journaliste de la chaîne qatarie. Tebboune se dit prêt à s’asseoir autour d’une table pour dialoguer avec Mohammed VI, dont il ne cite pas le nom. Sur la question du Sahara, qui continue d’entraver la normalisation des relations entre les deux pays, le président algérien affirme qu’il s’agit d’une affaire de décolonisation qui doit être tranchée sous l’égide de l’ONU.
Le président algérien indique que l’Algérie avait de bonnes relations avec le Maroc, que les frontières ont été ouvertes alors même que la question du Sahara occidental était pendante. Tebboune fait référence à la normalisation des relations entre Alger et Rabat sous Chadli Bendjedid et Hassan II, qui a débouché sur la réouverture des frontières en 1989. Celles-ci sont fermées depuis août 1994.
La récente visite du président algérien et du chef d’état-major de l’armée au président de la RASD, Brahim Ghali, à l’hôpital militaire de Aïn Naadja, où il a été admis après son retour d’Espagne et son audition par un magistrat espagnol, témoigne du soutien indéfectible de l’Algérie à la cause sahraouie. Le fait nouveau est cette demi-main tendue au souverain marocain. Les deux dirigeants pourront-ils marcher sur les traces de Chadli Bendjedid et de Hassan II ? Rien n’est moins sûr.
Mémoire et colonisation
Contrairement à son prédécesseur, dont la maladie et l’effacement ont provoqué la paralysie de l’appareil diplomatique, Tebboune ne manque jamais une occasion d’évoquer les relations avec la France, l’ancienne puissance coloniale. S’il souhaite qu’elles soient fortes et apaisées, il n’en pose pas moins certaines conditions et des préalables. Les questions de la mémoire et de la colonisation continuent de constituer des obstacles à cette réconciliation et cette refondation.
L’Algérie exige la reconnaissance totale des enfumades de 1845 et des massacres du 8 mai 1945
Le chef de l’État algérien indique que son pays n’attend ni excuses ni repentance et encore moins des compensations financières de la part de la France. L’Algérie exige la reconnaissance totale de crimes commis pendant la colonisation, qui s’est achevée avec l’indépendance en juillet 1962.
Tebboune cite notamment les terribles enfumades de 1845 qui ont fait des centaines de victimes algériennes, dont des femmes et des enfants, ordonnées par des militaires dont la mémoire et les noms continuent d’être honorés en France, notamment le maréchal Bugeaud. Tebboune cite également les massacres du 8 mai 1945 qui ont fait, selon la version officielle, 45 000 morts à Sétif, Guelma et Kherata. Cette terrible répression perpétrée alors même que les Alliés fêtaient la victoire contre le nazisme, à laquelle des milliers d’appelés algériens ont contribué, constitue une des références fondamentales de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie.
Enfin, cette reconnaissance passe aussi par la question des essais nucléaires menés par l’armée française dans le Sahara algérien entre 1961 et 1966. Tebboune souhaite que la France procède à la décontamination des sites en question ainsi qu’à l’indemnisation des victimes. Selon Paris et Alger, les discussions sur le dossier avancent plutôt bien.
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