« Après le 30 octobre, Gbagbo sera un usurpateur »
Pour la première fois depuis son retour au pays, l’ex-président de la Côte d’Ivoire se dévoile sans faux-semblants.
Un nouveau Bédié serait-il en train de naître, revêtu de l’étoffe, jusqu’ici très improbable en ce qui le concerne, du combattant gonflé à bloc et prêt à rendre coup pour coup ? Va-t-il enfiler les habits de Félix Houphouët-Boigny à qui il a succédé au pouvoir et dont il revendique tout ou partie de l’héritage politique ? Depuis son retour au pays, le 11 septembre dernier, l’ancien président ivoirien de 1993 à 1999 surprend et mord à pleines dents dans la politique. Se montre, reçoit, fait la navette entre Abidjan et sa bonne ville natale de Daoukro. Communique et redouble d’activité, en politique madré qui reprend du poil de la bête, non sans quelques précautions. Notamment en matière de sécurité.
Le personnage un peu assoupi, comme anesthésié par l’exil, se révèle, à 71 ans, un bretteur pugnace. Si la Côte d’Ivoire n’était pas dans l’état où elle se trouve aujourd’hui, on aurait dit que Bédié a de la chance, l’enlisement du pays dans la crise l’ayant remis en selle. De la chance aussi, car avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), il dispose d’une grosse machine électorale que ses rivaux ne sont pas parvenus à lui arracher, malgré de multiples tentatives. De la chance encore pour être resté persévérant. Il admet avoir été visité par le découragement, avoir failli tout lâcher la première année de sa traversée du désert.
Mais il revient et se lance dans une aventure dont personne, à commencer peut-être par lui-même, ne connaît l’issue. Tout au plus se sent-il quelque peu conforté dans sa démarche par des sondages réalisés dans le sud de la Côte d’Ivoire et circulant sous le manteau au sein de l’exécutif français qui le placent en très bonne position en vue de l’élection présidentielle dont la date et les conditions d’organisation sont au centre de toutes les controverses et de toutes les tractations.
L’ancien étudiant de Poitiers, qui a laissé femme et enfants pour rentrer seul à Abidjan, se réveille et entend secouer ses compatriotes. En redresseur de torts ? « Non, Bédié n’est pas une voiture de course. Mais c’est un gros diesel qui s’est remis en route, et il y a de la puissance derrière », confie un de ses meilleurs amis français. En boutefeu pressé de régler des comptes ? « Non, rectifie le même ami, il n’est pas animé par un esprit de revanche. C’est dépassé à son âge. Ce n’est pas un revanchard, mais il a de l’orgueil comme tout le monde. » En tout cas il sort ses griffes et attaque. Surtout le président Laurent Gbagbo qui, à ses yeux, serait « un usurpateur s’il reste après le 30 octobre ». Il ne lui passe rien. Au contraire.
Un mois après son retour, le diagnostic qu’il dresse de son pays pour J.A.I. est sans concessions. C’est un Bédié que personne ne soupçonnait qui s’y révèle. Qui parle de l’après-30 octobre, de Thabo Mbeki et de sa médiation, de Jacques Chirac et des Français, de ses anciens pairs africains et de l’étrange attelage qu’il forme avec Alassane Ouattara. De l’ivoirité aussi, dont, pour beaucoup, il reste le « père ». Comme pour beaucoup, l’image de son régime reste écornée par quelques scandales de corruption. Les bailleurs de fonds n’ont pas oublié, les Ivoiriens non plus, avec lesquels le « sphinx de Daoukro » entend désormais s’expliquer, lui qui s’est rarement prêté à l’autocritique.
Jeune Afrique/l’Intelligent : Pourquoi pensez-vous que le maintien de Laurent Gbagbo à la présidence après le 30 octobre accentuera la crise ?
Henri Konan Bédié : Tout simplement parce que personne n’est prêt à supporter un président non élu. M. Gbagbo est responsable des blocages. Si vous prenez les accords de Marcoussis point par point, c’est le camp présidentiel et lui-même qui ont refusé de les appliquer. Ils ont tout fait pour les saboter. En fait, ceux qui sont là entendent demeurer au pouvoir sans élections.
J.A.I. : Laurent Gbagbo n’a-t-il pas fait une concession majeure en autorisant Alassane Ouattara à se présenter ?
H.K.B. : Mais cela ne suffit pas ! Ce n’était que l’un des blocages. Regardez par exemple la Commission électorale indépendante. Elle n’est toujours pas installée. C’est seulement le 3 octobre que le président, me dit-on, a signé le décret portant sur sa composition. Passer cinq ans à la tête de l’État sans être capable de préparer les élections, c’est une honte ! Comme ce pouvoir n’a pas pris la peine d’identifier les électeurs, d’établir les listes électorales et de distribuer les cartes d’électeurs, il est disqualifié.
J.A.I. : Quelle est la responsabilité du président ivoirien dans les violations des droits de l’homme ?
H.K.B. : Elle est évidente. Le 25 mars 2004, c’est lui qui a réquisitionné l’armée pour tirer sur les manifestants. Selon l’ONU, il y a eu 120 morts. C’est plus que grave. C’est un crime.
J.A.I. : Est-il impliqué dans l’existence d’éventuels escadrons de la mort ?
H.K.B. : Écoutez, ce sont ses propres officiers supérieurs qui le disent, comme le général Mathias Doué et le colonel Jules Yao Yao. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi la communauté internationale ne prête pas l’oreille à ces déclarations et ne s’engage pas dans des mesures répressives.
J.A.I. : Le président Gbagbo et plusieurs chefs d’État proposent un simple report technique de l’élection présidentielle de quelques mois…
H.K.B. : Non, c’est une chose qu’on ne peut pas marchander. La Constitution dit clairement que le mandat de président de la République est de cinq ans. La Constitution fixe un terme. On ne peut pas se permettre d’ajouter un jour de plus. Après le 30 octobre, nous entrerons dans une période où le président sera illégitime. Donc, il n’y a pas de report technique pour une fin de mandat. La Constitution ne prévoit pas de prolongation. Ce serait illégal. Gbagbo serait un usurpateur.
J.A.I. : Le 2 octobre, le ministre français des Affaires étrangères a suggéré un report limité à quelques mois et une élection début 2006…
H.K.B. : Si les futures personnes chargées de préparer l’élection peuvent être prêtes pour le début 2006, nous n’y voyons aucun inconvénient.
J.A.I. : Mais vous n’y croyez guère…
H.K.B. : Disons que mes amis de l’alliance houphouétiste et moi, nous pensons que les choses ne seront pas prêtes avant six mois ou un an parce que rien n’a été fait pour préparer l’élection. Il faut donner le temps à la Commission électorale indépendante de faire son travail proprement. Et pour que le scrutin soit transparent, il faut identifier les personnes, établir les listes électorales, distribuer les cartes et démanteler les milices.
J.A.I. : Ne craignez-vous pas que le gouvernement français s’aligne sur la position de Laurent Gbagbo ?
H.K.B. : Non. Début 2006, c’est vague. De toute façon, peu importe la durée. L’essentiel, c’est que les préparatifs soient terminés pour qu’il y ait une élection juste, honnête et transparente.
J.A.I. : Préférez-vous retenir la déclaration de la ministre française de la Défense sur « le vide juridique au-delà du 30 octobre » ?
H.K.B. : Cela, c’est une autre idée. Le vide juridique, il se constate, il est là. Et c’est pourquoi la transition s’impose.
J.A.I. : Qui doit conduire cette transition ?
H.K.B. : Une équipe neutre, car aucun candidat potentiel ne peut diriger la transition. Les candidats sont égaux en droit. Ils doivent donc être placés dans l’égalité des chances pour faire campagne, et se tenir à l’écart de la transition. Le président actuel est candidat comme moi. Il ne peut pas être juge et partie.
J.A.I. : L’actuel Premier ministre Seydou Diarra pourrait-il faire l’affaire ?
H.K.B. : À l’issue des conférences de Marcoussis et de Kléber en 2003, nous avons nommé Seydou Diarra comme Premier ministre, et nous sommes convenus, par écrit, qu’il resterait en poste jusqu’à la fin des élections. Donc, je pense en effet que la solution la plus facile pour sortir de cette crise sans faire de nouvelle table ronde ou de nouvel arrangement difficile ce serait de respecter cet accord de Marcoussis. Mais il faudrait que Diarra ait tous les pouvoirs et qu’il n’ait plus sur lui cette chape de plomb qui l’étouffe et qui l’a empêché de travailler.
J.A.I. : La communauté internationale ne réclame pas le départ du président Gbagbo. Cela n’affaiblit-il pas votre position ?
H.K.B. : Attendez, nous ne sommes pas encore au 30 octobre. Et cette transition, tout le monde en parle désormais dans les chancelleries.
J.A.I. : Quel bilan faites-vous de la médiation sud-africaine ?
H.K.B. : Le président Thabo Mbeki a fait du bon travail. Mais malheureusement, vers la fin, il y a eu du brouillage à cause des interventions de certains de ses ministres. Celui de la Défense a dit, par exemple, que M. Gbagbo avait fait tout le travail nécessaire à la tenue de l’élection avant le 30 octobre… Maintenant, c’est au président Olusegun Obasanjo du Nigeria, en tant que président en exercice de l’Union africaine, de veiller à ce que l’UA suive le dossier ivoirien.
J.A.I. : Beaucoup de chefs d’État africains souhaitent un renforcement conséquent des forces de l’ONU en Côte d’Ivoire. Qu’en pensez-vous ?
H.K.B. : C’est une bonne chose. Actuellement, nous n’avons que 10 000 Casques bleus environ. À côté, au Liberia, il y en a 15 000. Au Kosovo, il a fallu 40 000 hommes. Pendant l’élection, il faudra quadriller tout le territoire de façon serrée.
J.A.I. : Faut-il envisager une mise sous tutelle de la Côte d’Ivoire par l’ONU ?
H.K.B. : Ce n’est pas d’actualité et nos partenaires ne sont pas arrivés à une telle idée.
J.A.I. : L’ONU doit-elle infliger des sanctions à certains acteurs ivoiriens ?
H.K.B. : Écoutez, ça, c’est un principe qui a été décidé depuis longtemps. Il faut l’appliquer et puis c’est tout.
J.A.I. : Faudrait-il sanctionner Gbagbo lui-même ?
H.K.B. : Je ne suis pas celui qui distribue les sanctions.
J.A.I. : Si Laurent Gbagbo reste au palais après le 30 octobre, que ferez-vous ?
H.K.B. : Personne n’est prêt à accepter un président non élu et à lui obéir. Je ne peux pas imaginer qu’un chef d’État puisse dire « Je reste » sans un mandat du peuple. Qui va-t-il gouverner ? S’il reste au palais, ce sera seulement au nom de ses militants. Pas au nom du peuple ivoirien. Ce sera un usurpateur. Je ne sais pas à qui il pourra donner des ordres et par qui il pourra se faire obéir.
J.A.I. : Est-ce un appel à la désobéissance civile ?
H.K.B. : Ce n’est même pas un appel. Cela va de soi. Quand on se lève pour dire : « J’ai des patriotes et des milices avec moi, donc je suis président », cela s’appelle une dictature ou une usurpation.
J.A.I. : Allez-vous appeler à manifester ?
H.K.B. : Nous déciderons le moment venu.
J.A.I. : Ne craignez-vous pas dans ce cas une violente répression comme celle du 25 mars 2004 ?
H.K.B. : Je ne crois pas que l’on puisse longtemps gouverner avec les mains pleines de sang. Quand vous tirez sur des jeunes et des femmes, cela se retourne toujours contre vous.
J.A.I. : Si vous ne faites rien le 30 octobre, les Ivoiriens ne risquent-ils pas de penser que vous parlez beaucoup mais que vous agissez peu ?
H.K.B. : Ce que nous faisons est déjà suffisant à nos yeux. Et il ne s’agit pas pour nous d’ajouter une guerre à une guerre. Moi, je n’ai jamais fait couler le sang où que ce soit. Nous utilisons les armes de la démocratie, c’est-à-dire la parole et la mobilisation.
J.A.I. : Quand la convention du PDCI qui vous désignera officiellement candidat aura-t-elle lieu ?
H.K.B. : Bientôt. Peut-être le 18 octobre à Yamoussoukro. Cela coïncidera avec le centième anniversaire de la naissance du président Houphouët-Boigny, mais ce sera avant tout l’investiture du candidat PDCI.
J.A.I. : Ne craignez-vous pas de rester aux yeux de certains Ivoiriens comme l’homme qui a abandonné trop facilement le pouvoir aux militaires en décembre 1999, sans vraiment se battre contre les putschistes ?
H.K.B. : Je crois que nous perdrions notre temps à vouloir revenir sur le passé. À ce moment-là, il faudrait expliquer les causes de ce coup d’État et tout ce qui s’est passé. Regardons l’avenir.
J.A.I. : Vous êtes resté absent de Côte d’Ivoire pendant un an. Que répondez-vous aux partisans de Laurent Gbagbo qui affirment que vous représentez le « parti de l’étranger » ?
H.K.B. : Tout cela n’a aucun sens. J’ai été président de la Côte d’Ivoire. Je reviens. Je suis candidat à la nouvelle élection. Je ne vois pas pourquoi je serais LE candidat de l’étranger. Mon parti, le PDCI, est mieux implanté que jamais. Regardez les exactions, les violences, l’intolérance. L’interdiction des émissions de RFI par exemple. Le peuple est privé d’information. Sa déception est telle qu’il regrette l’ancien temps.
J.A.I. : Depuis les affrontements meurtriers de novembre 2004, les soldats français ne sont pas très populaires à Abidjan. Ne craignez-vous pas que votre francophilie vous fasse perdre des voix ?
H.K.B. : Non, pas du tout. Le sentiment antifrançais est propagé par un certain groupe de personnes, mais il n’est pas partagé par l’ensemble de la population. D’ailleurs, quelques Français sont restés et vaquent normalement à leurs occupations. En Côte d’Ivoire, nous n’avons pas de problèmes avec la France. Les Français sont nos plus importants partenaires en matière de développement.
J.A.I. : Les images de tirs français sur des manifestants ivoiriens n’ont-elles pas choqué vos compatriotes ?
H.K.B. : Je crois que bientôt ce sera du passé. Il ne faut pas toujours remuer le couteau dans la plaie. Et aujourd’hui, à tous les niveaux, chacun s’efforce d’oublier ces moments difficiles.
J.A.I. : Les « patriotes » pro-Gbagbo disent que la colonisation de la Côte d’Ivoire par la France a duré jusqu’à la fin de votre présidence…
H.K.B. : Écoutez, ceux-là disent beaucoup de choses. Il faut revenir à la réalité ivoirienne. Nous n’allons pas être des hommes à l’oreille cassée qui se penchent sur leur passé et la colonisation. Tous les peuples du monde ont été colonisés dans l’Histoire. La Côte d’Ivoire ne fait pas exception. C’est quand on échoue quelque part qu’on se réfugie dans ce genre d’argument.
J.A.I. : Donc, vous ne croyez pas au concept de la deuxième décolonisation…
H.K.B. : Absolument pas.
J.A.I. : Après votre alliance avec le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), ne craignez-vous pas de décevoir une partie de votre électorat traditionnel en pays akan ?
H.K.B. : On ne peut pas dire cela, car je viens d’être désigné à près de 98 % des suffrages exprimés au sein du PDCI. Il y a eu des campagnes d’explication partout dans le pays, et, aujourd’hui, il se passe le contraire de ce que vous dites. Les militants du parti auraient été déçus si nous n’avions pas fait une telle alliance.
J.A.I. : Pourquoi ?
H.K.B. : Tout simplement parce que d’autres l’auraient proposée à leur place [rire].
J.A.I. : Cette alliance est-elle nécessaire pour la conquête du pouvoir ?
H.K.B. : Ce n’est pas tant l’alliance en elle-même, mais depuis que la Côte d’Ivoire s’est engagée dans la voie du chaos après le coup d’État de 1999, la seule politique qui vaille, c’est une politique de réconciliation pour la paix. De ce point de vue, cette alliance est une manifestation importante de la réconciliation entre les Ivoiriens.
J.A.I. : Il y a eu beaucoup de renversements d’alliances depuis quinze ans. Pourquoi celle-ci serait-elle plus durable ?
H.K.B. : C’est vrai que le PDCI et moi-même avons eu quelques malentendus avec Ouattara, mais nous les avons réglés. Nous avons dépassé tout cela et maintenant nous sommes vraiment dans une alliance solide, car celle-ci fait l’économie des mésententes du passé. Nous avons procédé au pardon mutuel des offenses pour offrir un avenir de paix aux Ivoiriens.
J.A.I. : Avez-vous crevé l’abcès lors de ce fameux dîner à votre appartement parisien l’an dernier ?
H.K.B. : Nous l’avons crevé avant le dîner, sinon il n’y aurait pas eu de dîner !
J.A.I. : Laurent Dona Fologo a réuni près de 15 % des voix au dernier congrès du PDCI en 2002. Ne risque-t-il pas de profiter des inquiétudes que peut susciter cette alliance ?
H.K.B. : En 2002, il a fait moins de 15 %, et aujourd’hui, il y a un seul maître à bord qui vient de recueillir 98 % des suffrages exprimés. Quant aux députés PDCI, ils sont restés en harmonie avec le parti et ont fait un travail extraordinaire.
J.A.I. : Une éventuelle candidature de Charles Konan Banny, l’actuel gouverneur de la BCEAO, ne pourrait-elle pas vous gêner ?
H.K.B. : Nous ne nous en occupons pas dès lors que personne d’autre que moi n’a sollicité l’investiture du PDCI pour la présidentielle.
J.A.I. : Et s’il se présente en candidat indépendant ?
H.K.B. : Nous ne pourrons rien y faire. Ce ne sera plus l’affaire du PDCI.
J.A.I. : Charles Konan Banny reste-t-il à vos yeux un ami politique ou est-il désormais un adversaire ?
H.K.B. : Mais c’est un frère ! Nous n’avons jamais eu à échanger quelque propos aigre que ce soit. C’est un frère.
J.A.I. : Le 20 août dernier, l’ancien chef d’état-major Mathias Doué a lancé un appel au renversement de Laurent Gbagbo par tous les moyens. Quelle est votre réaction ?
H.K.B. : Je ne suis pas dans le registre des militaires. Par conséquent, je n’émets aucun commentaire là-dessus.
J.A.I. : Est-ce à cause du mauvais souvenir du putsch de décembre 1999 ?
H.K.B. : Non, ce n’est pas la question. Mais la philosophie de mon parti, ce n’est pas les coups d’État. Le PDCI n’a ni armée ni milice.
J.A.I. : Êtes-vous particulièrement combatif parce que, si l’on s’en tient à la Constitution, vous aurez dépassé la limite d’âge dans cinq ans et que c’est peut-être la dernière fois cette année que vous pouvez vous présenter ?
H.K.B. : Non, il ne s’agit pas de cela. D’abord, je suis loin des 75 ans. [NDLR : HKB est âgé de 71 ans.] Et puis, vous savez qu’à Marcoussis nous avons supprimé le plafond des 75 ans.
J.A.I. : Oui, mais c’est toujours la Constitution qui prévaut…
H.K.B. : D’ici là, la Constitution aura le temps d’être révisée. Après les élections, quel que soit celui qui sera élu, la Constitution devra nécessairement connaître quelques retouches.
J.A.I. : Dans votre entourage, certains espèrent qu’Alassane Ouattara vous aidera à gagner cette année en échange de votre aide à son élection dans cinq ans. Partagez-vous cet espoir ?
H.K.B. : Nos accords sont fermes. Au second tour, le mieux placé des candidats de l’alliance obtiendra l’appui de tous les autres. On vient de signer ce texte-là. Ce n’est pas le moment d’envisager de le modifier.
J.A.I. : Il n’empêche, beaucoup disent qu’il y a un accord implicite entre vous deux et que vous êtes prioritaire cette année au nom du droit d’aînesse…
H.K.B. : Non, il n’y a pas d’accord de ce genre. Mais si Ouattara veut procéder ainsi, qui peut le plus peut le moins [rire].
J.A.I. : Ne regrettez-vous pas d’avoir introduit ce concept d’ivoirité qui a tant divisé les Ivoiriens ?
H.K.B. : La façon dont il a été interprété ne dépend pas de moi. L’ivoirité n’a rien à voir avec la notion galvaudée que les gens brandissent à chaque fois. Il y a une ivoirité comme il y a une francité, une sénégalité ou une arabité. Tout le monde revendique une identité culturelle, et l’ivoirité est un concept fédérateur, pas un concept d’exclusion. Je vous mets au défi de citer une loi sur l’ivoirité, une carte nationale d’ivoirité ou un certificat d’ivoirité. Cela n’existe pas. C’est de la polémique politicienne !
J.A.I. : Ne vous êtes-vous pas senti abandonné par votre ami français Jacques Chirac en 1999 ?
H.K.B. : Pas du tout. Je n’ai pas ce sentiment et je n’ai pas de ressentiment. Je le considère toujours comme un ami et nous sommes demeurés dans les meilleurs termes.
J.A.I. : Malgré le lâchage de décembre 1999 ?
H.K.B. : Mais il n’y a pas eu lâchage ! Ceux qui ont empêché la France de respecter ses accords de sécurité et de coopération militaire avec la Côte d’Ivoire ne sont plus au pouvoir, malheureusement pour eux.
J.A.I. : Vous visez les socialistes français. Ont-ils fait cela pour régler un compte avec Jaques Chirac ou par idéologie ?
H.K.B. : Posez la question aux intéressés. Moi, je suis mal placé pour y répondre !
J.A.I. : Avez-vous perdu le contact avec certains chefs d’État africains pendant votre traversée du désert ?
H.K.B. : Non. J’ai gardé le contact avec chacun d’entre eux. La première année, sous la présidence Gueï, je me suis tenu à l’écart de tout, sauf des affaires de mon parti. Mais ensuite, à chaque fois que j’ai appelé un chef d’État, il m’a pris au téléphone.
J.A.I. : Que pensez-vous des anciens amis ivoiriens qui vous ont laissé tomber en 1999 ?
H.K.B. : Cela n’a pas d’importance. C’est leur affaire. Où sont-ils aujourd’hui ? Ils sont l’ombre d’eux-mêmes.
J.A.I. : Après celui de Nino Vieira à Bissau, votre retour au pouvoir est-il possible ?
H.K.B. : Mais pourquoi pas ? L’exemple de mon ami Vieira prouve qu’on peut très bien sortir à la suite d’un coup d’État militaire qui n’a pas de justification, et revenir triomphalement au pouvoir. En tout cas, le PDCI ne néglige rien avec ses alliés pour reconquérir le pouvoir.
J.A.I. : Pourquoi y croyez-vous ?
H.K.B. : Parce que le pays est à l’abandon. Depuis le coup d’État de 1999 et l’arrivée au pouvoir des « refondateurs », c’est-à-dire du président Gbagbo et de son équipe, le pays est dans un état de délabrement avancé. Quand je suis rentré à Abidjan le 11 septembre dernier, de l’aéroport à ma résidence de Cocody, j’ai traversé une ville qui m’a fait mal au coeur. Les rues sont dégradées, les bâtiments ne sont pas repeints. Et quand vous prolongez à l’intérieur, c’est la même scène de désolation. Pas de route ou de piste carrossable. Qu’est-ce que c’est que ce pays où presque tous les entrepreneurs et tous les consommateurs solvables ont été chassés ? Combien de milliers d’emplois ont été perdus depuis ces événements ? Qu’est-ce que c’est que ce pays où l’on corrompt la jeunesse, où les violences de rue sont légion ? Je ne sais pas si on peut gagner des élections en pratiquant une telle politique ! Voilà la triste réalité dont les Ivoiriens veulent sortir.
J.A.I. : En 1999, beaucoup de gens disaient que vous étiez un homme fini…
H.K.B. : Oui, mais ils se sont trompés. La preuve, je préside toujours aux destinées du PDCI.
J.A.I. : Se sont-ils trompés parce que vous êtes un « dur à cuire » ?
H.K.B. : Non, je ne suis pas plus dur à cuire qu’un autre. Simplement je suis encore populaire en Côte d’Ivoire. Pas seulement au PDCI, mais dans le pays. C’est pourquoi j’espère pouvoir me mesurer à armes égales avec les autres candidats. Mais dans le cadre d’une élection honnête et transparente sans l’intrusion de milices ou de patriotes.
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