Péril sur le Sahel

De part et d’autre de la frontière, les rébellions touarègues ont repris les armes et font craindre une régionalisation du conflit.

Publié le 10 septembre 2007 Lecture : 6 minutes.

Embuscades contre des patrouilles de l’armée régulière, convois, civils ou militaires, sautant sur des mines, touristes rackettés, opérateurs pétroliers ou miniers priés d’aller prospecter ailleurs Le Mali et le Niger doivent de nouveau faire face aux vieux démons de l’irrédentisme touareg. Le 26 août, à Tédjérète, dans le nord-est du Mali, près de la frontière nigérienne, quinze soldats maliens ont été pris en otages par un groupe de rebelles mené par Ibrahim Ag Bahanga. Si ce dernier s’est engagé depuis à ne plus s’attaquer à l’armée, certains redoutent que le regain de violence ne menace la stabilité de la sous-région. Car, de l’autre côté de la frontière, au Niger, les combats ont repris depuis février entre les Touaregs et l’armée. Début août, les autorités d’Iférouane ont alerté sur l’insécurité qui règne dans la région. Et d’aucuns, à Niamey et à Bamako, mais aussi à Alger et à Ouagadougou, de craindre, constatant la concomitance de la reprise des rébellions malienne et nigérienne, une régionalisation du conflit.
Si elles connaissent chacune des particularités nationales, les révoltes touarègues sont fondées sur les mêmes revendications. Territoire de transhumance, le Sahel semble trop aride pour servir de cadre aux conflits armés, mais les problèmes identitaires sont venus compliquer la donne. Au début des années 1990, trente ans après la fin des empires coloniaux, les Touaregs, communauté berbère partageant depuis des siècles le Sahel avec d’autres ethnies, entrent en rébellion contre le pouvoir central de Bamako et celui de Niamey. Missions de bons offices, médiation, négociations. Les accords de paix signés en 1996 au Niger, sous le parrainage de l’Algérie, rétablissent le calme dans la région. En mars 1995, à Tombouctou, au Mali, les rebelles de l’Azawad (est) mettent leurs armes au bûcher, pompeusement baptisé « Flamme de la paix ». Dans les deux pays, des combattants irrédentistes sont intégrés dans l’armée régulière, des plans de développement régionaux lancés. Mais des éléments exogènes vont pousser une minorité va-t-en-guerre à reprendre les armes.
Après les attentats du 11 septembre 2001, qui ont déclenché la guerre contre le terrorisme, des membres d’Al-Qaïda ont peu à peu investi le Sahel. Les djihadistes, qui distribuent argent, eau et carburant, se sont alliés aux populations autochtones et ont réussi à bouleverser les fragiles équilibres socio-ethniques. Très vite, la présence militaire américaine dans la région est jugée indésirable. Autre facteur de déstabilisation : la transformation du Sahel en carrefour de tous les trafics (drogue, tabac, armes, traite humaine). Le contrôle des axes très fréquentés assure fortune et puissance aux rebelles. À quoi s’ajoutent des perspectives pétrolières qui aiguisent tous les appétits Au Mali comme au Niger, les tensions deviennent de plus en plus vives.

Une mystérieuse alliance
Le 23 mai 2006, deux bataillons de l’armée malienne sont attaqués à Kidal et Ménaka (est). Gouvernement et rebelles sollicitent une médiation algérienne, qui débouche sur un accord de paix signé le 4 juillet suivant. La trêve ne dure que quelques mois. Le 11 mai 2007, un des signataires de l’accord d’Alger, Ibrahim Ag Bahanga entre en dissidence. Et mène des opérations à Tin Zawaten, qui se soldent par la mort de dix militaires et de deux douaniers. Trois mois auparavant, au Niger, le Mouvement nigérien pour la justice (MNJ), une rébellion dirigée par Agaly Alambo, lançait ses premières attaques meurtrières contre les forces armées. Des deux côtés de la frontière, les violences s’intensifient. Pour la première fois, les rebelles recourent aux mines antipersonnel qui font, en août 2007, seize morts au Mali et deux au Niger.
Des attaques que les ex-rebelles, signataires des accords de paix, ont condamnées d’une même voix. « Ibrahim Ag Bahanga n’a aucune légitimité historique. Il n’était qu’un simple soldat de la rébellion », affirme un ancien cadre du Mouvement populaire de l’Azawad (MPA, principale force rebelle au Mali durant les années 1990). Vétéran de la Légion verte, formée à la fin des années 1980 par Mouammar Kadhafi, Bahanga est loin de faire l’unanimité. « Il n’a jamais cru à la solution politique, se souvient un ancien médiateur algérien. Sa première défection a eu lieu quelques mois après la Flamme de la paix, de mars 1996. Il a quitté l’armée malienne, où il avait été intégré au grade de sergent-chef. » Trois ans plus tard, le rebelle s’attaque à une patrouille de l’armée, prend en otage des soldats et demande que son village natal de Tin Essako acquière le statut de commune. Bahanga obtient gain de cause mais le président Alpha Oumar Konaré refuse de le réintégrer dans l’armée régulière. L’homme ne se calme pas pour autant. Et pousse le lieutenant-colonel félon Hassan Fagaga à passer à l’acte en mai 2006 à Kidal et Ménaka. Finalement écarté de la rébellion par la grande figure touarègue Iyad Ag Ghali, Bahanga fait le dos rond et attend son heure. Il exprime ses réserves à l’égard de l’accord d’Alger, travaille au corps les rebelles ayant déposé les armes et, en mai 2007, parvient à convaincre une cinquantaine d’hommes de le suivre dans le maquis de Tin Zawaten. Et le 30 août 2007, il obtient le ralliement du lieutenant-colonel Hassan Fagaga.
Côté nigérien, le leader du MNJ a un tout autre parcours. Cadre politique de la rébellion touarègue au Niger, Agaly Alambo a intégré l’administration publique après la signature des accords de paix en 1995. Il est devenu sous-préfet d’Arlit, riche région minière du nord du pays. Mais, considérant que le gouvernement du président Mamadou Tandja n’a pas respecté les engagements pris par ses prédécesseurs, l’homme reprend les armes. Malgré leurs particularités, les mouvements rebelles maliens et nigériens pourraient trouver un intérêt à s’allier. À la fin du mois d’août, un proche d’Ibrahim Ag Bahanga a annoncé la création d’une mystérieuse Alliance touarègue Niger-Mali (ATNM)
« Nous sommes en contact avec nos frères maliens qui sont aussi chez eux à Tamgak [nom du maquis qui sert de quartier général au MNJ, ndlr], affirme Alambo, tout en niant vouloir rejoindre une quelconque alliance. Notre mouvement n’est pas ethnique mais d’essence nationale, composé de Nigériens, touaregs ou pas. »

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ATT et Tandja : des approches différentes
Bien que la rébellion touarègue menace de se régionaliser, les autorités maliennes et nigériennes n’ont pas encore mis en uvre une politique de riposte concertée. Depuis février 2007, date de la première manifestation violente du MNJ, le président nigérien, Mamadou Tandja, refuse tout dialogue avec les rebelles et nie même l’existence d’une rébellion en qualifiant les hommes d’Alambo de « ramassis de bandits et de trafiquants de drogue ». En réponse à leurs attaques, il a instauré l’état d’urgence et dépêché, en août, son Premier ministre, Seyni Oumarou, à Alger et à Tripoli. Le chef de l’État s’est lui-même rendu auprès du « Guide » libyen Mouammar Kadhafi pour solliciter indirectement son intervention auprès de la communauté touarègue.
De son côté, le président malien Amadou Toumani Touré (ATT) semble plus enclin à entamer des discussions avec les insurgés. Au lendemain de l’enlèvement, le 26 août, des quinze militaires maliens, ATT a chargé Iyad Ag Ghali, l’ancien rebelle devenu sénateur, et le général Mamadou Diagouraga de convaincre Bahanga de libérer ses prisonniers. Le 31 août, ce dernier a promis de cesser toute attaque contre l’armée régulière. Fatigués des agissements « irresponsables » de l’imprévisible Bahanga, les Algériens, médiateurs historiques dans la crise touarègue, se font prudents et optimistes. « Nous faisons confiance au charisme d’Iyad Ag Ghali pour dénouer cette crise », dit-on à Alger. Il est vrai qu’Iyad Ag Ghali passe pour un expert en matière de négociation pour la libération d’otages. N’est-ce pas lui qui avait obtenu la libération des touristes allemands enlevés par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) dans le Sahara algérien en février 2003 ?

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