Pourquoi les « fonds » aiment l’Afrique

Le continent attire un nombre croissant de capitaux privés internationaux. Pure spéculation ou intérêt durable ?

Publié le 10 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Le monde de la finance croule sous les liquidités, mais cela n’explique pas tout : depuis un an, l’Afrique attire des investisseurs internationaux qui l’avaient largement boudée, lui préférant des zones à plus forte croissance comme l’Europe de l’Est ou l’Asie. Vincent Le Guennou, vice-président d’Emerging Capital Partners (ECP, ex-EMP Africa), un des deux principaux investisseurs professionnels sur le continent, confirme cet engouement : « Après l’acquisition de Celtel par MTC, la région est entrée sur les radars des investisseurs internationaux. » Depuis, de nombreux autres facteurs positifs ont joué : la forte croissance économique affichée par plusieurs pays africains, la flambée de la demande de matières premières, pétrole compris, ou encore l’émergence de plusieurs vrais marchés financiers en Afrique. Grâce à quoi la création de fonds de plusieurs centaines de millions de dollars s’intéressant au continent s’est accélérée au cours des derniers mois, alors que ce domaine restait jusqu’à présent l’apanage de deux sociétés largement dominantes, Actis et ECP. En 2006, le fonds Renaissance Emerging Market, géré par la société américaine Intangis, avait fait figure de pionnier avec une capitalisation de 1 milliard de dollars. Objectif : participer au développement du marché financier africain et aux opérations de fusion-acquisition dans le secteur bancaire.

Trois candidats pour le podium en 2007
Parmi les plus importants figure le Pan African Infrastructure Fund, dont la création a été annoncée début 2007. Il est actuellement en bonne voie pour lever plus de 1 milliard de dollars, qui seront consacrés au financement de plusieurs projets d’infrastructures tels que la construction d’une autoroute au Nigeria, d’un aéroport en Afrique de l’Ouest ou de la centrale hydroélectrique d’Inga en RD Congo. Soutenu par l’Union africaine, il a reçu l’engagement de la Banque africaine de développement (BAD) et celui d’un important fonds de pension sud-africain. Il intéresserait plusieurs groupes financiers étrangers. En Afrique du Sud, Pamodzi a annoncé début août le lancement d’un fonds panafricain de 1,3 milliard de dollars qui investira uniquement dans les projets liés à l’exploitation des ressources naturelles. Renaissance Capital, une banque d’investissement historiquement basée en Russie, travaille depuis le début de l’année à la levée d’un fonds de 1 milliard de dollars, qui, lui, n’affiche pas de secteur de prédilection. Tandis que le fonds londonien Blakeney Management se propose d’investir dans des pays comme l’Angola, le Mozambique ou encore l’Éthiopie, misant sur des pays qui ont réussi à sortir de longues années de conflit.
De taille tout aussi respectable sont les fonds lancés par deux figures des affaires africaines, Miles Morland, patron de Blakeney Management, qui investit depuis plusieurs années sur les Bourses africaines, et Mo Ibrahim, le fondateur de Celtel. Baptisés Development Partners International et Satya, ils pourraient atteindre respectivement 500 millions de dollars et 600 millions de dollars. En juillet, le financier suisse Nicolas Clavel a lancé Scipion African Opportunities Fund, affichant l’ambition de réunir un minimum de 700 millions de dollars, principalement investis en Bourse. Rentabilité garantie. Et deux fonds dédiés à l’Afrique se sont lancés sur la Bourse de Londres : le PME African Infrastructure Opportunities, doté de 180 millions de dollars, et l’Africa Opportunity Fund, doté de 125 millions de dollars. Enfin, selon la revue spécialisée Private Equity, Aureos, qui opère plusieurs fonds spécialisés dans les marchés émergents, prévoit la levée de son premier fonds panafricain début 2008. Il atteindrait 350 à 400 millions de dollars. L’Afrique capte ainsi sa part de la mondialisation financière et, au final, des montants qui seront investis dans ses entreprises. Si les grands pays (Afrique du Sud, Égypte, Nigeria, Algérie et, dans une moindre mesure, Maroc) en seront les principaux destinataires, des entreprises africaines régionales (lire l’encadré) devraient également figurer parmi les bénéficiaires.

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Rentabilité garantie
Le rapide retour sur investissement, au maximum après cinq ans, est l’un des principaux critères de décision des financiers et, en la matière, l’Afrique a fait ses preuves. « La rentabilité est largement comparable à ce qui se fait ailleurs, voire meilleure », confirme Vincent Le Guennou, qui investit depuis plusieurs années dans des entreprises africaines. « La croissance est plus forte en Afrique », ajoute Sarah Shackleton, partner chez Development Partners International. Côté résultats, plusieurs opérations ont largement rapporté à leurs investisseurs. En juillet, ECP a par exemple cédé pour 49,8 millions de dollars un investissement dans la Société internationale de plantations d’hévéas (SIPH) ivoirienne, qui lui avait coûté 14,8 millions deux ans plus tôt. Pour Actis comme ECP, il n’est pas rare que les taux de rentabilité de leurs investissements africains atteignent les 20 % à 25 % par an. En Bourse, la rentabilité peut être encore supérieure. Frontier Africa, le plus gros fonds spécialisé intégralement sur les Bourses africaines (plus de 1 milliard de dollars d’actifs), a réalisé en 2006 une performance de 51,8 % net !
Plusieurs incertitudes pourraient tempérer l’excitation produite par l’implication de ces nouveaux investisseurs. D’une part, et suite à la crise intervenue sur les marchés internationaux en août, l’excès de liquidités dont profite l’Afrique pourrait se tarir. D’autre part, cette vague de nouveaux investissements n’est pas la première.

Ne pas reproduire les erreurs du passé
Au milieu des années 1990, la mise en uvre des plans d’ajustement structurel avait suscité la création de plusieurs fonds internationaux dédiés à l’Afrique. Avec un succès limité et quelques catastrophes… « La différence tient à la qualité des équipes de gestion. Elles sont bien plus professionnelles aujourd’hui. De même, la nature des investisseurs a changé. Presque 100 % des fonds avaient été apportés par des institutions publiques ou des agences de développement, alors que ce sont maintenant pour moitié des investisseurs privés, qui n’ont d’autre but que la rentabilité », répond un gérant. Certes, mais comme le rappelle un banquier d’affaires, il existe d’autres variables : « Y aura-t-il assez de cibles ? L’Afrique a-t-elle les bons managers ? Les banques suivront-elles pour permettre un effet de levier ? L’environnement juridique se révélera-t-il suffisamment sain ? » Pour le moment, la confiance semble totale, comme le confirme Neil Harvey, président Afrique de Renaissance Capital : « Étant donné les taux d’intérêt plus bas, les monnaies plus stables, et une croissance économique plus rapide, nous pensons que l’Afrique est bel et bien sur la voie de la renaissance. »

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