Objectif Bangalore

Centres d’appels, conception de logiciels, intégration de réseaux télécoms : Tunis et Casablanca rêvent d’imiter la célèbre technopole indienne. Et de faire de la high-tech le moteur du développement

Publié le 10 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Pour les autorités marocaines, ce n’est plus un espoir, c’est une certitude : « Casa va devenir le Bangalore des pays francophones. » L’antienne est la même à Tunis. Réalisme ? Forfanterie ? L’avenir le dira, mais les faits sont là : le Maroc et la Tunisie rêvent de suivre les traces de la désormais célèbre cité indienne.
Rente touristique fragile, production pétrolière faible ou inexistante, persistance du poids de l’agriculture dans l’activité économique : dans les deux pays, la spécialisation dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) apparaît comme le meilleur moyen d’impulser le développement. Objectifs avoués : devenir des pôles de compétence scientifique mondialement reconnus ; et séduire les multinationales européennes, dont les sièges ne sont qu’à deux ou trois heures d’avion, désireuses de délocaliser leurs activités de services et de conception informatique. On sait qu’elles sont de plus en plus nombreuses dans ce cas

Le credo de la diversification
Conçue au tournant des années 2000, cette stratégie s’est d’abord appuyée sur le développement des centres d’appels. En sept ans, la Tunisie et le Maroc ont réalisé d’importants efforts de modernisation de leurs réseaux de télécommunications et mis en place des législations très souples pour inciter les grands groupes européens à installer chez eux tout ou partie de leurs services de maintenance et/ou d’assistance téléphonique.
Jeune, polyglotte et bien formée, la main-d’uvre locale est en outre très bon marché : un téléopérateur marocain ou tunisien touche, en moyenne, entre 360 et 450 euros par mois, soit trois fois moins, et même davantage, que le salaire minimum légal français. Résultat : à eux deux, ils ont conquis 95 % du marché français des centres d’appels délocalisés à l’étranger. Des entreprises aussi prestigieuses que BNP Paribas, Axa Assurance ou Capgemini n’hésitent plus à faire appel à leurs services.
Rapidement, l’un et l’autre ont pourtant décidé de ne pas se limiter à la sous-traitance de ces activités à faible valeur ajoutée et se sont tournés vers le développement d’outils high-tech et de logiciels. Dans certains domaines, ils ont acquis un savoir-faire de tout premier plan.
« En matière de logiciels de monétique, notamment, l’expertise marocaine n’a rien à envier à celle de la France et des États-Unis », explique Kamil Benjelloun, le président délégué de CBI, une société de Casablanca spécialisée dans les technologies de l’information. Intégration de réseaux télécoms, développement de contenus en langue arabe, systèmes d’information géographique, gestion intégrée de patrimoine la palette des activités dans lesquelles les deux pays excellent ne cesse de s’élargir. Logiquement, cette diversification commence à payer.
Le Forum économique mondial sur les technologies de l’information, qui établit chaque année un palmarès des pays en fonction de critères comme l’environnement politique et économique, le niveau de développement technologique et le recours aux TIC, place la Tunisie au 35e rang mondial (sur 122), devant tous les autres pays africains et même des pays réputés plus avancés : Italie, Grèce, Chypre, Inde (44e) Tous les espoirs sont donc permis.
Selon la mission économique française en Tunisie, la contribution du secteur à la croissance a atteint 24 % en 2005. Au Maroc, le chiffre d’affaires de l’industrie high-tech augmente de 10 % par an depuis 2004 (6,5 % entre 2001 et 2004). À la fin de l’année dernière, il s’est élevé, en valeur, à plus de 3,5 milliards d’euros. Enfin, dans les deux pays, les entreprises se multiplient : on en recense plus de 750 en Tunisie et quelque 1 500 au Maroc.

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Des objectifs, mais quels moyens ?
Si les perspectives sont encourageantes, plusieurs questions restent en suspens : en plein boom actuellement, l’industrie technologique maghrébine ne risque-t-elle pas de connaître le même sort que les start-up européennes au début des années 2000 ? La high-tech maroco-tunisienne parviendra-t-elle à éviter un krach comparable à celui qui suivit l’explosion de la bulle Internet ? La formation en nombre suffisant d’ingénieurs haut de gamme permettra-t-elle de répondre à la demande ?
Les uns et les autres se montrent franchement optimistes. À Tunis, le XIe Plan de développement fixe ainsi à 17 % le taux de croissance du secteur des TIC jusqu’à la fin de 2011. Et à plus de 13 % sa part dans le PIB, à la même date. À Rabat, « le offshoring devrait représenter environ 100 000 emplois et réaliser 15 milliards de DH de chiffre d’affaires (1,35 milliard d’euros) à l’horizon 2015 », estime pour sa part Salah-Eddine Mezouar, le ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Mise à niveau de l’économie. Quant au contrat de progrès 2006-2012 destiné à doper l’informatique marocaine, il prévoit de faire passer le chiffre d’affaires de la filière de 26 milliards de DH en 2004 à près de 60 milliards en 2012. Et de créer 33 000 emplois.
Pour atteindre ces objectifs et pérenniser le poids des TIC dans leurs économies respectives, les deux pays ont élaboré des stratégies différentes. À Casablanca, Tanger, Marrakech et Rabat, le Maroc veut créer des parcs d’affaires pour accueillir les départements de conception informatique délocalisés par les grands groupes européens. Il s’agira de pôles associant offre technologique de pointe et coûts d’exploitation modiques
De son côté, la Tunisie s’attache à développer ou à renforcer des secteurs high-tech nationaux. En pratique, cela se traduit par l’ouverture de technopoles, sorte de grands incubateurs d’ingénieurs et d’entreprises, tels ceux de Tunis (le déjà célèbre El Ghazala), Gafsa, Monastir ou Sousse. On suppose que les Tunisiens, contrairement à leurs modèles indiens de Bangalore, s’abstiendront de construire des temples à la gloire de Ganesh et de Shiva !

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