L’été meurtrier

Huit morts et 48 000 ha dévastés par le feu dans le nord du pays. Mais d’autres dangers menacent. Ils sont sécuritaires, politiques, économiques et sociaux.

Publié le 10 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Le constat vaut autant pour les gouvernants que pour les gouvernés : l’été algérien a été chaud. Très chaud. Poursuite des ratissages de l’armée contre les fiefs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique Tirs d’artillerie fréquents Vols d’hélicoptères lourdement chargés de missiles air-sol Sans parler de la canicule et des innombrables incendies qui ont dévasté sans exception toutes les régions du nord du pays. Ces sinistres à répétition coûteront sans nul doute quelques dixièmes de point de croissance à l’économie algérienne
Mais les forêts et les vergers ne sont pas les seuls à flamber : les prix des produits de première nécessité sont dans le même cas. Et puis, il y a la crise diplomatique avec le « partenaire stratégique » espagnol, les sempiternelles rumeurs sur l’état de santé du président, vite démenties par l’apparition publique de celui-ci, et la préparation des prochaines élections locales, alors que le traumatisme de l’abstention record enregistrée lors des législatives d’avril 2007 n’a pas encore été surmonté.
La rentrée a donc commencé sur les chapeaux de roue. La journée du 3 septembre a été particulièrement chargée, avec l’ouverture de la session parlementaire, la conclusion d’un accord entre le gouvernement et l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) concernant l’adoption d’une nouvelle grille salariale dans la fonction publique et la reprise des tournées d’inspection d’Abdelaziz Bouteflika dans l’intérieur du pays.
Le chef de l’État a visité cinq wilayas de l’est du pays, multipliant bains de foule et inaugurations. Lui qu’on annonçait à l’article de la mort est manifestement en bonne forme. Il marche d’un pas alerte et répond sans sourciller à toutes les sollicitations. S’il s’est abstenu de prononcer des discours publics – un problème de gorge, semble-t-il -, il n’a pas été avare de coups de gueule contre certains responsables locaux ou nationaux. La télévision publique en a rendu compte avec une évidente délectation.
Bouteflika se portant comme un charme, voilà que l’on reparle du projet de révision de la Constitution. Annoncé en juillet 2005, celui-ci avait brusquement disparu de l’agenda et des discours officiels après l’hospitalisation du président, le 26 novembre suivant, suite à un ulcère hémorragique. Abdelaziz Ziairi, le président de l’Assemblée populaire nationale (APN), l’a remis sur le tapis, ce 3 septembre, lors de l’ouverture de la session d’automne.
La disparition du général-major Smaïn Lamari, l’ex-patron du contre-espionnage, qui joua un rôle majeur pendant la « décennie de braise », a été abondamment commentée (voir J.A. n° 2434). Celle, accidentelle, de Saïd Zerrouki est en revanche passée largement inaperçue. Elle n’est pourtant pas moins importante.
Directeur des libertés publiques au ministère de l’Intérieur, Zerrouki supervisait depuis plus de dix ans toutes les consultations électorales. Il avait à son actif trois présidentielles, trois législatives, deux municipales et deux référendums. Nul doute que son absence se fera durement sentir au moment où le ministère de l’Intérieur vient d’engager une grande campagne pour lutter contre l’abstention. À la mi-juillet, une lettre a été adressée aux 13 millions d’Algériens qui n’ont pas accompli leur devoir électoral lors des législatives. L’administration leur enjoint de confirmer leur lieu de résidence, faute de quoi leurs noms seraient purement et simplement rayés des listes.
Le corps électoral a été convoqué le 29 novembre pour procéder au renouvellement des élus communaux, dont les mandats arrivent à leur terme à la mi-octobre, soit un décalage de plus d’un mois. La faute en incombe au ramadan, le mois sacré des musulmans, qui commencera le 12 ou le 13 septembre. Apparemment, jeûne et politique sont incompatibles en Algérie. Nul n’a osé critiquer cette entorse constitutionnelle. Ou alors, du bout des lèvres.
La grande affaire de la rentrée aurait dû être la mise en place d’une nouvelle grille des salaires dans la fonction publique, censée se traduire par d’appréciables augmentations pour plus de 1,5 million de fonctionnaires. Mais l’effet d’annonce a été quelque peu gâché par le flou entourant la date d’entrée en vigueur de ladite grille, l’importance exacte des augmentations qu’elle induit, le scepticisme des syndicats autonomes et la relative indifférence des organisations patronales.
Reste que la rentrée sociale se passe mieux que prévu. Le conflit qui menaçait de paralyser le complexe sidérurgique d’el-Hadjar, propriété de Mittal Steel, a par exemple été désamorcé à temps par un émissaire du groupe indien, qui est parvenu à trouver un accord avec les syndicats. La rentrée scolaire aura lieu, quant à elle, le 15 septembre ; 7,6 millions d’écoliers, de collégiens et de lycéens sont concernés.
Finalement, la grande affaire de la rentrée porte un nom bizarre : Gassi Touil. Il s’agit d’un faramineux projet gazier lancé par un consortium composé de l’algérienne Sonatrach (20 %) et de deux groupes espagnols, Repsol YPF (48 %) et Gas Natural (32 %). Le contrat, d’un montant de 7 milliards de dollars, a été signé en 2004. Il fixe à novembre 2009 le début de l’exploitation. Or les partenaires de Sonatrach ont annoncé unilatéralement un report de cette échéance à 2011. Déjà fort mécontents des restrictions imposées par la Commission espagnole de l’énergie à leurs importations de gaz, les Algériens ont aussitôt résilié le contrat – une décision sans précédent. Le 4 septembre, Repsol et Gas Natural ont répliqué en dénonçant de fâcheuses interférences politiques dans cette opération commerciale et annoncé leur intention de solliciter un arbitrage international.
Cet épisode confirme le net refroidissement des relations entre Alger et Madrid. L’alignement du gouvernement de José Luis Zapatero sur les positions marocaines dans l’affaire du Sahara occidental y a-t-il contribué ? C’est l’argument avancé par les deux groupes espagnols et contesté par Sonatrach. « La résiliation du contrat est motivée par des considérations purement commerciales », assure un cadre du groupe. Priorité du programme de Bouteflika visant à développer les capacités d’exportation de gaz algérien, le projet Gassi Touil (4,5 millions de tonnes par an) n’est pas abandonné pour autant. Sonatrach va s’efforcer, seule, de le mener à bien. Elle dispose de moyens financiers (26 milliards de dollars au premier semestre 2007), technologiques et humains, qui lui permettent de se passer de partenaires.
Toutes ces péripéties ont largement occulté un événement politique de taille, le retour d’exil d’Hocine Aït Ahmed, qui n’a donné lieu qu’à quelques manchettes dans la presse privée. Grande figure de la guerre de libération et opposant de toujours, le vieux leader est venu remettre de l’ordre dans son parti, le Front des forces socialistes (FFS), miné par les dissensions. Mais face à une question aussi décisive que la maîtrise des richesses du sous-sol, les faits et gestes d’un homme politique, aussi prestigieux soit-il, ne pèsent pas bien lourd.

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